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BREST ET LE FINISTÈRE sous LA TERREUR

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Arrivée de la nouvelle du 9 Thermidor à Brest, — suites et révélations des affidés de la Terreur.

Ainsi que nous l'avons déjà dit, la nouvelle de la révolution du 9 Thermidor arriva à Brest le 13, et, dès ce jour, il fut su de tous que Robespierre et ses partisans avaient été renversés, que plusieurs avaient été tués, que les autres avaient été incarcérés et allaient être mis en jugement .....

Mais, malgré la joie qui put en résulter, beaucoup ne comprirent pas d'abord la portée d'un tel événement ; un plus grand nombre n'osèrent pas se livrer aux espérances qu'on pouvait en concevoir, et d'autres, plus intéressés, s'efforcèrent de donner le change sur l'étendue de l'événement, en retenant dans leurs mains les pouvoirs extraordinaires sous lesquels tout tremblait encore.

Et cependant avec la faiblesse de ceux-ci, voyez l'audace de ceux-là ! Se fait-il, au club, à la municipalité, au district, dans les sections, au tribunal révolutionnaire lui-même [Note : Chacun de ces corps s'applaudissait de la chute des nouveaux Catilina ! — Lettre de Prieur du 15 Thermidor], des adresses de félicitations pour complimenter la Convention sur la résolution qu'elle a prise d'expulser les tyrans de son sein, Ragmey, ainsi que l'atteste Prieur, est un des premiers à voter les adresses qu'on signe, et quand un arrêté du Comité de Salut public, daté du 21 Thermidor, vient décider que Ragmey sera mis en état d'arrestation, cette lettre le trouve encore le 24 à Brest siégeant et faisant condamner à la déportation, Thomas, le maire du Conquet, pour avoir mal parlé des journées du 2 et du 3 Septembre. — Et que répond au Comité de Salut public Prieur de la Marne, le seul représentant resté sur les lieux ? Il écrit, à la date du 5 Fructidor an II, qu'il vient de mettre Ragmey en arrestation chez lui, et qu'il serait sage de le faire partir pour Paris, au lieu de le retenir sur les lieux ; — « qu'au reste, il ne lui est revenu aucune espèce de plainte contre le président de l'ancien Tribunal, et qu'il n'a jamais rien remarqué de suspect ni dans ses principes, ni dans sa conduite politique » ; — et faisant semblant de déférer aux ordres du Comité, il désigne, par arrêté spécial, Le Bars et Désirier, comme membres du Comité révolutionnaire, pour saisir les papiers de l'ancien président et les inventorier.

Mais qu'est-ce à dire ? Le Bars, comme juge du Tribunal révolutionnaire, et Désirier, comme l'un de ses plus fidèles jurés, étaient les complices du président ; aussi ne se trouva-t-il rien chez celui-ci, si ce n'est quelques lettres de Robespierre et de Damas, dont Ragmey était la créature ; tout le reste avait disparu, et chacun sut à Brest que, pendant les deux ou trois jours que Ragmey passa dans une maison de campagne près de l'anse Kerhuon, maison à laquelle allaient et venaient Palis, Le Bars, Verteuil, Bonnet et quelques autres, tout ce qui aurait pu devenir compromettant avait été brûlé et détruit.

Le Comité révolutionnaire de Brest, au sein duquel Le Bars et Désirier avaient été choisis par Prieur pour simuler l'inventaire des papiers que le Comité de Salut public devait connaître, a pris le soin lui-même de nous l'apprendre, en protestant, par une délibération du 14 Frimaire an III, contre tout ce qui avait été fait par Prieur et les commissaires désignés par lui comme délégués du Comité, sans que celui-ci eût même été avisé de leur mission et de leur mandat.

Mais une bien autre tempête allait se déchaîner contre l'ex-tribunal révolutionnaire et les suppôts du terrorisme à Brest.

