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BREST ET LE FINISTÈRE sous LA TERREUR

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Derniers jugements du Tribunal révolutionnaire : — Belval, — Raby, — Le Bronsort, — Toullec, — Rideau, — Moreau, — Kerangouëz, — Guiller, — Les dames de Coatanscour, etc. , etc. — Fête du 14 Juillet. — Agapes et repas public sur le Cours d'Ajot.

Les Tribunaux révolutionnaires, la Montagne et les Terroristes, à Brest, comme à Paris, comme à Nantes, comme à Arras, à Lyon, à Avignon, partout où le parti triomphait, n'eurent plus ni mesure ni résistance pour les arrêter. Une première loi du 26 Frimaire an II, avait dit que le posé de la question intentionnelle était inutile, et que la constatation du fait laissait au juge tout droit d'en décider pour les accusés. Un rapport de Couthon, et une loi du 22 Prairial élargirent encore les voies et les dégagèrent de toute importunité de la part des défenseurs. Cette loi établissait : « que s'il existait des preuves matérielles ou morales du fait avancé, il ne serait pas nécessaire d'entendre de témoins, et que les défenseurs officieux seraient supprimés ; — que cinq voix sur neuf ou quatre sur sept suffiraient pour entraîner la conviction du crime, et, enfin, que la seule peine à prononcer par les Tribunaux révolutionnaires serait LA MORT ! ».

C'est à ce moment qu'une scène assez étrange, prélude d'autres immolations méditées contre les administrateurs du district et de la ville de Brest, qui n'avaient pas assez soigneusement caché leurs sympathies en faveur des anciens administrateurs du département, se passa dans le cabinet du représentant Jean-Bon Saint-André, au moment où l'accusateur public Donzé-Verteuil s'y trouvait pour y prendre mot.

Le proconsul et son agent étaient en conférence, quand un huissier vint annoncer au Représentant qu'un membre du Conseil général de l'administration du district demandait à entrer.

— Ah ! c'est toi, Bermond ! que me veux-tu ?

Et à peine le membre du district eut il dit quel était l'objet de sa requête, que Donzé-Verteuil, qui n'avait cessé de le fixer, interrompant tout à coup le Représentant lui-même, et s'adressant à Bermond, lui dit dans le langage courant du temps.

— Tu te nommes Bermond ?
— Oui.
— Parent de Blad (l'un des Représentants du Finistère et de Brest lui-même) ?
— Oui.
— Eh bien ! tu dois le savoir, nous avons un compte à régler ?
— Et lequel, reprit Bermond ?
— N'étais-tu pas à Paris le jour du rapport d'Amar sur la création des tribunaux révolutionnaires ?
— Oui.
— N'as-tu pas vu ton parent Blad ce jour-là ?
— Oui.
— N'as-tu pas été à sa chambre en toute hâte et n'y as-tu pas brûlé des papiers ?.... — N'es-tu pas parti ce même jour de Paris et n'es-tu pas vénu ici à Brest, où tu as fait également brûler sa correspondance avec la municipalité ?
— Non, répondit Bermond, non ! Tu en as menti ! Je te défié de rien prouver de cela…. Et Verteuil, comme abasourdi, regardait Jean-Bon Saint-André qui riait aux éclats, en lui disant : — Eh bien ! en voilà un au moins qui sait te répondre………

Bermond sauva sa tête par son audace, en niant heureusement tout ce qui s'était passé entre lui et Blad, au moment où celui-ci, craignant pour sa liberté et pour ses jours, avait prié son parent de détruire tout ce qui pourrait le compromettre. — Après le triage et le brûlis des papiers de Blad à Paris, Bermond, courant sur la route de Paris à Versailles, y avait épié un courrier qu'il savait être son compatriote et ancien domestique de la famille Guilhem, à Brest. — Reconnu de lui à la tombée du jour, heure habituelle du départ, cet honnête courrier, malgré la consigne expresse de ne prendre aucun voyageur, donna place à Bermond à côté de lui, et celui-ci était à la porte de Brest, avant que l'ordre de saisir la correspondance de Blad avec les officiers municipaux, ses compatriotes, pût être connu des Représentants. Bermond s'aboucha sans retard avec le greffier de la commune, et tout ce qu'il y avait de compromettant fut enlevé et brûlé ; on ne laissa que les lettres très-secondaires qu'on retrouve encore aujourd'hui dans le dépôt de la ville de Brest [Note : Bermond, pharmacien et chimiste distingué, était, au moment de cette scène, président de la commission des salpêtres, chargé d'organiser les nombreux ateliers où l'on préparait toutes les matières utiles à la fabrication des poudres. Cette importante circonstance dut l'aider beaucoup à échapper a la griffe de Donzé-Verteuil].

