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BREST ET LE FINISTÈRE sous LA TERREUR

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Les Clubs. Les Comités Révolutionnaires. La Commission administrative du Département du Finistère.

Un décret du 19 Juillet 1793 avait prononcé la dissolution de l'ancienne administration du département du Finistère, et la formation d'une commission administrative provisoire, qui étant composée d'un membre de chaque district, prendrait en mains les affaires générales du pays, et se réunirait à Landerneau, qui devenait ainsi, pour un moment, le chef-lieu du département au lieu de Quimper. L'objet de ce décret était à la fois de punir l'administration départementale du Finistère de sa résistance aux entreprises de la Montagne, de comprimer les populations peu disposées en faveur des Maratistes, et surtout de déjouer les entreprises des Girondins et des Députés décrétés le 31 Mai, qui s'étaient un instant réfugiés dans le Finistère et y avaient trouvé un asile hospitalier.

L'un des premiers soins des Représentants fut de rechercher dans les neufs districts les hommes les plus dévoués et les plus ardents pour composer la commission administrative sur laquelle allaient rouler toutes les affaires du département.

Ces neuf membres furent : Perrin, — Moyot, — Leissègues, — Du Run, — Du Couëdic, — Le Grain, — Gonidec, — Goëz, — et Davon [Note : Ces commissaires, en entrant en fonctions, prêtèrent le serment de maintenir la liberté, l'égalité, l'unité et l'indivisibilité de la République. — Aux neuf administrateurs que nous venons de citer, il faut ajouter les noms des citoyens Le Roux, — Guibert, — Née, Castaignet — et Lamy qui entrèrent plus tard et successivement dans la commission administrative].

Léurs titres à cette faveur des Représentants reposaient, pour la plupart, sur des actes incontestables de zèle dans les clubs et les commissions extraordinaires, qui avaient été chargés de la recherche des suspects, du séquestre de leurs biens, de la fermeture des églises et de la poursuite des prêtres insermentés.

Nous ne rappellerons pas ici ces titres ; ils étaient généralement très nombreux et du meilleur aloi en vue de la besogne qui se préparait. D'ailleurs, nous allons retrouver ces hommes à l'œuvre, et l'on pourra facilement juger de ce dont ils étaient capables : il suffira pour cela que nous les suivions dans leurs délibérations et leurs actes ; leurs registres même nous serviront de guides.

Animés d'autant de zèle que les Représentants, et les dépassant souvent, nous les trouvons en correspondance ou en conférence de tous les jours avec ces dépositaires de la pensée intime du Comité de Salut public.

Un de leurs premiers soins, celui qui leur tenait le plus au cœur, fut d'arrêter et de poursuivre les membres de l'ancienne administration départementale. C'était sans doute, pour plusieurs, un acte de parti et peut-être de conviction politique ; mais ce fut pour beaucoup d'entr'eux et pour les plus zélés certainement un acte de vengeance qu'il nous sera facile de caractériser et que notre devoir est de ne pas taire.

Dès son entrée en fonctions, le 30 Juillet (Lettre du 14 Pluviôse, an II), cette commission envoya Perrin, l'un de ses membres, à Quimper, pour poser les scellés sur les papiers de l'ancienne administration et se saisir de tout ce qui pourrait servir à éclairer la Convention et les Réprésentants en mission sur la prétendue conspiration de l'ancien département.

Deux hommes de loi de Quimper, Lharidon et Silguy, furent chargés d'assister Perrin dans cette délicate mission et de dresser procès-verbal de tout ce qui serait fait.