Un nommé Roffin, ancien huissier de l'une des juridictions locales de la ville de Brest, homme de cœur et de résolution, qui, dans une sphère d'ailleurs étroite, avait été mêlé depuis 1789 à tout ce qui s'était fait en faveur du nouveau régime ; qui successivement appelé dans les colonnes mobiles et les équipages des vaisseaux mis à la mer, avait montré partout le plus louable désir de bien faire, arrivant inopinément à Brest, en débarquant d'une frégate qui rentrait de croisière, s'était montré le 19 Thermidor au club, et y prenant la parole, avait attaqué de front tous les Terroristes, qui, là présents, arrêtaient, suivant lui, l'heureux mouvement du 9 Thermidor et compromettaient jusqu'à ses plus légitimes conséquences ....

Quelques murmures et des paroles acerbes interrompirent d'abord l'orateur, mais, bientôt soutenu par les amis et les parents des nombreuses victimes du Tribunal révolutionnaire qui continuait ses séances, il attaqua ceux mêmes qui le défendaient, et parlant des crimes du Tribunal, il dit qu'il allait en faire l'histoire .... A cette annonce, l'émotion devint si profonde de toutes parts, que ni l'orateur ni le président ne purent se faire entendre, et tous les membres du club s'étant levés spontanément, il y eut, dans la salle où se tenait la séance, une indicible confusion, où les bourreaux et les amis de leurs victimes échangèrent les menaces les plus irritantes. Entouré, poussé par les habitués du Tribunal qui le saisissaient déjà, c'est tout ce que Roffin put faire que de leur échapper. — Mais, à peu de jours de là, et pour y couper court, il publia un mémoire intitulé : Roffin à ses concitoyens, dans lequel il articula une série de faits tendant à établir :

« Que le Tribunal révolutionnaire de Brest, contrairement à la loi, avait dépouillé la municipalité de la police des prisons ;

Que l'on avait fréquemment remarqué, lors des débats, des signes d'intelligence entre les juges et les jurés ;

Que le Tribunal avait souvent refusé la parole aux prévenus ;

Que Le Bars et Palis avaient blâmé le citoyen Gauchelet, en présence de plusieurs témoins, de s'occuper à publier des mémoires justificatifs qui étaient sans objet. — Nous les f.... au feu, avait dit Le Bars, et nous ne les envoyons pas moins à la guillotine ;

Que les jurés étaient convoqués au parquet avant l'audience et qu'on les y endoctrinait après leur avoir donné communication des pièces à charge ;

Que Ragmey entendait négligemment et en masse les témoins à décharge et les avait plusieurs fois expulsés du Tribunal sans les entendre ;

Que le Tribunal avait une caisse à sa disposition, des deniers de laquelle l'accusateur public avait plusieurs fois payé des témoins ;

Que des condamnés à mort avaient été dépouillés, même devant leurs parents ; — que leurs effets avaient été confisqués et transportés au greffe sans inventaire ;

Que les défenseurs officieux avaient été constamment terrifiés et entravés dans leurs défenses par des interpellations tendant à leur demander si les principes qu'ils professaient étaient les leurs ;

Que Ragmey, affidé de Robespierre, avait dit que la liberté de la presse était un moyen de contre-révolution ;

Que quinze jours avant le jugement des vingt-six, des charrons et des charpentiers se présentèrent au district, munis des ordres de Verteuil, pour prendre les bois nécessaires à la construction d'une voiture propre à transporter au moins douze personnes, quoiqu'il en existât déjà une de même importance ;

Que le Tribunal avait plusieurs fois intercepté des doléances adressées par les prévenus aux comités de sûreté générale et des finances ;

Que le Tribunal avait souffert que le couteau de la guillotine fût couvert de bandes aux couleurs tricolores ;

Que le Tribunal entretenait des espions dans les prisons, et refusait aux détenus les motifs de leur arrestation ;

Que plusieurs prisonniers étaient morts faute de secours nécessaires ; que beaucoup manquaient de linge, et que des effets de prix, argenterie, bijoux, or monnoyé, avaient été détournés par des employés infidèles, en présence de Pasquier, l'un des membres du Tribunal, qui avait lui-même trafiqué de la misère des prisonniers ;

Que le Tribunal avait très souvent remis les séances à cinq heures de relevée les juges et les jurés allant dîner ensemble ;

Enfin, qu'il était de notoriété, qu'au mépris de la loi du 11 Thermidor, qui suspendait les tribunaux-révolutionnaires, celui de Brest avait continué ses fonctions et rendu ses jugements, dont deux à mort, le 19 et le 24 Thermidor ».