Ce furent au moins quelques têtes de sauvées ; mais toutes ne pouvaient l'être, et déjà, saisis et détenus, Raby, — Le Bronsort, — Rideau, — Toullec, — Moreau, le père du général, — Malescot de Kerangouëz, — Belval, de l'ancienne administration, — Kerjégu — et plusieurs autres furent successivement traduits au fatal Tribunal, condamnés et exécutés. Leur crime fut d'avoir appartenu aux anciennes administrations du département, d'avoir secondé ou approuvé la résistance du mois de Juin 93, d'avoir été liés, de près ou de loin, avec les anciens administrateurs, d'avoir été sympathiques à ce qui était honnête, ou, suivant la jurisprudence des tribunaux révolutionnaires, d'avoir conspiré contre la liberté et la sûreté du peuple Français.

Vainement Le Bronsort, ancien secrétaire de la municipalité, — Toullec, administrateur de l'hospice et du district de Brest, — Rideau, ancien prêtre, administrateur du département de l'Indre, retiré à Brest, eurent-ils pour eux toutes les sympathies de leurs anciens administrés, qui témoignaient hautement du parfait dévouement qu'ils avaient mis dans la gestion des affaires publiques de la ville et du district de Brest ; tout cela fut sans valeur aux yeux de leurs adversaires, et ceux-ci, non plus que les Représentants, non plus que Perrin, qui prit le soin de les accuser publiquement dans son premier Mémoire, ne leur pardonnèrent de s'être fédérés avec l'ancienne administration du département, d'avoir fait incarcérer au Château deux délégués du Pouvoir exécutif, arrivés à Brest dans les derniers jours de Mai, pour faire de la propagande en faveur de la Montagne ; d'avoir enfin contrarié Cavaignac et Sevestre dans leur mission à Brest, et d'avoir rendu leurs efforts de propagande à-peu-près nuls.

Quant à Belval, qu'on savait s'être très activement employé à la fuite des Girondins, à leur embarquement pour Bordeaux, vainement trompé par la promesse fallacieuse des représentants et de l'accusateur public, s'était-il laissé aller à des confidences compromettantes pour lui et pour ses amis ; vainement avait-il ajouté à ces imprudents aveux une rétractation en règle de ses erreurs passées et la protestation écrite de son retour à la foi nouvelle des meneurs ; — tout cela ne servit à rien. — Traduit devant ses bourreaux le 18 Thermidor, quand la chute de Robespierre était déjà connue à Brest depuis le 13, il fut condamné à mort pour avoir conspiré contre l'unité et l'indivisibilité de la Republique, la sûreté et la liberté du peuple Français, en accusant de tyrannie la Convention et les Ministres, en favorisant l'évasion de Pétion et autres députés déclarés traîtres à la patrie !

Acte de haine et de basse vengeance qui attaquait un des patriotes qui s'étaient le plus sincèrement dévoués à la cause de la Révolution. — Qui, de tous les jeunes hommes actifs et dévoués de Brest, aurait pu dire en effet qu'il avait fait pour la Révolution et ses concitoyens plus que Belval lui-même. Toullec, le jeune Raby et quelques autres qu'on avait vus comme lui dans la milice nationale, dans les administrations locales et les assemblées primaires, animés de cet élan irrésistible qui les poussait vers toutes les situations périlleuses de ces difficiles moments, pouvaient avoir eu autant de zèle que lui, pouvaient avoir encouru autant de haines, amassé autant de dangers sur leur tête, aucun d'eux n'avait aimé la patrie d'un amour plus complet et plus filial.

Adonné de bonne heure aux pénibles travaux de l'administration de la marine où il avait conquis une position honorable, on l'avait vu, dans les premiers mouvements de la Révolution, s'employer activement à la fondation de la société populaire de Brest, qui procéda elle-même à l'organisation de la milice de cette ville. Successivement secrétaire et président de cette société, on l'avait vu préparer ou diriger tous les actes importants de la ville de Brest. Membre des assemblées primaires, il en avait été le délégué d'affection pour la création de toutes les administrations locales et du département lui-même. Lors des premiers troubles survenus en 1792, à la suite de la levée des 300 mille hommes, ce fut à lui encore que ses concitoyens, en créant une compagnie de dragons volontaires, remirent le commandement des jeunes hommes qui devaient contenir la rébellion. De là à l'administration départementale il n'y eut qu'un pas, et mêlé à tout ce qui se fit dans le Finistère en faveur de la Révolution, on le trouve successivement s'employant sans réserve à l'accomplissement de toutes les mesures que les circonstances faisaient regarder comme un moyen de salut public : soit la compression et l'arrestation des prêtres réfractaires, soit l'arrestation des suspects, le séquestre des biens des émigrés, etc., etc. Enfin, un jour, les amis de la royauté ayant cru utile d'enlever Louis XVI à la fureur des partis et de l'entraîner loin de la France, ce fut encore Belval qui, se trouvant comme président à la tête de la société populaire de Brest, fut le premier à déclarer qu'il ne voulait plus de Roi et qu'il refuserait tout serment au chef de l'Etat ...

