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BREST ET LE FINISTÈRE sous LA TERREUR

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Procès et Immolation des vingt-six Administrateurs du Finistère.

Nous arrivons au célèbre procès des Administrateurs du Finistère.

Les Représentants envoyés près des côtes de Brest et de Lorient, ainsi que le Tribunal révolutionnaire de Brest, avaient reçu la mission spéciale de les atteindre, de les frapper, de les sacrifier.

La correspondance des uns et des autres en fait foi.

C'était la Montagne aux prises avec la Gironde. — Celle-ci, dissoute au 31 Mai, comme parti, expia par l'exil et l'échafaud une partie de ses doctrines et surtout l'irrésolution et la faiblesse qu'elle avait opposées à ses adversaires. C'étaient des hommes de doctrine en lutte avec des hommes d'action ; des bourgeois contre des Sans-Culottes ; des hommes lettrés et raisonneurs contre des faubouriens qui n'avaient que la logique des clubs avec l'entraînement de la passion.

Le crime des Girondins (politiquement parlant) et celui des Fédéralistes des départements, des administrateurs du Finistère en particulier, furent-ils cependant le même ? Et si, au point de vue révolutionnaire, le parti exagéré de la Montagne et du Comité de Salut public put se croire en droit de se défaire de ses ennemis en leur faisant trancher la tête, ce même parti, ces mêmes Montagnards eurent-ils lieu de traiter les Fédéralistes et l'administration du Finistère comme ils avaient traité les députés Girondins qu'ils firent traduire au Tribunal de Paris ?

Nous pensons que non, et que la faute des uns étant fort distincte de celle des autres (nous parlons toujours au point de vue révolutionnaire), ce fut aussi pour la Montagne une faute grave et irréparable, après avoir renversé, à la Convention et dans les Comités, le parti qui lui était opposé, de venir avec une rage atroce sacrifier presque sans les entendre les restes épars du parti modéré de la province, qui, à tout prendre, avait accepté et vivement secondé tous les grands principes de la Révolution, moins les exagérations perturbatrices de quelques casse-cous qui prêchaient le désordre comme un principe possible de gouvernement et d'émancipation.

Nous ne craignons pas de nous tromper en avançant que ce qui ruina sans retour le parti dominateur de la Montagne en si peu de temps, en quelques mois seulement, ce fut beaucoup moins le jugement et la condamnation des Représentants arrêtés le 31 Mai, que les excès de tous genres auxquels se livrèrent dans les départements les agents avoués de ce parti. Les prisons, les échafauds, les réquisitions et les confiscations, complément obligé de toutes les mesures qu'ils prirent, eurent en effet bientôt épouvanté même les plus résolus, et, à voir le triangle et l'équerre que des hommes en tablier arborèrent comme les signes du nouvel ordre, personne ne tarda à s'apercevoir que l'affreux bonnet de laine qui abritait toutes ces turpitudes, étouffait bien plus d'idées et de sentiments généreux qu'il n'en faisait naître.

A ce point de vue, le jugement et la condamnation des administrateurs du Finistère, fut une des plus grandes fautes du parti dont Bréard et Jean-Bon Saint-André étaient les agents avoués dans le Finistère.

Ainsi que nous l'avons dit et que trop de circonstances le firent reconnaître, un des premiers soins des représentants Bréard, Jean-Bon Saint-André et Prieur de la Marne, en fixant le siège de leur mission à Brest, fut donc de rechercher tout ce qui pouvait avoir trait aux Girondins comme aux administrations locales, qui, en se réunissant eux, avaient essayé de les soutenir. Les intentions comme les actes des administrateurs du Finistère, à cet égard, n'avaient été d'ailleurs ni douteux, ni cachés. Dès la chute du Roi, lors de son procès, ils s'étaient très vivement émus de tous les déchirements qui se faisaient sentir au sein de la Convention. Pressentant la chute du trône et la mort de Louis XVI, ils voyaient avec inquiétude un grand pays comme la France livré aux entreprises des partis, et, n'apercevant d'autre force ni d'autre autorité que la Représentation nationale qui fût capable d'en imposer à l'étranger comme aux perturbateurs de l'intérieur, ils s'y étaient ralliés avec d'autant plus de résolution, que si cette autorité venait à s'affaisser, il ne resterait ni traditions ni lois, ni institutions pouvant donner naissance à un gouvernement capable de faire le bien.

Cette manière de voir avait engagé l'administration du département comme celle des districts, dans tout le Finistère, à accepter franchement la République et ses conséquences.

Dévouée à l'œuvre nouvelle, l'administration départementale, quoique composée en partie d'anciens gentilshommes, d'avocats et de jeunes hommes pris dans les administrations publiques ou dans les affaires, s'était très résolument adonnée à tout ce qui pouvait établir ou faire triompher le régime nouveau. N'hésitant sur rien, elle avait dans plusieurs circonstances devancé même les mesures les plus décisives de la Convention, et, quand celle-ci délibérait à l'égard des émigrés ou des prêtres insermentés, elle les faisait surveiller, elle allait jusqu’à les faire arrêter par mesure de sûreté, quoiqu'il n'y eût aucune disposition législative prise à leur égard. Pour la levée des impôts et des hommes appelés à la défense de la patrie, elle avait mis le même zèle et la même énergique activité. La flotte menace-t-elle de s'insurger, Brest peut-il être attaqué par les Anglais ou le Finistère entamé par les insurgés du Morbihan et de la Vendée ? ses membres et ses commissaires avisent à tout, sont sur tous les points à la fois, se concertent avec les chefs de la force armée, marchent avec les troupes et se portent au-devant du danger et des difficultés qui peuvent naître. Nous avons donné ailleurs, dans notre Histoire de la Révolution dans l'Ouest, vingt preuves de ces faits qui n'ont jamais été contestés ni mis en doute.

Mais il faut ajouter de suite qu'avec ce zèle, avec cet élan tout patriotique et tout républicain, il y avait un point essentiel sur lequel l'administration restait toujours inquiète, celui de l'inviolabilité de la Représentation nationale, de son maintien et de sa force, comme seule ancre de salut.

Plusieurs lettres de la Représentation entière du Finistère confirment cette assertion, et nous en trouvons une nouvelle preuve dans la fermeté et le soin que l'administration nouvelle sut mettre à déjouer toutes les entreprises des clubs ou de la commune de Paris, comme des sociétés populaires du département lui-même, toutes les fois que ces sociétés essayèrent de substituer leur action au mouvement régulièrement indiqué par les lois.

L'arrestation de Guermeur, envoyé de la commune de Paris, au moment même des journées de Septembre auxquelles il se vanta d'avoir pris une part décisive, en portant la main sur la malheureuse princesse de Lamballe, fut, sur ce point, un de ces actes les plus fermes et les plus caractéristiques ; mais aussi, comme nous le verrons plus lard, un des actes qui lui furent le plus vivement reprochés par ses adversaires.

De bonne heure, l'administration du Finistère avait senti tout le péril qui allait naître pour la République des dissentiments de la Convention : dès l'époque du procès de Louis XVI elle s'en préoccupa vivement, et ses représentants à Paris ne s'en préoccupèrent pas moins, en lui écrivant le 22 Décembre an II : — « que la Convention était incessamment troublée par les agitations d'une cinquantaine d'hommes pétulants, qui, secondés par les tribunes et les ennemis de la liberté des opinions, semblaient vouloir accélérer la mort du Roi pour usurper, sous une dénomination quelconque, le pouvoir qui allait tomber, et qu'en définitif il appartenait aux départements, déjà éclairés sur ce point par beaucoup de leurs représentants, de surveiller les allures de ces meneurs dans les provinces, et d'aviser aux moyens de conserver à chaque Représentant la liberté entière de ses opinions et de ses votes » [Note : Cette lettre collective des Représentants du Finistère était signée de Gomaire, Marec, M.-C. Guezno, Bohan, J.-T.-M. Guermeur, Kervélégan, Jacques Queinec, et C.-A. Blad ; elle désignait les meneurs de la Convention comme une cabale qui allait toujours dénonçant, calomniant, criant et hurlant contre tout ce qui était droit, juste, régulier et conforme à l'ordre].

Dans les autres départements de l'Ouest et notamment de la Normandie et de la Bretagne les choses ne se passaient pas différemment, et toutes les correspondances privées ou publiques entre les Représentants et leurs commettants envisagaient les choses à ce même point de vue. Le vote définitif sur le sort du Roi trancha cependant bientôt la question d'une manière bien autrement décisive, et nous trouvons au dossier des administrateurs du Finistère, une circulaire du procureur général syndic Brichet aux administrations des neufs districts du département, pour leur demander si les municipalités et les sociétés populaires de leurs ressorts n'avaient pas reçu une lettre du club de Marseille, signée Guinot, président, Maillet et Isouard, secrétaires, par laquelle les Montagnards du Midi, dès le 1er Avril 1793, demandèrent que tous les Représentants qui n'auraient point voté la mort du Roi fussent exclus de la Convention et remplacés par des députés plus à la hauteur des circonstances.

Les tribunes, les jacobins, la commune de Paris et les sections demandaient la même chose, et le flot populaire de plus en plus agité, montant chaque jour d'un nouveau degré, menaçait de tout envahir et de tout renverser.