Cet écrit et cet acte de courage rendirent la commune de Brest à elle-même.

Le Tribunal cessa de siéger, ses membres et ses suppôts se dispersèrent ; un décret de la Convention rappela dans son sein tous ceux de ses membres qui, étant depuis plus de six mois en mission, pouvaient avoir concouru à la mise en pratique de l'affreux régime qui avait causé tant de deuil dans toutes les classes de la population. Chacun courant aux prisons y demanda son père, ses amis, ceux qu'il avait connus et qu'il était encore temps de sauver. Un nouveau comité de surveillance et des commissaires pris dans la classe la plus éclairée furent chargés d'écouter toutes les plaintes et de recueillir tous les renseignements qui pouvaient intéresser les victimes et les détenus de toutes catégories encore placés sous les verroux.

Castelnau, Robin, Trouille et Bergevin, tous nouvellement extraits de la prison du Château, et que la ville el les sections choisirent d'un commun accord pour rédiger le mémoire où seraient exposés les crimes du Tribunal révolutionnaire, reçurent la mission de présenter ce mémoire à la Convention et d'obtenir un décret d'accusation contre les membres dudit Tribunal. — Une autre commission, que présidait Guesnet, chargée de recueillir les pièces qui pourraient appuyer ce travail, parvint à en réunir une soixantaine relatives aux actes à dénoncer.

Redire aujourd'hui tout ce qui circula et se répéta alors à Brest au sein des familles qui avaient été si durement victimées, comme dans les rangs de ceux qui, d'accusateurs, devinrent accusés à leur tour, serait difficile, d'autant plus que la parole dans le moment même n'y suffit pas et que les écrits abondèrent de part et d'autre sans être tous parvenus jusqu'à nous.

Ainsi que nous l'a dit Roffin, ainsi que le dirent les auteurs du mémoire intitulé : Les crimes du Tribunal révolutionnaire de Brest, tout ce qu'il y eut de plus atroce et de plus audacieusement criminel avait été en quelque sorte tenté et accompli par les suppôts de l'affreux régime qui venait de tomber. Mais comment tous ces crimes s'étaient-ils ourdis et accomplis ? entrons, pour le savoir, avec les affidés de la maison dans le détail intime de ces existences si étrangement troublées par les irritantes passions du jour. Une des pièces les plus curieuses à consulter sous ce rapport, est l'acte d'accusation que Donzé-Verteuil articula au moment suprême, après le 9 Thermidor, quand il était encore sur son siège, dont il ne voulait pas descendre, contre l'ivrogne Dagorne, contre cet homme qui, revêtu de la confiance des Représentants pour fermer la cathédrale de Quimper, y avait causé tant de scandale, que les Représentants eux-mêmes, voulant donner une demi-satisfaction aux croyances populaires des campagnes, avaient cru devoir le faire saisir sous le coup d'une prochaine comparution devant le Tribunal révolutionnaire. Mais, jusqu'au 9 Thermidor, ses complices n'avaient osé l'extraire du Château où il était détenu pour le produire au grand jour d'un débat judiciaire. Les représentants ne l'avaient pas cru possible ; Donzé-Vefteuil, aux abois, le tenta cependant, et se retournant ainsi contre un des siens, contre un de ceux qui avaient été les plus compromis, il l'accusa d'avoir joué le patriote tout en servant au fond les émigrés et les ennemis de la République avec lesquels il avait, dit-on, des intelligences ; — d'avoir à dessein exagéré les mesures de répression à l'égard du culte catholique ; — d'avoir, en dînant avec des membres du Comité et de la commission administrative de Landerneau parodié la Marseillaise, en s'écriant, plein de vin : Allons enfants de la patrie, - Le jour de boire est arrivé, etc. Et d'avoir répondu à quelqu'un qui le saluait, en l'appelant citoyen, qu'il n'y avait chez lui de citoyen que son chien, etc., etc. [Note : Cette espèce de palidonie se continua de la part de Donzé-Verteuil et de Grandjean, son substitut, jusqu'à la fin de Fructidor, près de deux mois au-delà de la chute de Robespierre. Les lettres de ces deux suppôts de la Terreur, qui sont arrivées jusqu'à nous, sont curieuses par le soin affecté qu'elles prennent de s'apitoyer sur le sort des détenus, qu'il serait injuste ou cruel de retenir quand on peut les relâcher, et qu'en tous cas on doit entourer de tous les soins qui peuvent adoucir leur détention, comme, libre pratique avec leurs amis et leurs parents, remise et délivrance des objets nécessaires à leur entretien, etc., etc. — Jugés sur de pareilles pièces, l'accusateur, son substitut et les juges du Tribunal révolutionnaire auraient été les hommes les plus inoffensifs du monde, et on les vit, dans le but de se réhabiliter, tenter, dans ces derniers jours, tout ce qui pouvait les faire bien venir des amis de l'ordre et du peuple lui-même en intentant au même moment plusieurs procès pour accaparement, vrais ou faux, de blés et de denrées utiles à l'alimentation publique. Un double procès intenté par eux contre le maire et trois officiers municipaux de la commune de Pont-Labbé, à la date du 17 Fructidor, pour accaparement de blé, puis pour détournement d'une partie de vin pris indûment chez le maire lui-même, et vendu par les officiers de la commune à leur profit personnel, achève de prouver quelle nouvelle direction prirent tout-à-coup ces actes de profonde hypocrisie, et comment ils les appuyèrent de toutes les formes légales, et même de la descente sur les lieux de leurs plus intimes affidés. — Voir le numéro 1 de la section D des archives de la commune de Pont-Labbé pour quelques-uns de ces actes].