La population et la société populaire de Brest, entraînées par ces vives paroles, décidèrent qu'une couronne civique serait appendue à son fauteuil .... Mais à quoi servirent tous ces entraînements de la faveur publique, à quoi lui servit à lui-même d'avoir, dès la fuite de Varennes, hautement déclaré qu'il ne voulait plus de Roi. — Ceux qui surent préparer et amener le 21 Janvier ne s'arrêtèrent même pas à la chute de leur chef, et, le 18 Thermidor, ils se regorgeaient encore à Brest du sang de l'un des jeunes citoyens qui avaient fait le plus pour la Révolution, mais qui en l'aimant de cette sainte piété du devoir, s'étaient constamment prononcés contre tous les excès qui devaient la déshonorer.

Combien de pieuses et d'innocentes victimes furent ainsi sacrifiées à cette affreuse idole de quelques jours qu'on appela la Montagne, et qui par un juste sentiment de ses instincts atroces s'appela avec tant de raison la Terreur. Affreux Saturne qui dévora ses plus chers enfants, et qui compta pour rien tous les sacrifices qu'ils s'étaient imposés !

A-peu-près en même temps périssait Gabriel Moreau, ancien juge du district de Morlaix, Père d'un fils qui devait rendre et rendait déjà de si grands services à la tête des armées, on trouve et l'on établit qu'il avait correspondu avec les ennemis du peuple et qu'il avait fait passer des secours en argent à plusieurs émigrés dont les intérêts lui avaient été confiés. La mort fut aussi prononcée contre lui quoique très peu de jours auparavant la ville entière de Morlaix, heureuse et fière des succès de son fils, se fût rendue près de lui pour le féliciter sur le passage de la Sambre si heureusement opéré par l'ancien prévôt de l'école de droit de Rennes. — Tous ces hommes d'ailleurs, jeunes et vieux, portèrent sur l'échafaud cette ferme et courageuse résolution qui devint à chaque exécution comme une éclatante protestation contre les excès de leurs ennemis. Aucune exécution cependant ne fut à ce qu'il paraît plus émouvante que celle des jeunes Le Bronsort et Toullec, administrateurs de la ville de Brest, qui moururent pleins de vie au milieu de leurs concitoyens, auxquels ils avaient rendu, comme Belval, de signalés services.

Quoique l'on fût au mois de Juin (leur condamnation est du 25 Messidor an II), c'est-à-dire dans les plus longs jours de l'année, leurs bourreaux, pour échapper en partie du moins à l'animadversion publique, décidèrent que leur exécution n'aurait lieu que de nuit. C'est donc aux flambeaux qu'ils montèrent sur l'échafaud, aux flambeaux que leurs têtes tombèrent ! Le Bronsort, qu'on soupçonnait, comme nous l'avons dit d'avoir favorisé l'anéantissement des lettres de Blad, fut le premier à passer par les mains de Ance. Sa condamnation fut due, à ce que nous en a dit l'avocat Le Hir, dans une note écrite que nous avons de lui, à la persistance que Le Bronsort mit à vouloir que ses témoins fussent entendus dans tout ce qui pouvait établir son innocence. Interpelé par Ragmey, comme l'avaient été dans le procès des vingt-six les défenseurs des administrateurs, le président, sans coup-férir, le mit hors de la loi et prononça son arrêt de mort, sans qu'il y eût eu ni défense, ni audition de témoins. Au moment de l'exécution, il se trouva cependant qu'une partie des torches portées par les aides vinrent à s'éteindre, à l'instant où l'on déliait les mains de Toullec pour le placer sur la bascule après Le Bronsort. — Mais je n'y vois plus dit Ance : — et Toullec saisissant la torche de l'un des aides, dit : — voilà, car je ne crois pas que tu puisses nous faire pâlir ! ..... — Et, pour prix de cette fermeté, Ance eut le soin raffiné de laisser le fatal couteau tomber jusqu'à trois fois sur la tête de Toullec. C'était là un des jeux cruels auxquels ce monstre ne manquait jamais de se livrer quand il rencontrait une victime qui montrait trop de courage ou de résignation. — Mérienne, l'un des vingt-six avait subi la même torture.