La plus active vigilance fut déployée par Perrin, et les éloges répétés de ses collègues de Landerneau en témoignent hautement. Sa mission, d'ailleurs, ne se borna pas à fouiller les archives de l'ancien département. Interroger et observer sur place tous les hommes engagés, de près ou de loin, dans cette malheureuse affaire, fut aussi l'une de ses principales occupations ; et on le rencontre partout, à la Société populaire de Quimper, au Comité de surveillance qui se forma sous son inspiration et sous celle de la commission de Landerneau, On le trouve également en mission extraordinaire à Douarnenez, à Pont-Croix, où Tréhot-Clermont passait pour avoir eu une correspondance suivie avec Kervélégan et les Girondins ; on le trouve aux clubs de ces villes qu'il régénère ; on le trouve à Carhaix ; on le trouve en visite répétée chez le représentant Bréard ; et, quand les papiers des administrateurs accusés ont été saisis, quand leurs registres ont été arrêtés et contre-signés par lui et Du Run, on le voit s'entendre avec le commandant du bataillon de Seine-et-Oise, parcourir les campagnes seul ou avec Jullien et Guermeur, qui avaient une mission spéciale des Représentants pour l'arrestation des suspects et la réorganisation des autorités de Quimper ; puis, on le rencontre à Carhaix, où plusieurs des administrateurs décrétés d'accusation le 19 Juillet étaient écroués, en même temps que d'autres l'étaient à Morlaix et à Landerneau.

Perrin et ses collègues poussaient donc cette affaire avec une activité sans égale, et toutes les lenteurs qui se présentaient dans cette information, semblaient les animer outre mesure contre des adversaires qu'ils craignaient de voir se relever, et dont il fallait, suivant eux, débarrasser la République à tout prix.

« Nous venons de prendre des mesures, écrivent-ils le 9 Septembre aux Représentants de Brest, pour que les ennemis de notre liberté soient enfin retirés de la société qu'ils empoisonnent de leurs principes ; un des nôtres se rend demain à Carhaix pour y préparer un local propre à les recevoir, et tous les hommes, membres de l'ancienne administration et autres, qui ont échappé au décret d'accusation, sont déjà arrêtés et incarcérés par nos soins.

Nous avons également suspendu, par un arrêté de ce jour, le Procureur-Syndic de Carhaix, qui, depuis qu'il est en fonctions, a mis la négligence la plus marquée dans la vente des biens nationaux.

C'est surtout sur les fonctionnaires qui ont servi le parti monstrueux du fédéralisme que se porteront nos regards, et sous telle dénomination qu'on nous présente, c'est la liberté que nous voulons, et nous ne la voulons pas à demi ! ».

Pour donner d'ailleurs aux administrations et aux hommes qu'ils appelaient à les seconder tout l'élan qu'ils croyaient nécessaire au succès de leur cause, ils continuaient à aller d'un point à l'autre du département, tantôt seuls, tantôt accompagnés des délégués des Représentants en mission près des municipalités, près des clubs et des comités de surveillance qui se réorganisaient sur tous les points à la fois. Mais, à en juger par quelques confidences intimes sur ces sujets délicats, tout ne marcha pas d'un pas égal, paraît-il, et il se trouva plusieurs localités, même des chefs-lieux de districts, comme Morlaix et Lesneven, où, faute de patriotes suffisamment éprouvés, ils furent forcés d'envoyer des jeunes gens pris dans le contingent de la réquisition de trois cent mille hommes, en demandant pour eux aux Représentants une dispense de service, afin d'en faire des administrateurs qu'ils placèrent à la tête des districts qu'ils accusaient de tiédeur. Cet honneur insigne fut réservé à Pénanrun, l'un des membres les plus zélés de la Société Sans-Culotte de Landerneau, dit la dépêche que nous avons sous les yeux.

Une couple de mois avaient d'ailleurs suffi pour ces réorganisations ; secondés qu'ils étaient par les nouveaux décrets de la Convention, qui accorda successivement dix millions de subvention aux communes, des secours immédiats aux familles des défenseurs de la patrie, et d'autres secours, même des propriétés territoriales, aux vieillards et aux indigents dénués de ressources, ils préparaient tout pour la prochaine organisation du Gouvernement révolutionnaire proprement dit.