A quoi Dagorne, une fois bien sûr que le Tribunal n'était plus, et que la griffe de Donzé-Verteuil, comme on le disait, s'était refermée, répondit « que l'intrigue la plus criminelle avait constamment assiégé les Représentants, que c'était à l'obsession que Palis, Le Bars et Pasquier avaient dû de siéger dans le Temple de la justice, et qu'en formant le Comité révolutionnaire des juges et des jurés du Tribunal, qui s'étaient ainsi trouvés à la fois juges et accusateurs des prévenus, il avait fallu encore s'assurer de sept à huit habitués qui se présentaient incessamment comme témoins à charge dans presque toutes les affaires où l'espionnage des prisons et la déclaration soudoyée avaient été ajoutées à tous ces moyens ».

Une fois la porte ainsi ouverte par ceux-mêmes que ces récriminations devaient démasquer, les renseignements abondèrent. — Un jour, c'était Durand, officier municipal et juré, qui, après l'affaire du 24 Thermidor, apprit au public qu'il avait vainement prévenu par un billet les membres du Tribunal révolutionnaire des manœuvres qui s'étaient ourdies au Conquet pour perdre Thomas, et que n'ayant pu prévenir la condamnation de celui-ci, il déclarait qu'il avait été contraint de siéger malgré son désir de ne pas le faire.

Une autre fois, c'était Rébillard, artiste dramatique, et membre du conseil général de la commune, qui, accusé d'avoir concouru à la perte de Toullec et d'avoir révélé les confidences de quelques détenus, rejetait ces accusations, en disant qu'il avait été le premier à fournir la preuve de l'espionnage du Tribunal dans les prisons, et de l'infidélité des juges à transmettre à la Convention les renseignements qui étaient destinés pour elle seule. — Juré et très au courant de ce qui s'était passé lors du jugement de Binard, il affirmait que la mort de ce malheureux avait été décidée par les juges avant même que les débats fussent ouverts.