Les partis étaient eux-mêmes à chaque instant au moment d'en venir aux mains au sein même de l'assemblée nationale.

L'administration du Finistère, qui n'avait cessé de correspondre avec ses représentants, ressentit toutes les alarmes que causait une situation si tendue, avec la noble et vive anxiété de patriotes sincèrement dévoués au bien de la chose publique et qui redoutaient sa ruine.

A l'appel légal qui leur fut fait par le décret du 24 mai 1793, décret qui déclarait la patrie en danger et qui leur demandait l'actif concours des départements, ils répondirent par un arrêté du 30 portant que, pour satisfaire au vœu exprimé par la Convention de voir ses membres maintenus dans le libre exercice de leurs suffrages et de leurs droits, il serait organisé sur le-champ une force armée de quatre cents hommes, à l'effet de se rendre immédiatement à Paris pour y protéger la sûreté de de Convention, celle des personnes, des propriétés et de la fortune publique.

C'était à la fois rester dans la légalité et soutenir la juste cause du droit, puisque la Convention avait dit elle-même, par son décret du 24 Mai, que la Représentation nationale, la fortune publique et la ville de Paris étaient placées sous la sauvegarde spéciale des bons citoyens.

Mais le triomphe des amis de l'ordre ne fut pas long. Renversés aux journées du 31 Mai et du 2 Juin, deux Représentants du Finistère, Gomaire et Kervélégan, arrachés de leurs sièges, se trouvèrent compris dans les actes de violence qui les expulsèrent de l'Assemblée avec les députés les plus marquants du parti de la Gironde.

L'émotion des administrateurs du Finistère fut très vive, et aucun autre département, peut-être, ne fut plus profondément affecté des mesures brutales qui brisaient ainsi l'unité souveraine de la Convention et anéantissaient d'un seul coup le droit et la juste indépendance de chacun de ses membres, et par suite celle des départements qu'ils représentaient.

Les mesures prises par les administrateurs Bretons se ressentirent à la fois de cette indignation et d'un attachement éprouvé aux institutions nouvelles sur lesquelles ils avaient compté pour sauver la patrie.

Un premier arrêté du Conseil général du département réuni aux Conseils généraux du district et de la commune de Quimper, en date du 7 Juin, déclara que :

« La Convention nationale ne jouissait plus d'aucune liberté ;

Que les factieux qu'elle renfermait dans son sein avaient tout-à-fait levé le masque, et que la commune de Paris ne gardait plus aucune mesure ;

Que les Représentants éclairés et fidèles avaient été contraints de se démettre ;

Que vingt-sept Députés patriotes étaient en état » d'accusation ;

Que Gomaire et Kervélégan, députés du Finistère, qui avaient pleinement justifié la confiance de leurs commettants, étaient au nombre de ceux qui étaient décrétés, et que, dès-lors, l'honneur, la justice et la reconnaissance faisaient un devoir aux administrateurs et aux administrés du départemeut de réclamer hautement leur liberté et leur inviolabilité ».

Sur quoi il fut décidé, par les trois administrations réunies du département, du district et de la commune de Quimper, qu'il serait nommé dans le département dix députés, un par l'administration départementale et neuf autres par les neufs districts, pour se rendre auprès de la Convention et y réclamer, avec toute l'énergie de la liberté et de la justice, l'entière inviolabilité des citoyens Gomaire et Kervélégan, ainsi que celle des autres membres de la Convention constitués ou en état d'arrestation.

Acte qui fut immédiatement appuyé par une lettre à la Convention, où les mêmes administrateurs disaient aux députés formant la majorité de l'assemblée, « qu'ils avaient manqué l'occasion d'attacher leurs noms à une gloire immortelle, en ne repoussant pas l'effort des mutins pour maintenir le caractère et l’indépendance de la Représentation ; et que si Paris, un département coupable, avait obtenu devant eux la priorité sur la volonté générale, en violant lâchement la liberté d'un grand nombre de leurs collègues, tous demandaient justice de cet attentat contre la souveraineté du peuple ».

Ce fut là le premier cri de l'indignation publique dans le Finistère. Mais, hommes de cœur et de tête, ces administrateurs, persistant à défendre l'inviolahilité de la Représentation nationale, décidèrent, le 10 Juin (car nous tenons à jeter un jour complet sur cette trop mémorable immolation) « que dans la crise, où l'Etat lui-même était menacé d'une destruction prochaine, le salut de la chose publique résidait uniquement dans l'union et le courage des bons citoyens, et que les députés de la nation appartenant indistinctement à toutes les sections de la République, le peuple avait seul le droit de révoquer les membres investis de ses pouroirs, et que, dès-lors, la Convention, en écartant de son sein trente de ses membres, avait ainsi attenté à l'essence de la souveraineté. Ce qui les conduisait à décider :

1° Que les départements des Côtes-clu-Nord [Note : aujourd'hui Côtes-d'Armor], du Morbihan, de l'Ile-et-Vilaine, de la Loire-Inférieure, de la Vendée, de Maine-et-Loire, de la Manche, des Deux-Sèvres, du Calvados, de l'Orne, d'Indre-et-Loir, de la Vienne, de l'Eure, de Loir-et-Cher, d'Eure-et-Loire, de la Seine-Inférieure et de l'Indre seraient invités à nommer chacun un député qui se rendrait sur-le-champ à Laval, à l'effet d'y former un Comité de correspondance ;

2° Que ce Comité se mettrait en relations avec tous les départements désignés ;

3° Que les autres départements de la République seraient invités à former de pareils Comités et à correspondre avec celui de Laval ;

4° Que des bataillons de fédérés seraient promptement organisés et marcheraient sur Paris pour délivrer les bons citoyens de l'oppression ;

5° Et, enfin, que si la dissolution de la Convention devenait inévitable, le Comité se concerterait sur les moyens de réunir promptement les suppléants à Bourges… ».

Et nommant, pour le Finistère, un député chargé de faire partie de ce Comité, les trois administrations réunies du département, du district et de la commune de Quimper, désignèrent pour ces importantes fonctions, Roujoux, Louis-Julien, accusateur public près du Tribunal criminel du Finistère, ancien membre de l'Assemblée Constituante.

Cet acte fut suivi d'une lettre aux quatre-vingt-quatre autres départements de la République, où l'on invitait ceux-ci à envoyer leurs suppléants à Bourges, avec prière à ces suppléants de ne faire cependant, avant de quitter leurs départements, aucun acte si la Représentation nationale se maintenait intacte.

Les choses n'en restèrent pas là, et l'appel du Finistère, qui se confondit promptement avec celui des autres départements de la Bretagne et de la Normandie, près de laquelle s'étaient réfugiés les députés Girondins qui n'avaient pu être saisis, amena une série de mesures tendant toutes à une résistance prononcée contre les excès du parti dominant de la Convention.

Parmi ces mesures, que nous ne pouvons citer toutes, nous remarquons avec les arrêtés des derniers jours de Mai, qui décidèrent la levée d'une première force départementale fixée à 400 hommes ; — celui du 2 Juin, qui portait cette même force de 400 à 600 hommes, et qui décidait que, si les enrôlements ne suffisaient pas, il y serait pourvu par voie de réquisition. — enfin, celui du 21 juin 1793, qui mobilisait cette force départementale et lui donnait l'ordre de se mettre en route pour Paris, en marchant sous la bannière de la Fédération du 14 Juillet 1790, qui avait été remise aux volontaires du Finistère par les sections de la ville de Paris. — L'ordre des administrateurs du Finistère portait « que les bataillons que le patriotisme des départements dirigeait sur Paris, n'étaient point armés pour combattre les citoyens de cette ville, mais au contraire pour s'unir à la saine portion de ses habitants, afin de cimenter ensemble l'unité et l'indivisibilité de la République, la sûreté des personnes et des propriétés, la liberté, l'égalité sociale, le respect et l'inviolabilité des Représentants du peuple ».

Des souscriptions, des dons volontaires en armés, en vêtements, en objets de fourniment et de chaussure, aidèrent à la levée de ces hommes, et ils se mirent bientôt en route, se tenant aux ordres du département d'abord, mais surtout du Comité central des délégués des départements de l'Ouest, qui s'étaient réunis à Rennes au lieu de Laval, et qui, de là, essayèrent d'activer le mouvement de résistance que les départements de l'Ouest avaient résolu d'organiser pour sauver la Convention de ses propres déchirements ; l'inviolabilité de la Représentation nationale ainsi que l’unitè et l'indivisibilité de la République furent de nouveau proclamées comme les véritables principes de la souveraineté du peuple.

Les meneurs et les Montagnards s'efforcèrent plus tard d'altérer ces faits pour perdre leurs adversaires ; mais nous ne parlons que pièces sur table, et chacun peut juger de quel côté resta le bon droit et le juste sentiment des dangers de la patrie.

Toutefois, les patriotes modérés et les Girondins avaient été défaits et vaincus aux deux journées du 31 Mai et du 2 Juin ; ils le furent également dans la personne des administrations départementales qui se réunirent par leurs délégués, à Rennes, et qui eurent leurs troupes et leurs bataillons à Caen et à Lisieux, où rencontrés par les Maratistes et les envoyés de Paris, ils furent une seconde fois dispersés.