Quant aux Représentants, toujours réunis à Brest, leurs mesures de compression ne s'étaient ralenties en rien. Ils exigeaient partout la sévère exécution de la loi contre les suspects, les anciens nobles et les parents d'émigrés, arrêtant ceux qu'ils pouvaient saisir, sequestrant leurs biens et nommant des régisseurs nationaux pour en toucher les revenus ou les verser dans les caisses et magasins de la République, en même temps qu'ils disposaient de tout ce qui pouvait être utilisé pour l'armement de la flotte, l'équipement des troupes et l'alimentation des ateliers où se confectionnait tout ce qui était nécessaire à la mise sur pied des forces disponibles du pays.

Nous avons sur tous ces sujets une foule de pièces plus curieuses les unes que les autres, et qui nous apprennent avec quelle rapidité foudroyante toute décision prise sur ces matières fut mise à exécution : un jour, quelques heures, suffisaient aux mesures de l'application la plus générale. Tous les suspects du district de Pont-Croix avaient ainsi été arrêtés et incarcérés en un seul jour par les ordres de Perrin. Les clubs et les comités locaux de surveillance avaient d'ailleurs été réorganisés d'une manière vraiment formidable. Au club, tout se discutait, toute matière et tout sujet étaient abordables. On y traitait à la fois, et sur la simple interpellation d'un membre, de l'administration et des intérêts privés ; on y discutait les mesures de salut public et la vie des particuliers, leur famille, leur intérieur, leur maison, leurs habitudes, leurs intentions et leur passé connu ou contesté. Au comité, c'était bien autre chose : on y recevait journellement toutes les dénonciations qui pleuvaient sous toutes les formes ; et comme tous les citoyens fonctionnaires ou autres en relevaient pour le double certificat de civisme et de résidence, dont tout républicain était tenu de se pourvoir, sous peine d'être d'abord classé comme suspect, destitué s'il était fonctionnaire, et ensuite privé de sa carte, c'est-à-dire de son pain et de sa vie, quand la loi du maximum apparut, il advint que personne ne put échapper au double contrôle de ces deux pouvoirs révolutionnaires ; et jugez de leur terrible action, en vous rappelant que l'un de ces pouvoirs, le plus mobile, le club, était en quelque sorte ouvert de toutes parts au courant désordonné des passions populaires, et que l'autre, le Comité de surveillance, après s'être formé par la voie de l'élection dans le milieu si vivement échauffé des clubs, s'était tout aussitôt renfermé dans le profond secret de ses instincts révolutionnaires, affranchi de tout contrôle, travaillant dans le mystère, sans aucun compte à rendre aux administrations locales, à la masse des citoyens, ni même aux Représentants en mission ; pouvant correspondre avec toutes les forces organisées du pays, les requérir et s'en servir sans autre contrôle que celui du Comité de Salut public, avec lequel il était en rapport immédiat.

Je ne crais pas que jamais organisation plus perfide et plus machiavélique ait été conçue et mise en pratique. — Aussi, voyez, à la texture et au libellé de ceux de leurs procès-verbaux qui nous sont parvenus, ce qu'ils osèrent et ce qu'ils surent faire. — J'ouvrirai, pour cela, deux registres, celui du Comité de Landerneau, siège de la nouvelle administration départementale, et celui de la petite ville de Pont-Croix, où les meneurs du jour traquèrent un pauvre diable de juge accusé de Girondisme, très inoffensif ce me semble, mais imprudent et bavard, qu'ils menèrent jusque sur la banquette ensanglantée du tribunal révolutionnaire.

Aussitôt donc que la nouvelle commission administrative se fut organisée, le club et le comité de surveillance de la bonne ville de Landerneau durent aussi s'organiser pour se mettre en harmonie avec cette nouvelle puissance, et l'aider à relever la sainte Montagne un instant ébranlée.