Une autre fois, c'était un nommé Adam qui apprenait à ses concitoyens que, dénoncé par Palis, accusé par lui au Comité révolutionnaire, il l'avait encore rencontré pour juge-informateur au Tribunal révolutionnaire ; que l'un des jurés de ce même Tribunal, chargé de prononcer sur son sort, avait été un nommé Brandin, qui agiotait si effrontément sur l'argent monnoyé, au moment où les assignats seuls devaient avoir cours, qu'il avait expédié à Nantes jusqu'à 30,337 livres en espèces sonnantes. — Il établissait, d'une autre part, que le juge Le Bars, menuisier de sa profession, n'avait recherché les fonctions de membre du Tribunal que pour échapper au service militaire, auquel son âge l'obligeait, et qu'ayant été, une fois, comme fournisseur, forcé de réduire, après débat judiciaire, un mémoire de 1430 livres à 505 livres, il s'était vengé comme juge sur les experts qui avaient ainsi réduit son mémoire, quoiqu'il eût reconnu par un acte public la parfaite exactitude des appréciations de ceux-ci. — Il établissait également que le greffier Quémar, d'accord avec Ragmey, Palis, Le Bars et autres, avait plusieurs fois mis impunément à néant l'appel des témoins à décharge, et notamment dans une séance du 7 Thermidor, où l'on jugeait Le Gogal, ancien maire de Carhaix. — Enfin, déchirant jusqu'au rideau qui avait un instant caché les nombreuses turpitudes de tous ces hommes, il apprenait à ses concitoyens comment Palis et Ance, le juge et le bourreau, assis à la même table, devisaient habituellement sur les péripéties journalières de l'échafaud et de l'instrument si cruellement appelé par eux la justice du peuple ; — comment Bonnet, à l'œil de verre, incessamment tourmenté de cette cruelle dureté de cœur, qui est trop souvent le triste apanage de certaines infirmités physiques, prenait l'infernal plaisir d'ajouter ses ignominieuses atrocités aux rigueurs de la loi, qui pesaient déjà d'un poids si lourd sur les détenus que l'arbitraire livrait chaque jour à toutes les fantaisies de sa méchanceté ; comment, par opposition à ces égorgeurs émérites, Donzé-Verteuil, paré des manières doucereuses et étudiées de la caste à laquelle il avait appartenu comme chanoine et ancien gentilhomme, se tenant constamment à l'écart, semblait laisser tout faire à ses seconds, pour ne prendre mot que des Représentants eux-mêmes dans l'intimité desquels il vivait familièrement [Note : Une caricature, affichée sur les murs de Brest après le 9 Thermidor, le représentait allongeant sa griffe pour saisir un prévenu qui lui échappait. — La devise portait : Doucereux Verteuil, donne un œil de plus à Bonnet et cache ta griffe] ; comment Palis et quelques autres habitués du Tribunal et du Comité, se jouant audacieusement de tout ce qu'il y avait d'honnête et de mesuré dans les habitudes et dans les mœurs du pays, s'étaient montrés partout où il y avait eu une mauvaise pensée à fournir, quelque trouble à exciter : ici, dénonçant les pieuses filles dont les services, malgré l'exclusion de la loi, avaient été réservés près des hôpitaux par les Représentants eux-mêmes ; là, dénonçant ses chefs comme officiers de santé, troublant les cours et les démonstrations qui se faisaient jusque dans la salle de dissection, et publiant par là-dessus des traités de morale pour la jeunesse, un credo républicain pour les jeunes soldats, et allant jusqu'à se vanter d'avoir réformé les mœurs dissolues de ses camarades, quand tout Brest l'avait signalé pour les atroces monstruosités de l'immolation de la jeune de Forsan.