Leur crime ne fut pas d'avoir conspiré contre la République, mais de n'avoir pas été assez forts pour contenir les factieux, pour rétablir l'ordre troublé et maintenir le droit de la Représentation ouvertement violé.

Voici, au reste, ce qui se passa : dès que la résistance avait été résolue dans tous les districts et les départements réunis pour s'opposer aux entreprises de la Montagne, on avait décidé les deux choses demandées par le Finistère : la création d'une force armée et l'organisation d'un Comité central composé des délégués des départements, avec la mission de tout diriger, toujours dans le but de maintenir l'indivisibilité de la République et l'inviolabilité de la Représentation nationale.

Les décisions et les actes du Comité central, sous la présidence de Le Graverend, Roujoux étant secrétaire, témoignent de ce fait, de ce but, de cette pensée. Personne dans le pays ne l'avait jugé autrement, ni les plus ardents Montagnards, qui demandèrent plus tard la tête des administrateurs, ni les Représentants mêmes de la Montagne qui se trouvaient en ce moment en mission dans les départements de l'Ouest. Ainsi Sevestre, Merlin, Gillet et Cavaignac qui, à la date du 14 et du 17 Juin, décidèrent, à Lorient, que l'un d'eux, Sevestre, se rendrait immédiatement près de la Convention pour lui faire connaître tous les maux dont la France était menacée par suite de l'effet désastreux qu'avaient produit dans les départements de l'Ouest les journées du 31 Mai et du 2 Juin (Sevestre était de Rennes) ; — pour lui faire connaître que le mécontentement à cet égard avait été provoqué par les excès auxquels on s'était porté contre la Convention nationale, par suite de la faiblesse qu'elle avait montrée en cédant aux vœux d'hommes armés qui entouraient le lieu des séances ; — que l'indignation s'était accrue surtout lorsqu'on avait vu Marat désigner parmi les victimes celles qu'il croyait dignes de sa clémence.

« Enfin, que la confiance du peuple dans la Convention était étrangement affaiblie, qu'on révoquait en doute si les décrets qu'elle avait rendus depuis le 1er Juin seraient obligatoires ; que dans quelques départements on refusait de les publier ; que les Représentants en mission avaient éprouvé dans plusieurs endroits les dégoûts d'une injuste défiance, et que dans le Finistère leur liberté avait été menacée et leur autorité presque méconnue ; — enfin que la commune de Paris excitait de vives alarmes ; qu'on croyait voir dans ses arrêtés et sa marche le projet insensé de s'ériger en commune dominatrice, et que, pour lui en ravir l'espoir, on s'armait de toutes parts. Actes et assertions qu'ils confirmaient le 19, en accompagnant en grande pompe, jusqu'au passage Saint-Christophe, les Fédérés qui partaient de Lorient pour Paris ».

Sevestre, qui avait rejoint Paris, monta cependant à la tribune le 23 Juin, après s'être concerté avec les membres du Comité de Salut public, non pour confirmer ce qui avait été dit à Lorient, mais pour démentir tout ce qu'il avait avancé avec ses collègues dans les proclamations du 14 et du 17 Juin, et dire que la patrie n'était en danger, que parce que les autorités départementales, au mépris des lois, se permettaient de discuter et de contredire les actes des Comités et de la Convention ; assertions nouvelles que Merlin, Gillet et Cavaignac, qui, de Lorient, s'étaient portés à Nantes, appuyèrent de leur côté par une proclamation datée du 15 Juillet, où, se contredisant à leur tour, ils disaient aussi que les administrateurs de la Loire-Inférieure avaient trahi et outragé la Représentation nationale, en donnant des commandements à Beysser et à Canclaux [Note : Il serait trop long sans doute de reproduire ici l'histoire nouvelle de ces événements ; mais que de choses cependant restent à dire, quand, avec les actes contradictoires de Lorient et d'Ancenis, on voit encore, par une lettre du 7 Ventôse an II, que Bréard et Jean-Bon Saint-André, à Brest, au paroxisme de la terreur, ne savaient pas s'ils pouvaient prendre sur eux de laisser Sevestre et Cavaignac en dehors de l'accusation de Fédéralisme qu'ils allaient porter au Tribunal révolutionnaire de Brest contre les administrateurs du Finistère, Deux correspondances inédites, l'une du représentant Guermeur, qui, avec son collègue Maillaud, quitta le Morbihan au moment même où Sevestre et Cavaignac y arrivaient ; l'autre des députés de la ville de Nantes, chargés de voir à Lorient les Représentants et les généraux Canclaux et Beysser, pour leur ville si vivement menacée par les Vendéens, jettent un jour bien inattendu sur cette grande crise de la Révolution ; — mais, encore une fois, nous ne pouvons nous y arrêter : ce sera pour plus tard].

Toulouse, Lyon, Bordeaux, comme la Bretagne et la Normandie, fortement attachés à la juste inviolabilité de la Représentation, continuaient à demander une éclatante réparation des excès du 51 mai. — La création des Comités et l'organisation des forces départementales auraient pu suffire à tout réparer, et il eût fallu pour cela plus de célérité dans les mouvements, plus de nerf et de concentration dans la résistance. Mais au lieu de suivre le plan indiqué par l'arrêté du Finistère du 10 Juin, qui provoquait la création d'un comité formé d'un seul délégué par département, Roujoux, en arrivant à Rennes, trouva une assemblée nombreuse de tous les délégués des districts et des communes des autres départements qui, dès le 15 Juin, essayaient de se constituer, en reprochant au Finistère de n'avoir pas comme les autres départements envoyé des délégués des communes et des districts. C'était peut-être plus légal, mais était-ce aussi opportun et aussi célère ? — Les événements ne prouvèrent que trop qu'il n'en était rien, et pendant que le Comité formé de ces nombreux délégués délibérait et lançait de Rennes dans le public quelques bulletins, la force départementale du Finistère, isolée, jetée en avant, mais trop faible pour supporter l'effort des bataillons partis de Paris, succombait à Lisieux, à peine soutenue par quelques détachements du Calvados.

Les habiles des Comités et de la Convention ne se trompèrent sur rien de ce qui s'était passé, et réservèrent toute leur haine pour les administrateurs du Finistère.

Nous allons dire comment cette vengeance s'accomplit.

Mais au préalable, disons dans quelles circonstances l'administration du Finistère fut elle-même renversée, et par qui elle se trouva remplacée.

Deux hommes, deux ennemis acharnés, dont les noms sont restés consignés au Moniteur, Blanchard et Vallet, partirent de Carhaix pour Paris, et, s'étant rendus près des Comités de la Convention, agirent pour faire décréter d'accusation les administrateurs du Finistère [Note : Comme toujours, d'ailleurs, il arriva que l'un de ces dénonciateurs était loin d'agir sans motifs. Receveur du district de Carhaix et homme de mauvaises mœurs, Blanchard, au moment de son voyage à Paris, était dans la position la plus fâcheuse qu'un comptable puisse avoir ; en déficit et sans aucun moyen de masquer plus longtemps ses malversations, ainsi que le prouvent les arrêtés et la correspondance de la commission administrative de Landerneau, il avait été conduit à offrir sa démission, et les commissaires envoyés sur les lieux parlaient de le mettre en jugement. Incarcéré après le 9 Thermidor, comme Terroriste, on établit que le déficit de sa caisse était de 20,000 francs. Transféré à la maison d'arrêt de Quimper, il y mit fin à ses jours en s'ouvrant les veines]. Mais un instant l'active et bienveillante intervention des Représentants, qui n'avaient point été décrétés avec les Girondins, parvint à balancer les obsessions des deux Montagnards qui s'attachaient à la perte des administrateurs, quand un des arrêtés du département transmis au Comité de Salut public par des membres du district de Morlaix, qui désiraient s'excuser d'avoir pris part au mouvement, donna un poids nouveau aux intrigues de Jullien, de Paris, et aux plaintes de Guermeur qui avait été détenu pendant plusieurs mois au Château du Taureau, près de Morlaix, comme nous l'avons dit ailleurs. Dès ce moment la perte des administrateurs fut résolue, et le rapport de Barrère à la Convention provoqua le décret du 19 Juillet 1793, portant que dix-huit des administrateurs du département seraient mis en accusation, pour avoir tenté d'avilir la Représentation nationale, d'usurper ou d'influencer l'autorité du souverain en se rendant coupables d'entreprises contre-révolutionnaires.

L'effet de cette mesure fut terrible dans le Finistère, et je trouve que la plupart des districts appelés à désigner, d'après le décret du 19, un de leurs membres pour former la commission administrative qui devait siéger à Landerneau, hésitèrent à faire cette désignation. Pont-Croix, Quimper, Landerneau même se refusèrent d'abord à toute nomination, et quand le district de Landerneau, chargé de suppléer un instant la commission qui devait s'organiser, en eut enfin pris son parti après bien des hésitations, ce ne fut qu'au quatrième tour de scrutin qu'elle put trouver un de ses membres qui consentit à accepter la mission de faire partie de la nouvelle administration qui allait se saisir de la direction des affaires du département. Et quel était ce membre ? L'un des ennemis les plus déclarés de l'ancienne administration, qui avait eu à subir deux ou trois fois les censures les plus sévères pour des sorties injustes et intempestives à la société populaire de Brest, pour des entreprises coupables à l'occasion de la subordination de la première force départementale du Finistère, qui s'était trouvée à la journée du 10 Août.