Le 8 Octobre 1793 fut le jour où s'installa le Comité en question, sous la présidence de Leissègues, père, qui avait été un instant administrateur du district. — Du Couëdic, de Lesneven, que la populace appelait pen laou à cause de sa malpropreté, — Félix Nouvel, du Faou, — René Mazé, — Mathurin Pongérard, — Jean Callégan, — Davon, — Gourvès, lui furent adjoints pour collègues et tous agréés par les Représentants en mission près des côtes de Brest et de Lorient.

Comme pour s'essayer à leur œuvre, ils décidèrent, dans une première séance, que tous les fonctionnaires du district leur présenteraient, sous huitaine, les certificats de civisme qui pouvaient leur avoir été accordés, afin d'être soumis à la révision du Comité, et ils firent en même temps défense à tout Payeur de la République, d'acquitter aucuns gages ou traitements à ceux qui ne justifieraient pas d'un certificat ainsi visé, comme aux receveurs de l'enregistrement de recevoir aucun acte, soit de notaires ou de simples citoyens, qu'au préalable le certificat exigé n'ait été produit.

Et dès la seconde séance, le bureau étant déjà couvert de lettres, dénonçant un grand nombre de citoyens suspectés d'incivisme, comme Fédéralistes, comme parents d'émigrés ou soupçonnés d'être hostiles à la nouvelle Constitution, il fut décidé, en raison de ce qu'il était instant de réprimer la fureur des aristocrates, que toutes ces lettres seraient portées aux Représentants du peuple à Brest par le commissaire Davon, avec invitation de mettre en arrestation les personnes y désignées. Parmi celles-ci se trouvèrent la mère et la sœur de D'Arnault, Barbier, Le Borgne de la Tour, Mascle, Julien Le Roux, Le Coff, frère d'un prêtre émigré, la servante de l'ancien recteur de Landerneau, la mère et la sœur de l'émigré La Chapelle, Lamy et son gendre Bardouille, le premier pour être fanatique, le second pour être d'une caste ci-devant privilégiée, et comme n'ayant donné aucune preuve de civisme à la connaissance du membre du comité qui les a dénoncés.

Ces arrestations et ces dénonciations faites par des étrangers et le plus souvent, comme nous le voyons, par les membres mêmes du comité, se continuèrent pendant plus d'un mois ; et tout ce qui parut entaché d'aristocratie ou de fédéralisme, comme on le disait alors, fut incarcéré et détenu, soit aux Capucins, soit aux Ursulines de la ville de Landerneau, où les administrations s'étaient elles-mêmes établies en même temps qu'on avait converti une partie de ces édifices en casernes pour les troupes de passage ou de réquisition.

Les étrangers, qui traversaient Landerneau, étaient eux-mêmes tenus de se présenter au Comité et de justifier de leur civisme. Des postes de la garde nationale et des dragons volontaires avaient été placés sur toutes les routes, et, de jour comme de nuit, tout voyageur passant par la ville devait présenter ses papiers et sa personne au Comité qui s'était déclaré en permanence à cet effet. On conçoit toutes les difficultés qui furent ainsi faites en maintes occasions aux voyageurs les plus inoffensifs eux-mêmes. Aucun n'échappait à ce qu'il paraît, et dès qu'un visage nouveau était signalé en ville ou dans les environs, il y avait de suite un citoyen zélé ou un membre du Comité qui en faisait un rapport à la première assemblée. — Un jour, c'est Roulin qui rentre à la séance, tout effaré, et qui apprend aux gardiens de la sûreté publique que, passant la veille, à dix heures du soir, dans une des rues de Landerneau, il a rencontré deux hommes qui arrivaient à franc étrier et lui avaient demandé où demeurait la veuve Duval-Le Gris. — De suite information et cédule à la veuve Le Gris pour se rendre au sein du Comité et lui donner des explications. — Son interrogatoire, repris deux fois, établit que c'était son fils qui, malade à Quintin et n'ayant pu trouver de voiture publique, s'était fait conduire en chaise de poste au domicile maternel pour y recevoir les soins dont il avait besoin.