Et qu'on ne pense pas que ces traits fussent exagérés ou controuvés. Un mémoire signé de trente et quelques administrateurs de la ville de Quimper, ancien chef-lieu du département, publié dans ces entrefaites, est resté comme pièce officielle pour nous apprendre que la plupart des administrateurs et des comités révolutionnaires de l'époque, composés d'ivrognes qui paraissaient aux séances presque toujours pris de vin, y avaient fait descendre la plus grande partie des délibérations où l'on traitait souverainement de la liberté des citoyens au rang des plus ignobles querelles de taverne ; que l'écharpe municipale avait souvent été relevée dans le ruisseau avec ceux qui la portaient, et qu'allant au-devant du vice, on avait vu ces hommes élever jusqu'à la hauteur d'une doctrine républicaine la pensée que la révolution ne pouvait être utilement servie que par des femmes de mauvaise vie [Note : Comme on pourrait croire que nos assertions sont un peu outrées, nous rétablissons ici le texte même du Mémoire dont nous parlons, et dont un exemplaire imprimé existe encore entre les mains de notre ami Levot, bibliothécaire de la Marine à Brest. « L'ivrognerie, qui était la compagne habituelle de plusieurs membres de ces administrations, semblait y être à l'ordre du jour et avoir changé en querelles de tavernes les délibérations qui devaient éclairer l'administration. On l'avait vue, en l'absence du maire, présider les séances, déshonorer l'écharpe municipale et se vautrer dans la fange, en se mettant elle-même sous le coup de la police ». En parlant du Comité révolutionnaire, ils disaient : « Ne les a-t-on pas vus aller au-devant du vice pour le caresser et prêcher hautement la prostitution ? Venez, disait-on à des filles sans pudeur, à des filles éhontées, ce sont des femmes comme vous qu'il faut à la République, ce n'est point avec des citoyens honnêtes qu'on fait des révolutions ... ». Combien de fois n'en a-t-on pas vu qui, la tête troublée des liqueurs dont ils s'étaient enivrés, allaient mendier de porte en porte du vin et de l'eau-de-vie ..... Combien de fois, dans les maisons d'arrêt elles-mêmes, ne les a-t-on pas vus mettre à contribution les pauvres détenus pour étancher leur soif. A l'hôpital militaire, il y en a qui ont eu l'impudeur de forcer la main au dépensier pour lui arracher des liqueurs destinées aux pansements et au service des malades. (Mémoire imprimé à Quimper et signé de plus de quatre-vingts notables de l'administration et de la commune. — 5 Brumaire an III). Des délibérations de la commune et du district de Quimper prouvent qu'en Prairial de l'an III, la terreur inspirée par ces hommes n'était pas encore apaisée]. Comment avec ces doctrines et ces principes s'étonner que les victimes de la terreur nous aient dit que les juges, les jurés et les accusateurs du Tribunal de Brest, après avoir versé le sang des victimes, volèrent jusqu'à leurs dépouilles et se les approprièrent ; que Palis et Bonnet intimidèrent quelques détenus au point de les faire se dessaisir de leurs bijoux [Note : Un syndic des classes, membre du Comité révolutionnaire, fut, plusieurs fois, jusqu'à se rendre, à minuit, dans les prisons, pour y intimider les détenus, en se présentant à eux le sabre à la main, accompagné de deux fusiliers] ; que Pasquier imposa au même titre des échanges onéreux de bijoux, d'or monnoyé et d'étoffes précieuses contre des assignats sans valeur, et qu'un commerce presque régulier se fit entre quelques-uns d'entre eux et certaines caisses d'où l'on retira des valeurs métalliques pour y substituer du papier complètement discrédité [Note : Les sources où nous avons puisé tous ces détails, forment , comme nous l'avons dit, une partie des mémoires que publièrent, les Terroristes après le 9 Thermidor, en s'armant les uns contre les autres pour se soustraire à la juste vindicte du public. Mais combien d'autres faits et d'autres énormités n'aurions-nous pas pu recueillir dans les procès-verbaux très nombreux que nous possédons des clubs et des comités réorganisés dans le sens thermidorien, immédiatement après la chute de Robespierre. — Une épuration générale des membres de ces sociétés, faite en vue d'en exclure tous les hommes qui s'étaient compromis sous la Terreur, présente comme un état nominatif de tous les crimes et de tous les excès qui furent alors commis dans chacune de nos villes, au nom d'un mensonger patriotisme, qui cacha les plus honteux penchants de méchanceté et de perfidie humaine. — A voir tant d'infirmités, on se prend involontairement a bien peu compter sur des prétendus dévouements qui font effort pour se faire jour dans les crises révolutionnaires].

Mais terminons, et sachons encore une fois ce qu'il faut penser des dernières accusations portées contre Jean-Bon Saint-André auquel les contemporains persistèrent à attribuer la plupart des crimes que nous venons de rapporter.

Si l'on en croit ce que ce représentant a dit lui-même dans sa réponse aux délégués de la commune de Brest, qui furent chargés de retracer les crimes de l'ex-tribunal révolutionnaire, il n'aurait été pour rien dans la réorganisation de celui-ci et se serait contenté, après avoir longtemps résisté à sa création, de récuser toute participation à sa formation, en écrivant au Comité de Salut public qu'il voulait rester étranger à toutes les nominations à venir. — Quant à l'action du Tribunal révolutionnaire et au concours qu'il aurait pu lui donner, il ajoute qu'il ne se mêla que très rarement des arrestations à opérer, et qu'il essaya de modérer son action, en examinant lui-même ou en faisant examiner dans ses bureaux les causes de la plupart des détentions opérées.