Toutefois, cette même administration du district pressée de convoquer les assemblées primaires pour l'avis à donner sur la nouvelle Constitution, décrétée depuis la journée du 51 Mai, décida en même temps, c'est-à-dire le 25 Juillet, que le projet de Constitution qui lui était arrivé le 16, serait envoyé aux communes pour qu'elles eussent à se prononcer, le dimanche suivant, sur cette Constitution, ainsi que sur le décret dit 19 Juillet, portant accusation contre l'ancienne administration du département, et elle ajoutait, dans une de ses délibérations, qu'elle espérait que les citoyens de Paris et des Départements, jetteraient leurs armes pour s'ètreindre comme des frères….

Mais ces sympathies et ces résistances, dues à un mouvement honnête, cédèrent promptement devant d'autres considérations, et dès que la commission administrative fut parvenue à se constituer, ce qui n'eût lieu que le 29 Juillet, quoique le décret du 19 eût été promulgué le 24, à Landerneau, il se trouva de suite des hommes ardents et zélés qui se préoccupèrent de recueillir tout ce qui pouvait concerner l'administration déchue et accusée. Un des membres de la Commission administrative, Perrin, partit immédiatement pour Morlaix, afin de savoir ce que devenait la force départementale qui s'y était repliée de la Normandie, et de là, bientôt présent à Carhaix et à Quimper, on le voit occupé de savoir ce que sont aussi devenus les députés Girondins, qu'on dit avoir passé à Rostrenen et dans les landes de Roudouallec, accompagnés de vingt et quelques citoyens de la force départementale, qui les dirigeaient dans leur fuite.

A peine a-t-il signalé la présence de ces députés dans le Finistère, qu'attaché à leurs traces et à celles des anciens administrateurs du département, il épie partout avec quelques-uns de ses collègues la fuite où la présence des anciens administrateurs. Plusieurs missions qu'il se fait délivrer par ses collègues, et dont on trouve le motif dans la correspondance de la commission administrative, nous, le montrent successivement à Carhaix, à Morlaix, au Faou, à Quimper, à Pont-Croix, à Douarnenez, à Brest, chez les représentants et l'accusateur public, partout où il peut trouver un fait qui accuse, une indication qui puisse faire saisir ou découvrir ceux qu'il poursuit. Une fois c'est Guermeur, l'envoyé de la commission de Paris, longtemps détenu, qu'il interroge ou qu'il consulte ; une autre fois ce sont les sociétés populaires et les comités de surveillance au milieu desquels il se porte, pour accuser et surprendre les plus compromis…. Et cependant que lui avait donc fait l'ancienne administration du Finistère ? elle avait tout simplement demandé au général Chevigné, commandant la division militaire, une lieutenance pour lui, en le recommandant très chaudement ; mais elle n'avait pu obtenir cette lieutenance [Note : Correspondance administrative du département].

Quelques instants cependant, malgré le décret du 19 Juillet, malgré les intentions très malveillantes de plusieurs, l'attention des Représentants en mission, complètement absorbée par ce qui se passait à Brest et dans la flotte au moment de la rentrée de Morard de Galle, sembla se détourner des anciens administrateurs du Finistère, et, peu d'entr'eux ayant été arrêtés jusqu'à ce moment, on crut dans le public que l'acte d'accusation tombait de lui-même, et que les dix-huit administrateurs décrétés et leurs collègues seraient oubliés, peut-être amnistiés. L'un d'eux, Baron Boijaffray, qui se trouvait à Paris, se présenta même au Comité de Salut public et obtint de rester libre. La condition de quelques-uns de ceux du Finistère n'avait pas été très différente, et les Montagnards parurent, pour quelques jours au moins, fermer les yeux sur eux et sur le soin qu'ils mettaient à se soustraire aux poursuites dirigées contre eux.

Mais ce n'était là qu'un leurre atroce, qu'un piège tendu à la confiance qu'ils ne cessaient d'avoir dans l'innocence de leurs intentions, comme dans les témoignages d'estime les plus prononcés que ne cessait de leur donner la masse éclairée de leurs compatriotes.

Ce fut ce moment même que Perrin choisit pour se faire envoyer de nouveau à Quimper, à l'effet de rechercher dans les archives de l'ancienne administration tout ce qui pourrait éclairer les actes et les intentions de celle-ci. Il se faisait dire à ce sujet par ses collègues qu'il était pourvu de tous leurs pouvoirs pour organiser et réformer les administrations de l'ancien chef-lieu (lettre du 26 Brumaire an II), pour arrêter Veller du district, N…, maire de Quimper, Mollet, de la municipalité, la femme de Kervélégan, au défaut de sa propre personne, Poulain et Kergariou, de l'ancien département ; — « car il faut agir, ajoutaient-ils, et vous êtes chargé spécialement d'arrêter Granner, chez lequel était logé précédemment le fameux Abgral (du district). Il est indispensable que Guiller et Morvan, ex-administrateurs, soient capturés en même temps ». — Ceux-ci n'étaient cependant pas compris dans le décret du 19 Juillet. — « A votre tour, chemin faisant, vous prendrez, des mesures pour que Le Gac et Prédour soient cernés dans leur retraite, à Châteaulin ; les uns et les autres seront transférés le plus promptement possible en la maison d'arrêt auprès de notre administration. — Brave Sans-Culotte, recevez nos salutations fraternelles et celles de notre ami commun Guermeur. — ROYOU. 11 Octobre 93 ».

C'est ainsi que les arrestations s'étendirent et se multiplièrent bien au-delà des décrets de la Convention, et que les scellés furent mis sur tous les papiers pouvant servir à former un corps d'accusation. Les prisons de Landerneau, de Carhaix et de Morlaix reçurent ces accusés.

C'est le moment où le travail des Représentants et de l'accusateur public du Tribunal révolutionnaire, se confondant dans une même intention, celui-ci et ceux-là demandèrent, partout où ils purent les trouver, les pièces qui devaient servir à faire condamner les administrateurs du Finistère.

J'apprends, par les registres de la commission administrative de Landerneau, que beaucoup de pièces furent ainsi envoyées dans le courant des mois d'Octobre et de Novembre 93, tant aux Représentants qu'au parquet de l'accusateur public. Je vois aussi, qu'à cette même époque, Ragmey, le président du Tribunal, fit avec Perrin un second voyage à Quimper pour rechercher encore quelques pièces qu'on disait avoir été envoyées tantôt aux Représentants, tantôt à l'accusateur public, et qu'on ne retrouvait pas….. C'est enfin à la suite de ce voyage et de ces recherches, et comme s'il avait été inquiet sur l'issue définitive de l'accusation à laquelle il prêtait tant de zèle, que Perrin, sans attendre les débats ni même la mise en jugement, copiant furtivement quelques-unes des pièces qui lui avaient passé sous les yeux, publia coup sur coup deux Mémoires adressés aux vieux bonnets rouges, dans lesquels il récriminait contre les accusés, reprochant aux patriotes d'agir mollement, et de mettre de la tiédeur à purger le sol de la liberté d'ennemis aussi dangereux [Note : Ces deux pièces, l'une de vingt-quatre pages in-quarto et l'autre de vingt-et-une, sorties de l'imprimerie de Teurnier, à Landerneau, s'adressaient surtout aux modérés et aux sociétés populaires, qu'un esprit coupable de modération, suivant Perrin, avait portés à prêter un intérêt marqué aux administrateurs du Finistère. ……« Quelle âme républicaine ne se révolterait pas au projet de sauver des conspirateurs, disait-il, et qui pourrait entendre avec indifférence les doléances répétées par les plus ardents complices des Brissot et des Vergniaud en faveur des administrateurs coupables du Finistère ? ». Et ramassant partout les faits qui pouvaient les accuser et les perdre, « il espérait que dès que le flambeau de la vérité aurait brillé aux yeux des sociétés populaires, elles se hâteraient de désavouer les démarches qu'elles avaient faites pour arrêter ou amortir le coup de la vengeance nationale ». Rien de plus acerbe et de plus notoirement atroce que ces deux actes d'accusation anticipés et perfidement répandus dans le public par un homme qui avait été officiellement chargé de l'arrestation des accusés et de l'inventaire de leurs papiers. Ce trop mémorable monument de la colère et de la perfidie des hommes de parti, qui, en temps de révolution, ne savent même pas s'abstenir de tronquer les pièces qui doivent conduire leurs adversaires à une mort fatale, est devenue bien rare, et je ne sache pas que d'autres exemplaires que ceux qui me fournissent ces citations aient traversé les longues années de troubles dont le souvenir s'efface heureusement parmi nous].

L'acte officiel d'accusation ne tarda pas à suivre ces manifestations, et, dès le 24 Floréal, le président du Tribunal révolutionnaire de Brest, se mettant en devoir de répondre aux ordres de la Représentation et aux désirs longtemps contenus de ses collègues du parquet, à l'impatience encore plus marquée des Sans-Culottes, à la tête desquels s'était montrée si ardente la commission administrative de Landerneau, lança un mandat d'amener contre les trente membres de l'ancienne administration départementale du Finistère, quoique le décret du 19 n'en eût mis que dix-huit en accusation.