Du reste, cette manière de faire était en quelque sorte devenue commune à tous les agents de cet affreux régime, qui, dans la paroxisme du mal et de l'atrocité, s'élevèrent jusqu'aux plus cruels raffinements de la barbarie. C'est dans ce même temps, à l'époque de ces mêmes exécutions, en effet, que préparant la fête du 14 juillet (anniversaire de la prise de la Bastille), ils firent arracher de leur famille en deuil les deux jeunes filles de Malmanche, l'un des vingt-six administrateurs sacrifiés le 3 Prairial, pour les faire figurer dans leurs solennités publiques, couronnées de fleurs et mêlées aux autres jeunes filles de leur âge qui promenèrent, dans les rues de Brest, à la suite des Représentants et des bourreaux de leur père, les attributs de l'agriculture et des jardins avec un modèle du vaisseau la Montagne qui reparaissait à chaque solennité que dirigeaient Prieur et Jean-Bon Saint-André, revenant à chaque fête flairer jusqu'au pied de l'échaufaud le sang qu'ils y avaient versé. [Note : Quelques procès-verbaux de ces fêtes nous sont parvenus, et nous voyons par l'un d'eux, qu'à la fête de l'Être suprême, à Brest, le représentant Prieur, entouré des jeunes défenseurs de la Patrie, se promena du Cours-d'Ajot au Champ-de-Bataille, et de celui-ci au Cours-d'Ajot et a la Place du Château, au bruit du canon et des musiques militaires, enlouré de toutes les autorités de la place et menant à sa suite une charrue ornée de fleurs et entourée elle-même des Quatre Saisons représentées par de jeunes beautés qui portaient des corbeilles de fleurs qu'elles répandaient sous les pas du Représentant. Après elles venaient, suivant le langage de la société populaire, un couple vertueux destiné à s'unir par un mariage civique ; puis une mère féconde entourée de ses nombreux enfants, le dernier étant attaché à son sein ; puis encore, un vénérable vieillard âgé de 96 ans, courbé sous le faix de l'âge et qui retrouvait une nouvelle chaleur dans les émotions variées et délicieuses qu'un spectacle aussi moral lui faisait éprouver tour-à-tour. — A la fin de la colonne se montrait un char de forme antique, attelé de deux jeunes taureaux, qui paraissaient fiers de traîner les deux déesses de la liberté et de l'égalité, représentées par deux belles femmes que tout Brest a connues. Près de ce char et de ces déesses venaient, portés sur les épaules des jeunes défenseurs de la patrie, des brancards sur lesquels on remarquait des bustes de Marat, de Chalier, de Brutus et de Le Pelletier. Cent trente jeunes filles, de 10 la 14 ans, et autant de jeunes garçons, rangés autour de ces trophées, en formaient comme la garde, et conduisirent tous ensemble le représentant Prieur jusqu'au pied de la sainte Montagne, quis'élevait sur la Place de la Liberté. — Se séparant tout-à-coup de son cortège, Prieur y monta d'un pas ferme, et ayant placé à côté de lui les deux déesses, il entretint un instant le peuple des brillantes destinées qui l'attendaient, et après que les pères avec leurs fils, et les mères avec leurs filles eurent marié leurs voix dans des chœurs patriotiques et alternes, le vieillard de 96 ans, apparaissant tout-a-coup sur le haut de la Montagne, fut couvert des baisers du Représentant, qui l'enleva dans ses bras et le montra à la foule. Un bon citoyen déclara aussitôt adopter le vénérable vieillard pour son père, et, sans désemparer, un Noir fit son apparition auprès de Prieur, qui le fit asseoir à ses côtés, et l'honora aussi de l'accolade fraternelle, en déclarant le reconnaître pour un frère…. Après ce noir, parurent deux nouveaux nés que l'officier public inscrivit sur le registre de l'état-civil, en donnant au garçon le nom de Théophile Marat et à la fille ceux de Unité Cornélie. « Puis enfin , dit le rapporteur que nous laissons parler, vint le touchant spectacle d'un mariage civique, qui devait former le dernier tableau de cette brillante fête. Ce lien si respectable et si sacré fut ainsi formé sur la Montagne, en présence d'un peuple immense, et bien que les présents de la fortune fussent tout-a-fait étrangers à ce couple estimable, que l'or corrupteur n'avait point perverti, l'amour de la vertu étant son plus cher et son unique héritage, il arriva que la société populaire s'employa fraternellement à former la dot de la jeune mariée ..... Mais déjà, dit toujours notre rapporteur, le soleil s'avançait dans la carrière, des groupes s'étaient formés de tous côtés sur le Cours et sur les gazons des promenades publiques, et le représentant, les magistrats, les marins et les militaires de la garnison, bientôt confondus avec les habitants de la ville, s'étaient assis pour prendre part à un repas frugal et patriotique qui se forma de tout ce que chacun voulut bien ajouter. Des chants et des cris de joie prolongèrent avec les orchestres la longue soirée d'une si belle journée »].