Une autrefois, c'est M… , aussi membre du Comité, qui, passant à la chute du jour près des Capucins, lieu où étaient détenus les suspects, a remarqué certains signes d'intelligence entre les détenus et des femmes qu'il n'a pu reconnaître. — D'où interrogatoire du geôlier et de l'officier commandant le poste… C'étaient tout simplement des blanchisseuses de la ville, qui, n'ayant pu prendre à l'heure habituelle le linge des prêtres détenus, étaient rappelées pour aviser aux besoins pressants de ces malheureux privés des vêtements et des choses les plus nécessaires à la vie.

Mais tout ceci n'était que des roses, si l'on peut dire, pour le Comité, et comme un jeu où les passions et la jalousie, qui travaillent si souvent les habitants des petites villes, trouvaient à s'ébattre derrière la monstrueuse autorité dont les Comités révolutionnaires avaient été saisis ; des journées plus rudes se présentèrent bientôt. La loi du maximum venait d'être rendue. Le manque de subsistances se faisait sentir partout. Outre que les ressources du pays s'épuisaient rapidement par les réquisitions incessantes qui en étaient faites pour l'armement et le ravitaillement des troupes, la récolte de 1793 avait été très mauvaise, les bras avaient même manqué dans plusieurs départements pour la faire, et le cours forcé des assignats et des billets de confiance, qui perdaient chaque jour de leur valeur, venait rendre la position de plus en plus difficile, de plus en plus inextricable. La présence à Brest d'une flotte nombreuse et d'une garnison qui se grossissait chaque jour, rendait la situation presque désespérée. — A Landerneau comme à Brest, et dans toutes les autres villes du Finistère, ce furent les Comités révolutionnaires qui se trouvèrent chargés, sur ce point, de seconder les mesures générales décrétées par la Convention et celles toutes locales prises par les Représentants en mission. Les réquisitions furent surtout du ressort des districts et des municipalités ; mais l'application de la loi du maximum, le tableau des valeurs données à chaque denrée et à chaque marchandise, la mise à exécution de toutes les mesures pratiques concernant la vente des marchandises aux prix indiqués, leur paiement en assignats, l'approvisionnement des particuliers et des marchés, l'accumulation et l'emmagasinement des denrées, leur circulation,: tous ces détails immenses et minutieux, leur furent confiés avec l'absolu pouvoir de régler les choses comme ils l'entendraient, et toujours dans cet esprit de salut public derrière lequel les factions agissaient à outrance.

Des tableaux des marchandises et des diverses denrées de consommation avaient été dressés dans tous les districts, dans toutes les communes de la République. Ces tableaux avaient été affichés et publiés partout où besoin en avait été, et, dès lors, ils devinrent obligatoires pour le vendeur comme pour l'acheteur. Une pareille opération pourtant ne s'était pas faite sans hésitation, et nous voyons les plus grandes communes du département, Brest, Morlaix, Landerneau y revenir à plusieurs reprises et changer les taxations. Quelques-uns de ces tableaux que nous possédons, comptaient leurs articles par centaines, par milliers même. Les dénominations de certains articles manufacturés, comme draps, étoffes, quincaillerie, etc., etc. , allaient à l'infini et n'avaient jamais tout compris.