Ce fut ainsi qu'on arriva au procès lui-même, qui s'ouvrit inopinément le 3 Prairial an II.

Vainement Morvan et Cuiller, deux des plus jeunes membres de l'administration départementale, avaient-ils demandé, dans le courant de Germinal, de la prison de Landerneau où ils étaient détenus, communication de certaines pièces nécessaires à leur défense ; vainement s'étaient-ils adressés pour cela à la commission administrative d'abord, puis au Comité révolutionnaire de Landerneau : les uns et les autres commencèrent par nier l'existence des pièces réclamées, au nombre desquelles se trouvaient quatre lettres du représentant Guezno, qui avaient été écrites au moment même de la crise du 31 Mai. Vainement Guiller arguait-il du dépôt de ces pièces fait par lui-même, on allégua d'abord qu'elles devaient avoir été adressées aux Représentants et qu'on ne savait ce qu'elles étaient devenues….. Puis, tout-à-coup, on répondit aux accusés qu'on les avait bien vues, mais qu'elles devaient avoir été brûlées avec d'autres pièces bien autrement importantes que l'un des membres de la commission administrative, Du Couëdic, le procureur-général syndic de cette commission, avait méchamment soustraites dans l'intérêt des coupables, et brûlées au moment où cette manœuvre avait été découverte et son arrestation décidée comme partisan des Fédéralistes.

Vainement, de son côté, Expilly, l'ancien évêque constitutionnel du Finistère, écrivait-il de la prison de Morlaix, lettre sur lettre aux administrateurs de ce district, qui avaient été ses amis et ses plus chauds partisans, quand il était curé de Morlaix, pour demander à attendre dans cette ville le jour de son jugement. — On ne fit aucun droit à ses demandes, et bientôt réuni à ses collègues de l'administration du Finistère, il se trouva, lui trentième, sous les verroux de Donzé-Verteuil, renfermé dans les plus obscurs cachots du vieux Château de Brest.

Cette réunion complète des accusés n'eut toutefois lieu qu'un ou deux jours avant leur comparution devant le fatal Tribunal, et nous avons souvent entendu dire à notre propre père, que Moulin, l'un de ses amis, compagnon ordinaire de ses parties de chasse, rejetant loin de lui le conseil qu'on lui donnait de se tenir à l'écart et de ne point se fier à la justice de sa cause pour aller se livrer à ses juges, ne partit de Quimper pour aller partager le sort de ses collègues que dans les derniers jours de Floréal, prenant son chien et son fusil pour faire à pied la route de Quimper à Landerneau.

Le vénérable président de Kergariou n'avait point fait autrement, et longtemps caché dans notre propre famille, chez les Kergos et les De Kerguiffinec, où il trouva un asile assuré contre les recherches dont il était l'objet, ce ne fut que quand il en sortit lui-même, las de cacher son innocence, qu'il fut mis au nombre des détenus.

Cependant quelques-uns des membres de l'ancien département, déjà placés sous l'œil de la commission administrative, et réunis dans une des prisons de Landerneau, ayant eu connaissance des accusations de Perrin et de ses réquisitoires aux vieux bonnets rouges, trouvèrent le moyen de se concerter et de publier eux-mêmes une réfutation de ces méchantes accusations.

Après avoir dit dans quelles circonstances ils publiaient cette justification anticipée, que les vœux formés en leur faveur par plusieurs sociétés populaires rendaient nécessaire encore plus que les attaques d'un commissaire administrateur qui appelait sur eux la vengeance des lois, ils disaient que si une fois, au 10 Août, une autre fois, au mois de Février 93, les hommes armés du Finistère avaient déjà marché sur leurs ordres, c'étaient encore eux qui, lors de l'insurrection du Morbihan, s'étaient empressés de lancer les combattants du Finistère sur les rebelles.

« Des rassemblements considérables de révoltés se forment successivement à Fouesnant, à Saint-Pol, à Lesneven, à Lannilis. Nous nous sommes portés partout, disent-ils, exposés aux balles des révoltés, et partout nous avons comprimé la rébellion. — Pourquoi donc les administrateurs exposaient-ils ainsi leur vie ? — Pourquoi travaillaient-ils avec tant de zèle à éteindre les soulèvements excités de tou» tes parts ? Pourquoi le département surveillait-il avec tant d'activité la poste, la messagerie et les gens suspects ? — Pourquoi était-il, de nuit et de jour, en permanence, longtemps avant qu'elle fût ordonnée par un décret ? — Pourquoi mettait-il en réquisition mille hommes pour réparer les fortifications de Brest ? — Pourquoi tant de mesures sages pour garantir le Finistère et les autres départements de l'invasion des brigands ? — Pourquoi tant de corps-de-garde établis sur toutes les côtes, dans une étendue de près de cent lieues ? — Pourquoi ces trois mille hommes levés par l'administration et placés dans les forts et les lignes qui défendent la ville de Brest ? — Pourquoi ces innombrables batteries élevées sur les rochers de nos rivages et présentant, pour ainsi dire, de toutes parts, l'aspect d'un camp retranché ? ».

Les Représentants eux-mêmes, surpris de tant de zèle et de prévoyance, en témoignèrent leur satisfaction aux administrateurs. Ils voulurent leur faire rendre un plus éclatant témoignage, et deux fois dans un seul mois il fut décrété que l'administration du département du Finistère avait bien mérité de la patrie !

« Devant des preuves de civisme si éclatantes et si multipliées, que devient l'accusation de trahison, de conspiration ? — Oui ! nous conspirons jour et nuit pour le bonheur de la patrie !....

On a voulu frapper l'imagination des lecteurs en leur présentant l'image de l'exécrable Toulon se jetant dans les bras d'un nouveau despote. L'écrivain ne semblerait-il pas vouloir en induire ?.... Non, la plume se refuse à transcrire un pareil soupçon. — Etait-ce donc en multipliant la mort sous les pas de nos ennemis, en la leur présentant de toutes parts sous mille forme différentes, que les administrateurs les invitaient à se jeter dans nos ports ? — Pourquoi ce perfide rapprochement des trahisons du Midi et des erreurs du Finistère ? — Les administrateurs ont, dit-on, trempé dans le Fédéralisme. — Mais le département du Finistère montra-t-il jamais la moindre intention criminelle ? Toutes ces démarches ont constamment tendu à la sûreté de la Convention, au maintien de l'unité et de l'indivisibilité de la République. La preuve évidente de la droiture de ses intentions se montre dans les actes mêmes qu'on lui reproche. On y voit toujours à découvert les motifs qui la font agir. Il est démontré que si les administrateurs du Finistère ont été coupables de quelque genre de Fédéralisme, il n'avait pour objet ni de rétablir la tyrannie, ni d'attenter à l'unité et à l'indivisibilité de la République, mais un but tout contraire. Si les correspondances, si leur zèle les ont égarés, l'erreur n'est pas un crime, et l'erreur promptement reconnue sollicite toujours l'indulgence. ...........

Hommes de bonne foi qui lisez ce mémoire, interrogez votre conscience et prononcez ! Dites si vos administrateurs furent coupables de conspiration ; dites s'il dépendit d'eux de n'être pas victimes de l'erreur ; dites si leurs intentions ne furent pas toujours droites et pures. Le ciel lit au fond de leurs cœurs ; il connaît leur innocence, et ce motif de consolation soutient leur courage au milieu des adversités. Si les mesures générales ont exigé qu'ils perdissent leur liberté, ils trouveront un adoucissement à leurs maux en songeant qu'ils souffrent pour la patrie ; ils suivent de leurs vœux la prospérité de la République, et chantent dans les fers ses succès et sa gloire.

Les anciens administrateurs du Finistère détenus à la maison d'arrêt de Landerneau.

Signé : J.-R. Merienne, — L.-J.-M. Guillier, — O. Morvan, — Y.-V. , — J.-H. , — L.-S Le Denmat, — Bergevin, fils ».

Mais un second mémoire adressé au Comité réuni de Salut public, de sûreté générale et de législation, parut sous la date du 28 Ventôse an II, signé par Doucin, Y. Daniel, Le Gac, Le Prédour , M.-M. M. Brichet, Daniel, Expilly, G. Leroux, Piclet et leThoux, alors détenus à la maison d'arrêt de Brest [Note : Ces autres administrateurs, saisis par les soins de la commission administrative, avaient été de bonne heure dirigés sur Paris ; mais les troubles des départements au-delà, de l'Ile-et-Vilaine, ne permirent pas de leur faire suivre leur destination. Détenus quelque temps à Rennes, ils furent ramenés à Brest]. La rédaction en est évidemment moins ferme et plus contournée. Les malheureux administrateurs sentent qu'ils sont en présence d'un Tribunal exceptionnel, et que le moment n'est pas éloigné où ils auront pour juges des ennemis politiques. Ils essaient de justifier leur conduite, et, préoccupés de leur propre dévouement à la patrie, ils n'admettent pas qu'ils l'aient jamais trahie, tout au plus qu'ils aient été trompés, qu'ils se soient trompés eux-mêmes.