Berthomme, beau-frère de Toullec à peine exécuté depuis quinze jours, dut, comme maire de Brest, prêter son concours à ces atroces raffinements de cruauté, et pour se sauver lui-même, se montrer à côté des Représentants et les suivre jusqu'au pied de la guillotine, toujours en permanence, et dont, à chaque fête publique, on ne manquait pas de faire le tour [Note : La présence des tribunaux révolutionnaires n'avait pas seule, comme on pourrait le croire, déterminé la permanence de la guillotine sur les places publiques de nos villes. Le fatal instrument avait été élevé partout où l'on avait cru nécessaire de le montrer à la foule comprimée, et l'instrument des vengeances populaires était ainsi devenu comme le premier attribut du régime de la terreur. Nous avons sous les yeux les ordres donnés par le commissaire du gouvernement près le Tribunal criminel de Quimper, pour que la guillotine fût dressée en permanence vis-à-vis la déesse de la liberté qu'on avait érigée sur la place Saint-Corentin, en face de la cathédrale. A Vannes, à Lorient, à Saint-Brieuc, les choses ne se passèrent pas autrement]. ..........

Mais il est temps d'en finir et de détourner la tête. Et cependant si nos lecteurs se sentent le courage d'aller jusqu'au bout, il faut encore, pour la complète appréciation de la moralité de ces prétendus apôtres de la vertu montagnarde, qu'ils nous suivent à Lesneven et à Pont-Croix, deux districts qui eurent aussi dans ces cruelles immolations leurs infâmes comparses et des victimes cruellement dévouées.

Deux vieilles femmes retirées dans le château de Kerjean, près de Lesneven, l'une âgée de 70 ans, la marquise de Coatanscours, l'autre âgée de 65 ans, Anne-Marie de Coatanscours, veuve Launay de l'Etang, avaient été, comme nous l'avons dit, condamnées et exécutées le 9 Messidor.

Quand l'extrait de leur condamnation, pour la saisie de leurs biens, arriva du parquet de Brest au district de Lesneven, les administrateurs de celui-ci délibérèrent aussitôt sur ce qu'il y avait à faire, et décidèrent « qu'un d'entr'eux accompagné de dix gendarmes se rendrait immédiatement au château de Kerjean, appellerait devant lui le citoyen Paulin, concierge et homme de confiance de ladite maison, et lui ferait observer que les veuves de Launay et de Coatanscours ayant été comdamnées et déclarées coupables envers la République, il n'y avait plus lieu de garder le secret de ces femmes, ou de persister à tenir caché le dépôt qu'elles devaient avoir fait, dans un lieu voisin du château, de leur argenterie, du numéraire et de tous les objets précieux qu'elles avaient omis de déclarer lorsque le séquestre avait été posé provisoirement sur leurs propriétés ; qu'il serait désormais impardonnable à Paulin de garder le silence et de tenir à des engagements pris avec des femmes reconnues coupables de complicité avec les ennemis de la République, et que s'il persistait à le faire, ce serait partager lui-même cette complicité en voulant frustrer la nation des effets dont elle devenait seule propriétaire et dont il serait censé vouloir se bénificier en refusant d'en faire la déclaration .... Sur quoi, dit la délibération (18 Messidor an II) il y aurait lieu de le faire conduire par lesdits gendarmes à la maison d'arrêt de Lesneven pour être ensuite traduit au tribunal révolutionnaire comme RECELEUR DE BIENS NATIONAUX ET COMPLICE DE LA VEUVE COATANSCOURS .... ».
Comprenez-vous ! — « Nous avons inventorié et sequestré précédemment tout ce qui appartenait à tes maîtresses, disent les administrateurs de Lesneven ; mais leur or et leur argenterie nous ont échappé : tu avais leur confiance, tu dois savoir où ils sont ? — Si tu ne le dis, c'est que tu es leur complice, que tu conspires avec elles contre la République et que tu voles celle-ci ..... Le Tribunal révolutionnaire, duquel tes maîtresses ne sont pas revenues, en connaîtra ! ... ». — Que fit Paulin .... Hélas! nous aurions voulu pouvoir penser que le devoir et l'honnêteté l'emportèrent sur la crainte ; quelque temps nous crûmes à cette assertion, et tout ce que nous en avait dit un membre de la famille Le Tersec, alors chargé des intérêts de la maison de Coatanscours, nous y avait confirmé, quand une pièce nouvelle, un procès-verbal du 22 Thermidor an II, signé de Paulin lui-même, des commissaires du district de Lesneven et des officiers municipaux de Plouzévédé, est venue nous apprendre que « Paulin avait lui-même indiqué et déterré après le décès de la citoyenne Coatanscours, l'argenterie et tous les objets qui avaient été cachés du  vivant de sa maîtresse, pensant que le secret qu'il lui avait  promis pouvait et devait même être violé, parce que le transport de ces objets paraissait impossible sans qu'on s'en apercût  ».