Nous comprenons comment il s'est fait que l'ancien ministre protestant, devenu préfet d'un des départements de l'Empire, ait tenu à accréditer ces assertions et se soit efforcé de se justifier de ces accusations par le choix de nombreux documents qu'il avait pris le soin de classer et de faire trier pour l'histoire de sa vie ; mais les actes et les faits passés de sa mission à Brest sont restés consignés dans des actes publics ; c'est ceux-ci qu'il faut consulter.

Il n'a été, ni n'a voulu être pour rien , dit-il, dans la nomination des membres du Tribunal de Brest ; mais sa lettre du 5 Nivôse, déjà citée, est restée aux archives de Brest, et en se plaignant en effet de ce que l'esprit public éprouvait en ce moment à Brest une sorte de convulsion qu'il importait de calmer, nous voyons que c'est lui qui a recherché le substitut de Fouquier qu'il connaissait, qu'il avait pratiqué lorsqu'il était à Paris membre du Comité de Salut public, où il avait eu l'honneur de faire entrer son ami Robespierre. Et que dit-il à Verteuil, dans cette circonstance : « qu'il aime les républicains qui joignent à l'instruction la douceur des manières et l'imperturbable fermeté de l'homme de bien, et qu'il l'attend, sans retard, deux jours après la réception de sa lettre ». — Jean-Bon Saint-André poussa la déférence envers Verteuil, qui lui donna souvent de vive voix et par écrit son avis sur les faits les plus importants, jusqu'à confier à un de ses frères l'inspection générale du port de Brest, et à remettre ainsi en quelque sorte le port et la ville sous le contrôle de l'ancien substitut de Fouquier.

Les délégués de la commune de Brest, chargés de relever les crimes du Tribunal révolutionnaire, attribuent à Jean-Bon une grande partie de ses excès. — Le Représentant accusé répond que s'il a accueilli avec distinction le président et l'accusateur public du Tribunal si justement incriminés, c'est qu'il eut le désir de conserver par ses relations le droit et le moyen de faire quelque bien et de modérer l'ardeur dont on était animé autour de lui.

Mais alors, répondaient les membres de la commune de Brest, comment avoir été jusqu'à oublier la hiérarchie et l'ordre naturel des pouvoirs, en nommant du comité révolutionnaire chargé de la recherche et de la dénonciation des prévenus, ceux-là mêmes qui devaient les juger comme jurés et comme juges ; comment, enfin, quand il s'éloigna de Brest et s'embarqua sur la flotte, avoir précisément et par affiche remis tous ses pouvoirs, c'est-à-dire le droit d'arrêter et d'accuser, à qui ? — au Tribunal révolutionnaire lui-même et en particulier à son accusateur public. — Je conçois que lui et ses amis aient constamment dénié une telle énormité. Je conçois qu'il se soit efforcé de dire qu'il n'avait jamais donné une telle délégation, et qu'avec une dénégation aussi affirmative, il ait échappé près de ses collègues de la Convention à une mise en accusation .... Mais revoyez ce que les délégués de la commune affirmèrent, ce que Blad, le député de Brest, maintint comme exact à la tribune même de la Convention ; revoyez enfin les archives de la ville de Brest à sa bibliothèque communale, vous y retrouverez la proclamation de Jean-Bon du 18 Floréal an II, qui dit expressément aux habitants de Brest, qu'en s'éloignant de cette ville pour suivre la flotte, il s'en remet pour la tranquillité et la Sûreté publique à la vigilance et à la fermeté du Tribunal révolutionnaire dans la personne de l'accusateur public, chtirgé de requérir la force armée toutes les fois qu'il sera nécessaire.