« Ce qui a dissipé notre erreur, c’est le temps, la réflexion, le sentiment ; c'est la comparaison que nous avons faite de la Convention avec elle-même, c'est le rapprochement de son état avant la révolution du 31 Mai, et ce qu'elle est devenue depuis cette époque ; c'est le calme et la majesté soutenue de ses séances, depuis qu'elle a eu vomi de son sein les traîtres qui entravaient sa marche ; c'est l'étonnant prodige qu'elle a opéré, tôt après, en comblant les vœux du peuple par le don instantané d'une Constitution populaire et républicaine .... Alors le bandeau est tombé ; des flots de lumière nous ont pressés, nous avons contemplé avec effroi la profondeur de l'abîme dans lequel on nous plongeait, et voyant le salut public dans l'immortelle et nécessaire Révolution du 31 Mai, nous nous y sommes ralliés irrévocablement avec le caractère de franchise, naturel aux anciens Bretons ».

Pauvres administrateurs ! et la postérité, sévère, même pour les malheureux, aurait ces paroles à leur reprocher ! Est-ce donc qu'ils manquèrent de courage et qu'ils ne surent pas mourir ? Mais non, car la plupart d'entr'eux se sont, eux-mêmes constitués prisonniers, et plusieurs, comme Doucin, ont refusé de s'évader tant ils étaient sûrs de leur dévouement au pays. Mais ces malheureux ont leur famille, des enfants et leurs femmes, et celles-ci abîmées de douleurs rôdent chaque jour autour de leur prison.

« Et, en effet, qu'étions-nous avant la Révolution, comme ils le disent en terminant leur mémoire ? — Tous des plébéiens, tous nés dans cette classe qui était tout aux yeux de la nature et de la raison, et rien pour des castes usurpatrices habituées à l'avilir et à se jouer de ses droits ; tous ne vivant que de notre travail ou de notre industrie.

Que sommes-nous, depuis la Révolution ? Au premier son du tocsin de la liberté, tous, nous nous sommes levés avec le peuple, et chacun de nous, selon ses moyens, a respectivement contribué à toutes ses conquêtes sur le despotisme royal, théocratique et nobiliaire. Depuis, nous avons soutenu de tout l'élan du zéle, de toute l'énergie du civisme, le berceau de la République, et si le triomphe de l'aristocratie n'était pas absolument désespéré, ne serions-nous pas les premières victimes que, dans le Finistère, elle sacrifierait à sa vengeance ?....

Depuis que nous sommes dans les fers, quelle a encore été notre conduite ?.... — Nous avons adhéré, applaudi à tous les décrets, célébré avec enthousiasme les succès de la République. Pendant notre séjour à Rennes, cette communauté est mise en état de siège ; ses murs sont menacés par les rebelles. Accoutumés à tous les sacrifices, non contents de nous être dépouillés de nos manteaux, de nos chaussures, pour les défenseurs de la patrie, nous brûlons de partager leurs dangers ; nous demandons des armes avec les instances les plus pressantes, et nous réitérons aux Représentants du peuple, au Comité de Surveillance, au Conseil général de la Commune, notre offre d'arroser de notre sang les drapeaux de la liberté, heureux d'expier, à ce prix, une erreur étrangère à nos cœurs !

Quels sont ceux qui, depuis nos malheurs mêmes, n'ont pas balancé à se prononcer hautement pour nous ?... Le peuple du Finistère, le peuple entier, réuni en assemblées primaires ou communales, et la majorité des sociétés populaires ont suivi, jour par jour, chacun de nous dans le cours de sa vie politique et de sa conduite, tant révolutionnaire qu'administrative… [Note : Un instant Brest lui-même fut au moment de se déclarer en faveur des administrateurs détenus, et trois sections s'étaient déjà prononcées pour leur élargissement, quand l'avocat Le Hir, membre du district, le chevalier de Massac, commissaire de Marine, et Smith, président du Tribunal civil, qui s'étaient chargés de colporter la pétitition qu'on faisait circuler à cet effet, échouèrent dans la section des quais et dans celle des Sept-Saints, repoussés et poursuivis par les invectives de ceux qu'ils avaient essayé d'intéresser au sort des accusés (Mémoire manuscrit de M. Le Hir)].

Prononcez à votre tour, Citoyens représentants, et confîrmez le jugement de nos concitoyens ».

Cette tardive et vaine justification ne fit qu'accélérer la marche de l'instruction. Le 24 Floréal, Bonnet fulminait l'acte d'accusation qui motiva de la part du Tribunal révolutionnaire une ordonnance de prise de corps contre trente-trois membres et le secrétaire général de l'ancienne administration départementale du Finistère. Et cet acte d'accusation, œuvre infernale ourdie dans le secret, et comprenant dix-sept pages in-folio, ne fut communiqué aux accusés et à leurs défenseurs que le 30 Floréal au soir, à sept heures, par trois copies. — Le lendemain, 1er Prairial, les malheureux comparaissaient à la pointe du jour devant leurs juges.

Le Hir et Riou-Kersalaun, principaux défenseurs, se rendirent immédiatement au château où étaient détenus ces infortunés. Mais comment recueillir leurs moyens de défense dans une si courte entrevue ? Onze d'entr'eux entouraient à la fois Le Hir, lui présentaient leurs notes, en même temps que son collègue Riou recevait, des autres détenus, la confidence des dernières pensées données par ces malheureux au pays et à leur famille.

Parmi eux cependant, étaient ces deux cultivateurs : Postic et Derrien, que la commission administrative elle-même avait cru devoir recommander à la clémence des Représentants, mais que ceux-ci n'avaient point écartés. Ils étaient seuls incapables de rédiger leurs moyens de défense, et Morvan, leur co-accusé, ce jeune et brillant administrateur qui avait une fois disputé à la Harpe le prix de poésie, par une ode sur la mort du prince de Brunswich, s'oubliant lui-même, recueillait avec bonté l'expression de leur simplicité, quand Kergariou et Moulin, qui étaient venus depuis peu de jours partager le sort de leurs amis et se remettre à leurs bourreaux, silencieux et résignés, se confiaient à leur innocence et comptaient sur leur patriotisme pour croire qu'il leur serait rendu justice. — A demain matin sept heures ! se dirent bientôt les accusés et leurs défenseurs. Et les lourds verroux des portes surbaissées de l'ancien château ayant péniblement roulé sur eux-mêmes, quelques pâles lumières qui dissipaient à peine l'humide obscurité des voûtes noircies de la prison, s'éteignirent…

Le lendemain, 1er Prairial an II, dès six heures du matin, des piquets de l'armée révolutionnaire gardaient tous les carrefours ; une force considérable s'était portée vers le château. Ses ouvrages avancés ayant bientôt été franchis, on vit arriver à l'ancienne chapelle de la Marine, entre une haie d'hommes armés, les trente-quatre administrateurs du Finistère. Les mots justice du peuple, gravés sur une plaque en cuivre, se lisaient au front de l'édifice. C'est là que siégeaient Ragmey, Verteuil, Bonnet, des juges et des jurés, commis à l'œuvre régénératrice qui se poursuivait alors sur tous les points de la France. Élevés sur une estrade ombragée des trois couleurs, les vengeurs du peuple avaient le bonnet phrygien en tête et siégeaient où avait reposé autrefois l'autel du sacrifice. Ayant fait placer des gradins à leur droite, ils y firent asseoir les accusés, chacun ayant deux gendarmes à ses côtés, le sabre nu, et soutenus par de nombreux piquets de l'armée révolutionnaire qui gardaient les issues de l'auditoire. Quant aux défenseurs, placés loin de leurs clients, toute communication leur était interdite avec eux.

Les deux premiers jours furent employés à la lecture d'une foule immense de pièces, d'arrêtés, d'adresses, d'extraits de registres, dont les défenseurs n'avaient eu aucune communication. Ragmey pendant ce temps promenait ses yeux étincelants sur l'assemblée saisie d'un sombre effroi, et si quelques-uns des accusés ou leurs défenseurs tentaient de faire une observation sur les arrêtés et les actes qui leur étaient imputés à crime, il leur permettait à peine de s'expliquer et faisait passer outre à l'audition des témoins.

Voici au reste quel était cet acte d'accusation :

Enumérant les faits de la cause, il exposait « que des excès, des actes de conspiration et de contre-révolution avaient été commis dans le Finistère ;

Que les anciens administrateurs du département avaient tenté d'avilir la Représentation nationale, d'usurper ou d'influencer l'autorité du Souverain, et de s'être livrés à des entreprises contre-révolutionnaires ;

Qu'ils avaient soutenu la cause de la contre-révolution en idolâtrant les Girondins et les Brissotins, ennemis jurés de la patrie ; — qu'ils avaient égaré et trompé indignement leurs administrés sur leurs véritables intérêts ; et que, pour arriver à leurs fins, ils avaient disposé des caisses publiques, disposé des forces de terre et de mer, fédéralisé la République, prêché et donné l'exemple de la révolte contre les autorités, contre la Constitution ; qu'ils avaient opprimé à outrance les citoyens qui avaient mission du gouvernement pour la subsistance des hommes libres ; qu'ils avaient forcé le citoyen à marcher contre le citoyen, en calomniant la ville de Paris et la Représentation nationale, en cherchant à avilir et à dissoudre celle-ci, en menaçant celle-là d'une destruction calculée par l'aristocratie et le royalisme ; en se concertant pour l'affamer et lui couper toutes les voies qui pouvaient lui procurer des subsistances, etc., etc. ».