Combien sous ce rapport la conduite de la famille Le Tersec fut plus noble et plus élevée, quand, apprenant à peu de temps de là, le retour des héritiers de Coatanscours de l'émigration, l'ancien homme d'affaires de leur famille, M. Le Tersec, père, vint leur annoncer qu'il avait eu le bonheur de racheter de la Nation tous les biens mis en vente par suite de la mort de Madame de Coatanscours, et que ces biens étaient à leur disposition. [Note : Tout le mobilier saisi dans cette dernière visite au château de Kerjean fut attribué, sauf l'argenterie, à l'hôpital de Lesneven, comme annexe de l'hôpital maritime de Brest. Nous savons d'une autre part qu'un très bel herbier, contenant plus de 500 plantes, cueillies sur les lieux par les anciens propriétaires de Kerjean, ainsi qu'un très beau paysage du marquis de Kerouartz, et une très belle vue du château de Kerjean par Madame de la Rochefoucault, duchesse de Chabot, se trouvèreut au nombre des objets enlevés. — Que sont-ils devenus ?].

Encore un fait cependant ; un jeune négociant de Douarnenez, nommé Guiller, Louis-Jean-Marie, avait péri comme administrateur du département. — Ce n'était pas assez. Il avait un frère juge au district de Pont-Croix, Urbain-Vincent-Marie Guiller ; il était aussi coupable que son frère de modérantisme, il avait ouvertement sympathisé avec les Fédéralistes, il avait même secondé leur mouvement de résistance .... Il fallait sa tête ! Mais comment y arriver ? Il était juge au tribunal de son district, capitaine de la garde nationale, président de la société populaire, membre et président du Comité révolutionnaire régénéré après la chute des Girondins. C'était donc un homme bien venu des plus zélés et des plus ardents .... Il se trouva cependant un dévoué qui avait vu et pratiqué pendant une couple de jours Durun et Perrin dans la courte excursion que ces deux délégués de la commission administrative de Landerneau avaient faite de Quimper à Pont-Croix, toujours à la piste des Fédéralistes, et cet infâme déclara que quand la nouvelle de la mort de Marat était arrivée au club de Pont-Croix, Guiller s'était écrié : — Mes amis réjouissons-nous : j'aurais voulu porter le premier coup ! Crions tous bravo !

Sur cette première dénonciation, d'autres vinrent, qui assurèrent, qu'à l'occasion du maximum, Guiller avait dit en plein club qu'on aurait bientôt joué à la boule avec la tête des marchands, qu'on verrait des choses terribles et qu'on entendrait les femmes crier à deux lieues à la ronde !

Enfin d'autres se rappelèrent la scène qui s'était passée lors de la présence du bataillon de l'Hérault, et le cagotisme que le président du club avait mis à se plaindre des soldats qui avaient renversé une croix de mission, signe abhorré de l'ancienne superstition de leurs frères.

Ces détails et ces propos plus ou moins envenimés s'accumulaient contre le pauvre Guiller, et bientôt arraché de sa double présidence du club et du Comité révolutionnaire, il vit déposer sur le bureau de cette dernière assemblée une dénonciation en règle, sous le titre de mémoire instructif, non signé cependant, mais homologué dès son dépôt par les membres mêmes du Comité, qui conclurent à son arrestation immédiate.

Mais ce n'était là que l'apparence des choses, ainsi que nous le font voir les nombreuses délibérations du Comité qu'il présida tout le temps que se poursuivit l'application des premières mesures destinées à faciliter l'exécution de la loi sur le maximum dans les derniers mois de 1793. Le véritable motif de l'animadversion qui s'éleva contre lui, ce furent les mesures mêmes qu'il fut obligé de prendre contre ceux de ses concitoyens, tant de la ville que des campagnes, qui tendaient à se soustraire à l'action du maximum, soit en refusant les prix légalement établi, soit en refusant les paiements en assignats, soit en refusant d'exposer les marchandises, qu'il eut plusieurs fois l'occasion de prescrire.

Comme on le pense bien d'ailleurs, les accusateurs n'avaient garde d'articuler de pareils faits ; ils se prévalurent des propos qu'on lui attribuait, ils ajoutèrent, qu'il n'avait prêté serment à la Constitution qu'en rechignant et en disant qu'il ne l'avait fait que pour ménager du pain à sa femme et à deux enfants qu'il avait.