Et comme si cela n'eût suffi, un autre arrêté avait déféré au même Tribunal le soin de statuer sur toutes les arrestations opérées ou à opérer, en lui attribuant la faculté de prononcer sur le sort de tous les détenus, et en particulier sur celui des détenus saisis en vertu de la loi du 17 Septembre 1793, c'està-dire sur les suspects eux-mêmes, sur les citoyens que l'on poursuivait révolutionnairement comme ennemis du régime inauguré par la Montagne [Note : Nous possédons en original un des arrêts rendus dans ces circonstances au parquet du Tribunal révolutionnaire de Brest, daté du 9 Thermidor an II. Cet arrêté est relatif a la mise en liberté d'un nommé Goulvain Pezeron détenu dans la maison de Morlaix. Cette pièce signée de Ragmey, de Donzé-Verteuil et de ses deux substituts Grandjean et Marion, fait elle-même mention des arrêtés de Jean-Bon Saint-André, des 17 et 19 Floréal, portant que le parquet en présence du président du tribunal statuera sur toutes les arrestations faites et à faire dans l'étendue des départements maritimes de la République. Quant à sa sollicitude en faveur des membres mêmes du Tribunal, on ne peut douter qu'elle n'ait été personnellement très bienveillante, malgré le soin qu'il a pu prendre de dire que ses relations avec eux furent presque nulles. Des lettres de Verteuil, de Palis, de Grandjean, écrites dans les termes de la cordialité la plus libre en font foi, et je possède, en outre, une réquisition de Jean-Bon à l'administration du district qui prescrivait à celle-ci (25 Ventôse an II) de fournir aux membres actifs et externes du Tribunal tous les objets dont ils pourraient avoir besoin, même pour l'intérieur de leur maison].

Nous demandons si aucune autre mesure plus révolutionnaire et d'une compression plus terrible aurait pu être prise, et si la Terreur elle-même rencontra nulle part un plus libre essor et de plus formels encouragements ! L'œuvre, en effet, était machiavélique et profondément combinée ; aussi les détenus incessamment renvoyés de Caïphe à Pilate, de Verteuil à Duras, ou de Palis aux Représentants, subissaient-ils toutes sortes de vexations, qui s'accumulèrent au point que beaucoup, privés d'air, de nourriture et de vêtements, astreints à des traitements atroces jusqu'aux derniers jours de ce régime, ne purent sortir de leurs cachots qu'à la fin de Fructidor, c'està-dire près de deux mois après l'arrivée à Brest de la nouvelle du 9 Thermidor.

Comme dernier renseignement sur ces tristes jours, nous devons dire, au reste, que la Convention, cédant à l'énormité des faits qui lui furent dénoncés, décida, par une loi du 16 Prairial an III, que les jurés et les membres du Tribunal révolutionnaire de Brest seraient arrêtés et déférés à un jury spécial. — Mais qu'advint-il de cette mise en accusation ? — Pas grand'chose à ce qu'il paraît, si même il y eut jugement, car des notes et des mémoires, établissant pour presque tous qu'ils furent les citoyens les plus honnêtes et les pères de famille les plus dévoués, nous apprennent qu'en l'an IV ils étaient encore, pour la plupart, retenus en prison. A cette époque, Donzé-Verteuil, s'adressant de la maison d'arrêt d'Evreux au représentant qui s'y trouvait en mission, lui annonçait un mémoire justificatif de sa conduite, où il lui dirait des choses absolument neuves. — Un autre prévenu, Perrin, appelé à rendre compte de sa conduite devant le tribunal correctionnel de Châteaulin, disait de son côté, que c'était bien à tort qu'on lui attribuait la mort des vingt-six administrateurs du Finistère, et que si l'on rendait plus de justice à ses intentions et à ses actes on reconnaîtrait que si l'administration entière du district de Brest n'avait pas péri dans la même circonstance, c'est que lui et quelques-uns de ses collègues de la commission administrative de Landerneau avaient eu le courage de soustraire leur correspondance avec le département et de la jeter au feu au lieu de la faire parvenir à l'accusateur public .... Si Duras et Verteuil étaient ici, disaient-ils en terminant, combien d’autres n’en saurait-on pas ..... mais je dois me taire et souffrir ..... [Note : Poursuivi en vertu de la loi du 5 Ventôse an III, sur la résidence des fonctionnaires de la Terreur, Perrin eut six mois de détention à subir].

Palis, Ragmey, Le Bars, Bonnet et presque tous les jurés du Tribunal révolutionnaire subirent aussi une détention plus ou moins longue ; mais, rendus bientôt à la liberté, ils se perdirent dans la foule, et peu de personnes savent ce qu'ils devinrent. On a cependant dit du président Ragmey, qu'il avait été vu à Anvers vers 1812.

(Armand du Chatellier).

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