Faits qui s'appuyaient tous sur des actes et des pièces nombreuses, dont l'accusateur n'avait, disait-il, que l'embarras du choix, et desquels en effet il cita successivement plusieurs fragments qui forment, dans leur ensemble, l'énoncé assez exact des mesures qui, du 7 Juin au 24 Juillet, jour où le décret d'accusation du 19 fut connu dans le Finistère, avaient été prises par les administrateurs du département pour la résistance aux actes arbitraires de la Convention.

Là, en effet, était tout le procès, et les accusés, non plus que leurs défenseurs, n'avaient garde de nier les faits. Seulement ils protestaient de leurs intentions et de leur patriotisme, et s'appuyant sur le premier acte de leur résistance, la création d'une force de 400 hommes mis sur pied pour répondre au décret du 24 Mai, qui plaçait Paris et la Convention sous la sauvegarde des bons citoyens, ils protestaient n'avoir rien eu en vue que le salut de la patrie, l'indivisibilité de la République et l'inviolabilité de la Représentation.

Comme eux, l'accusateur public partait aussi des mêmes faits, des mêmes actes et de l'arrêté du 30 Mai, mais en disant que les administrateurs du Finistère avaient méchamment supposé la Représentation nationale dans une crise de danger pressant, tandis que leur but n'avait été que d'attaquer la Montagne et la ville de Paris, en disant qu'ils voulaient balayer de la terre de la liberté cette minorité impure qu'ils prétendaient couverte de tous les crimes, fait atroce et contre-révolutionnaire, disait Donzé-Verteuil, qu'il regardait comme un plan de contre-révolution compliqué, et dont tous les ressorts, suivant lui, avaient été organisés de sang-froid et dans un but de destruction, calculé par l'aristocratie et le royalisme.

Cette accusation et la lecture des pièces qui avaient été recueillies pour l'appuyer ne demandèrent pas moins de deux jours, et ce ne fut que le 3 Prairial que les accusés et leurs défenseurs purent trouver le moment de réclamer la parole. —
Riou et Le Hir s'étaient concertés sur la défense de leurs clients : le premier devait exposer les moyens généraux de la cause, pour arriver aux faits relatifs à chacun des accusés. Mais à peine a-t-il essayé de parler du patriotisme des prévenus, à peine s'avance-t-il à dire hypothétiquement « que si les accusés n'ont eu d'autre but que le salut public, s'ils n'ont été animés que par le salut de la patrie, … » — que Ragmey l'interrompant brusquement, s'écrie : — « Avant que tu ailles plus loin, citoyen défenseur, le Tribunal a besoin de connaître tes opinions personnelles sur les arrêtés de cette administration… » — Riou resta interdit et ne put répondre….. — « Le Tribunal, reprit Ragmey, t'interpelle et te demande si tu ne regardes pas ces arrêtés comme liberticides, parce que, d'après ta réponse, il a peut-être des mesures à prendre contre toi ».

Riou continua à garder le silence : il ne put, à partir de ce moment, présenter d'autres considérations que celles qui parlaient en faveur de la moralité personnelle de ses clients. — Le Hir ne put et n'entreprit rien autre chose.

Morvan, ce jeune patriote si plein d'énergie et de dévouement, voulut cependant ajouter quelques mots à la défense que Le Hir avait prononcée en sa faveur ; mais Ragmey lui coupa précipitamment la parole, et lui dit, à lui et à son défenseur — « Que le Tribunal ne les écoutait plus ! ».

Vainement, dans un autre moment, Le Hir, parlant de Cuny, l'un de ses clients, cite-t-il les onze enfants de cet administrateur, les services et les blessures auxquels il doit de s'être élevé du rang de simple soldat au grade de capitaine d'artillerie ; c’est à peine s'il peut continuer au milieu des murmures qui élouffent sa voix. Enfin, arrivant à la défense des deux cultivateurs Postic et Derrien, que leur éducation et toute leur vie rendaient étrangers aux affaires publiques, leur conseil put faire valoir avec un peu moins d'entraves les faits qui militaient en leur faveur ; — mais à quoi servirent aussi les considérations particulières que Le Hir présenta en faveur de l'un des membres du département, qui s'était trouvé absent lors des mesures qui firent incriminer ses collègues. Vainement objecta-t-il que la signature de cet administrateur ne se trouvait apposée à aucun des arrêtés servant de base à l'accusation. Ragmey n'en procéda pas moins à son résumé, et comprenant tous les prévenus dans la même accusation, il s'obstina, malgré l'objection d'un alibi, à ne poser que les deux questions suivantes :

« 1° Est-il constant qu'il a existé une conspiration contre la liberté du peuple français tendant à rompre l'unité et l'indivisibilité de la République, à allumer le feu de la guerre civile, en armant les citoyens les uns contre les autres, en les provoquant à la désobéissance de la loi, et a la révolte contre l'autorité légitime de la Représentation nationale ;

2° KERGARIOU, — BRICHET, — AIMEZ, — MORVAN, — GUILLER, — BERGEVIN, — DUBOIS, — DOUCIN, — BERRIEN, — POSTIC, — CUNY, — LE PRÉDOUR, — DANIEL-KERSAUX, — EXPILLY, — LE ROUX, — HERPEU, — MÉRIENNE, — MALMANCHE, — BANÉAT, — LE PENNEC, — LE THOU, — DÉNIEL, — MOULIN, — LE GAC, — PICLET, — LE DENMAT, — BIENVENU, - DESCOURBES, — Julien PRUNÉ — et François LE CORNEC sont-ils convaincus d'être auteurs ou complices de ladite conspiration ? ».

C'est en vain que Brichet, Bergevin, Morvan, Mérienne et leurs défenseurs s'élèvent contre cette monstrueuse et atroce confusion ; c'est en vain qu'ils invoquent la loi en forme d'instruction, du 21 Octobre 1791, qui veut que — « les jurés examinent la moralité du fait, c'est-à-dire les circonstances de provocation, d'intention, de préméditation qu'il est nécessaire de connaître pour savoir à quel point le fait est coupable, et pour le définir par le vrai caractère qui lui appartient ». — Il y a une autre loi révolutionnaire du 26 Frimaire an II, article 24, qui porte, en principe, « qu'il ne sera point posé de question intentionnelle sur les faits qui auront été articulés dans les débats ». — Avant que le jury fût rentré dans la salle d'audience, on avait entendu des chevaux et des charrettes de réquisition, demandés par Ance, le bourreau, à un administrateur du district, entrer dans les cours qui avoisinaient le Tribunal. — Enfin, les sicaires sortent de leur antre ; — leurs regards soucieux n'annoncent que des malheurs !

La première question, celle de la conjuration, est résolue à l'unanimité.

La deuxième question l'est aussi dans sa généralité, et sans distinction en faveur de tel ou tel accusé, quels qu'aient été sa position et ses précédents. — Des avis secrètement répandus disaient bien que Malmanche, Cuny, Postic et Derrien ont été un instant au moment d'être sauvés, mais d'autres les ont réclamés [Note : Nous avons en mains une lettre de l'un des hommes qui siégea comme juré dans cette affreuse affaire, et il dit que ses raisons et son opinion sur la nécessité d'acquitter les deux cultivateurs Postic et Derrien furent inutiles ; que leur arrêt était prononcé ; qu'ils devaient périr].

Bienvenu, Descourbes, Julien Pruné et François Le Cornec sont seuls acquittés sur la déclaration du jury portant, qu'ils ne sont point convaincus d'être auteurs ou complices de ladite conspiration.

Quant à Poulain et Baron-Boisjaffray, qui étaient en ce moment retenus à Paris sur parole, et à Le Goazre qui, en se cachant, s'était soustrait aux poursuites dirigées contre lui, ils furent laissés hors de cause et durent leur salut à leur absence.

Le verdict du jury étant ainsi proclamé, Ragmey, se levant avec solennité, reprit la parole après que l'accusateur eut fait ses réquisitions et prononcé la mort des condamnés par application des lois du 16 Décembre 1792 et 26 Juin 1795, et la confiscation de leurs biens en vertu de la loi du 10 Mars même année ; puis il ordonna :

« Qu'à la diligence de l'accusateur public, le présent jugement, quant à la peine de mort, serait exécuté dans les vingt-quatre heures sur la place du Triomphe du Peuple, imprimé, publié, affiché en français dans toute l'étendue de la République, et en breton dans le département du Finistère.

Et un crêpe funèbre, dit l'honorable défenseur, à la bienveillance duquel nous devons presque tous ces détails, sembla voiler le sinistre Tribunal. — L'heure des ombres s'approchait avec l'heure dernière des martyrs ; toutes les poitrines étaient haletantes, et quand on entendit prononcer, sur l'honneur et la conscience, l'égorgement des vingt-six administrateurs, l'effroi fut à son comble .... Courageux Bergevin, intrépide Mérienne, énergique Guiller, brave Moulin, je n'oublierai jamais vos dernières paroles : Scélérats ! notre sang retombera sur vos têtes ! ...