Et de suite il s'ouvrit sur le mémoire instructif fourni par la voix publique, mais non signé comme nous venons de le dire, une enquête au sein du Comité, enquête dont tous les détails nous ont été transmis par des procès-verbaux, et qui montre jusqu'à quelles infâmes et méchantes manœuvres furent entraînés dans ces temps, les hommes et les partis qui divisaient nos plus petites villes.

Le secret le plus absolu, sans aucune communication, même avec sa femme et ses enfants fut d'abord imposé à Guiller par ses anciens collègues du Comité. — Jusqu'à trente et quelques témoins furent appelés à déclarer ce qu'ils savaient contre l'accusé. C'étaient les juges qui avaient siégé avec lui au Tribunal du district, les huissiers et les habitués de ce même tribunal, les femmes et les jeunes filles de ces mêmes juges qui pratiquaient avec lui et avec toute la population le club qu'il avait présidé et qui s'était longtemps tenu dans la chapelle du cimetière.

Aux uns, on demanda ce qu'on l'avait entendu dire à la mort de Marat ; ce qu'il avait fait à l'occasion de la Constitution et des bulletins qui en prescrivaient l'acceptation ; ce qu'il avait pensé ou dit des arrêtés du département et de la levée des hommes qui marchèrent sur la Normandie.

Mais quand on en vint à ces informations, les dires et les circonstances qui les accompagnaient changèrent beaucoup, et il fut appris par plusieurs que c'était un nommé Le Breton, qui était entré au club avec une lettre annonçant la mort de Marat et l'action de Charlotte Corday ; que c'était Le Breton avec d'autres qui avaient applaudi à cette nouvelle, et que Guiller n'avait fait que s'associer aux bravos qui furent proférés. Que pour l'adoption de la nouvelle constitution c'était à la chambre de lecture et au moment de sa première présentation, qu'il avait dit qu'il ne l'accepterait pas, ce qu'il fit cependant, tout en avançant que c'était du pain qu'il voulait assurer à sa femme et à ses enfants.

Tout cela était donc bien peu de chose ; on imagina alors qu'étant en relation avec un nommé Kervarec, cultivateur, agent national de la commune de Pouldergat, il aurait demandé à ce citoyen à lui emprunter 1,200 livres, et que celui-ci n'ayant pu les lui donner, Guiller l'aurait fait porter sur la liste des suspects et arrêter. — Deux témoins disaient qu'ils avaient la certitude de ce fait, l'un d'eux alla même jusqu'à dire qu'il avait été porteur de la lettre de Guiller pour Kervarec, et, qu'ayant subrepticement lu ce que contenait cette lettre, il avait eu connaissance du fait .... Il n'y manquait qu'une chose, c'est que Kervarec lui-même vînt confirmer le fait ; mais au lieu de cela il comparut à son tour devant le Comité, et déclara formellement qu'il n'avait reçu ni lettre ni demande de ce genre de Guiller.

Une nouvelle accusation s'éleva alors contre lui et de nouveaux témoins vinrent déposer au Comité que dans une vente faite chez l'émigré Le Gouandour, le 7 avril 1793, Guiller aurait touché une somme de 51 livres 10 sols, de laquelle il n'aurait pas rendu compte à l'administration du district. Le Comité interpela et fit comparaître les membres de cette administration, ils répondirent que Guiller avait versé la somme en question au directoire du district, et qu'il n'était pas juste qu'il payât deux fois.

Mais toutes ces dénégations n'y firent rien : juge capitaine de la garde nationale, président du club et du Comité pendant longtemps, il avait été jusqu'à dire à l'occasion du maximum, ainsi que l'établit la déposition d'un témoin, que beaucoup de marchands se refusant à obéir à la loi, il serait obligé de faire des exemples, et toutes les acrimonieuses passions de la petite ville s'étaient accumulées sur sa tête, ..... si bien que ses ennemis, marchands et anciens collègues, craignant qu'il ne leur échappât, décidèrent, après l'avoir mis au secret, que la porte et les croisées de la chambre, où on le détenait, seraient fermées et condamnées, qu'on ouvrirait un guichet dans la porte pour lui passer les aliments dont il aurait besoin, et que des factionnaires seraient placés à toutes les issues de la prison jusqu'à ce qu'on l'eût livré à l'accusateur public du Tribunal révolutionnaire ..... Et que pour que rien ne fît avorter le jugement espéré, le registre des procès-verbaux du Comité serait chaque jour enlevé du lieu des séances et placé sous la garde personnelle du président, afin que quelque mauvais citoyen, quelque ami de Guiller, ne vînt pas à le faire disparaître.