.... Mes sens étaient glacés, continue l'honorable déffenseur, à la place duquel nous ne saurions nous mettre, et je ne sais comment je retrouvai ma demeure. — Je m'enfermai pour rendre compte de ce terrible événement à une femme de grand cœur qui s'intéressait au sort de l'innocence ; je ne pouvais m'exprimer qu'en mots entrecoupés, et ses larmes me laissaient sans force, quand un bruit sourd nous fit courir à la fenêtre .... Ciel ! c'étaient les vingt-six administrateurs, pressés dans deux charrettes, en corps de chemise, la tête nue, les cheveux coupés et les mains derrière le dos ..... Je ne pus croire à tant de rage, à tant de célérité. L'impression de la douleur me laissa sans force ».

Malheureux ! plusieurs d'entr'eux chantaient la Marseillaise et criaient : Vive la République ! Et quand presque tous songeaient sans doute à leurs familles, à leurs nombreux enfants, comme Cuny et Piclet, au milieu d'eux était Expilly, longtemps décoré du sacerdoce et que les bourreaux avaient été prendre sur son siège épiscopal. Une autre fois encore, il avait vu Brest (c'était au commencement de 1791), et faisant alors sa première entrée dans son diocèse, il avait été reçu dans ces mêmes rues et sur ces mêmes places avec des fleurs et des arcs de triomphe. Comme à l'aurore d'une paix annoncée au nom du ciel, il avait entendu des hymnes d'allégresse. — Hélas ! aujourd'hui il est garotté sur un tombereau, et, à sa suite, il y a un bourreau, du peuple, des femmes en haillons et des enfants qui exhalent de longs cris de vengeance.

Les victimes sont promenées par les carrefours de la ville, et au lieu d'arriver à la place du Triomphe du Peuple, comme l'appelle Ragmey, par la rue Saint-Yves, qui y conduit directement, on les dirigea par la rue du Château, le long de laquelle s'alignent les troupes révolutionnaires qui se sont emparées de Brest. — Et, insultant à leur misère, les égorgeurs leur ont offert un repas splendide que l'Hospice avait été chargé de préparer, personne en ville n'ayant voulu accepter une aussi triste mission.

L'échafaud se trouva dressé à sa place habituelle, non loin de la porte orientale du château, avec un soin tout particulier. Sur son pourtour, on avait établi une ceinture de planches que le public ne devait pas passer. Un vaste entonnoir, peint en rouge, était disposé près de la fatale bascule, et une trappe était ménagée, sur l'échafaud même pour faire tomber dans des charrettes la dépouille des administrateurs.

Toutes ces mesures étaient-elles une sûreté prise par les égorgeurs ou Ance, le bourreau, qui, dès leur entrée au Tribunal, avait dit que les administrateurs étaient à lui ; se serait-il ainsi étudié à disposer avec art le crime qui souriait à sa fanatique férocité .... Je ne sais, mais il fut dit aussi que Ance rangea avec raffinement la tête ensanglantée de chaque supplicié devant les yeux de ceux qui attendaient leur tour. Et toutes ces choses sont croyables, toutes ressortent des faits mêmes, et appartiennent à cet ordre d'idées qui conduisait Carrier et ses acolytes à s'enivrer des chants de l'orgie sur les galiotes de Lambertye ; à ce même ordre d'idées qui conduisait les jeunes gens de Rennes à demander l'honneur d'exécuter les jugements à mort d'une troupe de bourreaux ; à cet ordre d'idées enfin qui conduisit d'autres jeunes hommes, alors enfants, à courir, chaque jour, du tribunal au champ d'exécution, où, avides de tout voir, ils ont tout remarqué sans rien laisser échapper de la tradition de ces tristes jours.

Ainsi périrent, le 3 Prairial an II (22 Mai 1794), les vingt-six administrateurs du Finistère que nous avons suivis ailleurs dans leurs actes de dévouement et de patriotisme. — A leur tête, et comme président, était Kergariou, homme de mœurs douces et élégantes, âgé de 69 ans , qui avait fourni dans les armes une longue et honorable carrière qui lui avait valu le grade de maréchal-de-camp. Plusieurs fois, depuis qu'il était à la tête des affaires du département, il avait offert le service de son expérience et de son épée à la patrie.

Un autre vieillard de 72 ans, Le Thou, juge au tribunal de Quimper, partagea son sort et fut du nombre des vingt-six administrateurs sacrifiés, ainsi que deux pauvres cultivateurs de l'arrondissement de Quimperlé, Postic et Derrien, qui n'avaient même pas la première idée d'un débat judiciaire et qui s'exprimaient à peine en français.

Pourquoi Descourbes, chaudement recommandé par les sociétés populaires du district de Quimperlé, échappa-t-il au sort de ses compagnons ;  — pourquoi Baron-Boisjaffray, également recommandé par Perrin, quoiqu'il eût signé comme président intérimaire la levée de la force armée du Finistère, parvint-il à sauver sa tête ? nous ne saurions le dire, et nous ne pouvons aujourd'hui que faire remarquer le bonheur inespéré qu'eurent ces deux très honorables citoyens de sortir sains et saufs des mains des bourreaux.

Ce fut donc ainsi, sans pitié et sans aucun retour vers le passé, sans aucune considération pour le service signalé que ces habiles administrateurs avaient rendu à la République en conservant Brest et le Finistère purs de chouannage et de rébellion, sans aucune considération pour la position particulière de quelques-uns d'entr'eux, que Jean-Bon Saint-André et Prieur les immolèrent comme des ennemis de leur pays. Hé ! que ne regardèrent-ils donc alors et la rade et le port de Brest, qui s'animaient du mouvement de trente et quelques vaisseaux de ligne armés en quelques mois ? — Qui avait donné cet élan et préparé ces merveilles, en même temps que les enfants du Finistère volaient à la frontière du Nord, à Saint-Domingue [Note : De l'un de ces bataillons, composé de 800 hommes, il n'en revint qu'une trentaine], dans la Vendée et partout où on eut besoin de leurs bras ..... Mais avec l'honneur du pays et un vif sentiment de la nationalité, ces hommes eurent au cœur quelque chose de grand et de sublime : — ou nous sauverons la République, ou nous périrons avec elle, s'étaient-ils dit en apprenant le résultat des journées du 31 Mai .... et ils s'étaient armés contre la Montagne !

Mais une dernière injure devait être faite à leur mémoire, et ce fut l'accusateur public Donzé-Verteuil qui s'en chargea. Il écrivit, le 6 Prairial an II, au Journal de Paris, N° 520, une lettre où on lit le passage suivant : — « Avant-hier, vingt-six administrateurs du Finistère ont porté leurs têtes sur l'échafaud. Ces Messieurs voulaient donner la ci-devant Bretagne aux Anglais ! ».

Que pourrions-nous ajouter à cette infâme et dernière injure de l'accusateur public ! — Lui et les Représentants avaient successivement essayé de dire que les administrateurs du Finistère avaient conspiré contre la République, avaient conspiré avec la Vendée et les royalistes, avaient conspiré avec l'aristocratie et l'étranger ..... Mais aucune de ces assertions n'avait pu résister à la noble indignation des accusés, à leurs chants et à leurs cris de Vive la République, proférés jusqu'au pied de l'échafaud. — Verteuil osa dire qu'ils avaient vendu, leur pays ! — Non, leur crime fut bien plus grave aux yeux de la Montagne : ils avaient défendu la loi et la juste inviolabilité de leurs Représentants ! — Mais aujourd'hui que nous sommes loin de ces jours si sombres, comment croire que le généreux sacrifice de ces vingt-six administrateurs, morts martyrs de leur pieuse religion en faveur de l'ordre et du droit, ne recevra pas enfin sur l'une de nos places publiques, le témoignage éclatant de la sympathie des générations nouvelles, qui, au lieu de ne voir en eux que des victimes de nos désordres, doivent y voir surtout, comme la justice et la vérité le veulent, des citoyens désintéressés qui s'étaient armés au nom de la patrie en danger, décret du 24 Mai 1793, et sont tombés à son appel sous les coups d'une faction qui désola longtemps la France.

Comment, au lieu de persister à ne voir en eux que les membres dispersés d'une faction malheureuse et vaincue, ne pas apercevoir qu'ils cimentèrent de leur sang cette large base de l'ordre et de l'autorité, contre laquelle se sont arrêtées de nos jours ces doctrines subversives du communisme et d'une sauvage égalité, qui tuèrent d'un seul coup les plus nobles élans du cœur et les plus sublimes conceptions de l'esprit ! Affreuse doctrine qui prend sa source dans les excès de tous genres que commirent les Terroristes de 93 ! Non, encore une fois, ce ne furent ni des rebelles, ni des hommes de parti, ces administrateurs de courage et de cœur, qui, dévoués au maintien du droit et de l'autorité qu'ils représentaient, périrent au nom de la loi. Vous leur devez une réhabilitation et un monument, car leur cause est bien autre que celle des Girondins. Elle fut surtout celle du droit et de l'obéissance aux décrets de la Convention avant la dispersion d'une partie de ses membres, et si d'autres administrateurs, aujourd'hui que la paix s'est faite pour tous, pouvaient ne pas se rappeler les circonstances dans lesquelles ces têtes tombèrent, il faudrait désormais renoncer à faire du dévouement à la patrie une vertu réelle et digne de respect.

Espérons que notre pays ne sera jamais ni si indifférent ni si oublieux, qu'il ne comprenne plus que sans cette énergie du devoir il n'y a ni ordre ni gouvernement possible.

(Armand du Chatellier).

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