Le premier Messidor an II, Urbain-Vincent-Marie Guiller comparaissait donc devant le fatal Tribunal, et condamné à mort pour avoir tenté d'avilir et de dissoudre la convention nationale en manifestant de la joie à l'occasion de l'assassinat de Marat, — il fut exécuté.

Malheureux père de famille, sans fortune, à peine âgé de 37 ans, ayant une jeune femme et deux filles en bas âge, que nous avons vues toute leur vie dans un état voisin de la misère, Guiller mourut ainsi victime de l'une des plus atroces machinations que l'esprit de parti ait fait naître dans ces temps au sein d'une petite ville de moins de deux mille âmes, où toutes les irritables passions des plus absurdes coteries éclatèrent tout-à-coup contre l'homme même qui avait un instant réuni tous les suffrages de ses concitoyens. — Ses amis, ses collègues, ceux qui l'avaient placé partout à leur tête se tournèrent subitement contre lui, et jusqu'à des jeunes filles de 18 et 20 ans, qui fréquentaient le club, vinrent déposer contre lui ; des modérés, accusés à leur tour de fédéralisme, s'acharnèrent eux-mêmes à le perdre en commentant jusqu'à ses intentions les plus secrètes, sans trouver un mot pour sa défense. — Un seul homme cependant, Monbet, de l'administration du district, frappé de tant d'égarement, s'était jeté au milieu de la mêlée et avait adjuré de se montrer plus calme, d'oublier ce qui avait pu être dit, et de s'embrasser comme des frères. — Mais personne n'écouta le vénérable vieillard, pas même ceux qui furent plus tard accusés de fédéralisme, et qui, arrêtés à leur tour, n'échappèrent au Tribunal révolutionnaire que grâce à la chute de Robespierre.

Mais encore une fois finissons, et pour tout terminer sur ces malheureux temps et sur les auteurs atroces de ces assassinats juridiques, contentons-nous de dire que quoique la nouvelle du 9 Thermidor et de la chute de Robespierre fût officiellement arrivée à Brest le 13, le Tribunal révolutionnaire n'en continua pas moins de siéger, et que le 24 il rendit un dernier jugement contre Guillaume Thomas, ancien maire du Conquet, qu'il condamnait à la déportation pour s'être opposé à l'acceptation de l'acte constitutionnel et avoir décrié les journées du 2 et du 3 Septembre 1792 !

Vous l'entendez, pour avoir décrié LES JOURNÉES DU 2 ET DU 3 SEPTEMBRE !

Un tel tribunal ne pouvait mieux finir, et c'était en quelque sorte résumer lui-même ses propres principes en les rattachant par un aveu public à l'assassinat et au massacre des prisons comme une des mesures et une des règles les plus appropriées aux circonstances et peut-être les plus désirées de lui.

Aussi s'est-il trouvé, encore de nos jours, des gens qui n'ont pas hésité à accepter la solidarité de tous ces excès, et d'autres moins osés ou moins avancés comme on dit, qui, n'approuvant pas ces excès, n'en répudient cependant pas les résultats, et qui les regardent comme une nécessité malheureuse, mais inévitable. Il en est d'autres qui, doués d'une certaine modération, mais bien peu éclairés, suivant nous, vont jusqu'à croire que pour changer la face de la société française, il a fallu ces crimes et tout le sang qui a été répandu avec tant d'aveuglement et de colère.

A tous, aux uns et aux autres, nous n'opposerons qu'une réponse, celle que les faits donnent eux-mêmes, quand, après la terreur et ses désastres, on descend à considérer l'état dans lequel la France et la République sortirent de la main des Montagnards.

On a très souvent fait le tableau de l'affaiblissement général du pays à cette époque. — Sans rien ajouter sur la désorganisation que subit le gouvernement lui-même après cette crise, nous essaierons de redire quel fut l'état de nos départements et des populations que l'on avait agitées de tant de manières : ce sera la courte conclusion d'un livre où nous avons retracé bien des crimes. Puisse-t-il, pour d'autres circonstances, suggérer de plus sages conseils et une réserve plus modérée !

Du reste, ces feuilles et les volumes que nous avons publiés, il y a déjà plusieurs années, sur les phases de la Révolution dans les départements de l'Ouest, formeront comme une partie de notre dette envers la société où nous avons vécu sans beaucoup lui demander, sans plus en recevoir, mais très reconnaissant cependant de la protection qu'elle nous a accordée à nous et aux nôtres, dans l'exercice de nos droits, sans manquer pour cela d'être désireux d'un peu plus de lumière dans les masses, d'un peu plus de réserve pour quelques-uns, et pour tous d'un peu plus de ce juste sentiment du droit des autres, qui aide à la fusion des opinions opposées et amende les mœurs publiques, véritable force du pays.

(Armand du Chatellier).

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