L'effet le plus immédiat de ces étranges mesures fut de conduire tous les détenteurs de marchandises à dissimuler l'état de leurs approvisionnements et les consommateurs à exagérer leurs besoins. — Les Comités furent les souverains arbitres des difficultés qui résultèrent de cet état de choses. Presque aussitôt cependant il fut remarqué partout que les marchés cessaient d'être approvisionnés, que certaines marchandises s'en retiraient ouvertement, que quelques denrées de première nécessité y devenaient de plus en plus rares, que quelques unes y manquaient absolument .... — Comment parer à tant d'embarras ? - On inventa les cartes et les bons pour les distributions de vivres ; on inventa les visites domiciliaires, les réquisitions et les confiscations pour toutes les marchandises dissimulées, cachées ou détournées des marchés où elles devaient paraître, et sur tout cela, le Comité, agissant de son plein pouvoir et de sa science certaine, décida (séance du 1er Brumaire, an II), que tous les jours de la semaine, excepté le samedi (jour même du marché), les habitants viendraient au Comité prendre les bons dont ils auraient besoin, et que, pour les obtenir, ils présenteraient leur carte civique, qui serait elle-même examinée, pour plus de sûreté, par des membres que la Société des Sans-Culottes de Landerneau serait invitée à désigner pour concourir à la distribution et à l'examen de ces cartes et des titres de chacun.

C'est ainsi organisées que les choses marchèrent à Landerneau comme partout ailleurs. Le Comité et le club, toutefois, ne désemplissaient pas de pétitionnaires et de postulants demandant à vendre ou à acheter les marchandises portées au tableau du maximum. Une fois ce sont les cultivateurs de la campagne qui viennent se plaindre qu'on ne trouve plus de fer chez les marchands, et qu'on ne pourra plus continuer à travailler la terre. Vite, le Comité de demander à tous les marchands de fer de la localité l'état de leur approvisionnement. L'un des détenteurs de ces fers, qui n'a pu justifier de l'usage qu'il a fait des 500 livres de ce métal qu'on avait reconnues chez lui à un précédent recensement, sera privé de bons de distribution jusqu'à ce qu'il ait fourni au Comité des explications suffisantes. — Une autre fois, ce sont de pauvres ouvriers qui viennent déclarer qu'ils ne trouvent au marché ni œufs, ni beurre, ni farine même ; que les hommes de la campagne se font l'habitude d'aller de porte en porte chez les riches, et qu'ainsi le pauvre peuple est privé de tout : d'où visites domiciliaires, confiscations et arrestations des suspects d'un nouveau genre, qui sont accusés de vouloir affamer le peuple et d'avoir ourdi une affreuse conspiration contre la République ... Nous en trouverons, en parlant du Tribunal révolutionnaire que Brest allait avoir le bonheur de posséder, qui payèrent de leur tête tous ces imprudents conseils de la faim ou de la peur.

Mais voici des choses bien autrement graves : à la séance du 19 Brumaire, deux administrateurs du district viennent au Comité se plaindre de ce que les marchands de vin vendent comme des vins vieux du vin ordinaire sujet à la taxe, de sorte qu'on ne peut plus se procurer de vin ordinaire. Plusieurs membres du Comité confirment les faits, et l'on arrête immédiatement, que les marchands de vin seront avertis de suite par une proclamation à son de caisse, afin qu'ils aient à faire, sans retard, la déclaration de leurs vins et des qualités qu'ils leur attribuent ; qu'un des membres du comité se réunira aux commissaires du district (les plaignants eux-mêmes), pour faire avec un gourmet la dégustation des vins et les placer dans la classe à laquelle ils appartiennent. — Dans une autre commune, à Douarnenez, le Comité établissait, après délibération du 22 Ventôse, que, depuis plusieurs mois, la ville se trouvait totalement privée de vin.

Après les vins viennent les eaux-de-vie, et sur nouvelles plaintes faites du défaut d'approvisionnement de certains débitants, force visites pour procurer aux patriotes cette boisson d'urgente nécessité.

Toutefois, les embarras s'accroissaient rapidement, et après avoir exposé, dans une délibération du 21 Brumaire, que la pénurie en viande, farine et beurre devenait si grande, que les gens de la campagne ne pouvaient plus se présenter au marché sans courir le risque d'être culbutés, maltraités et quelquefois violemment dépouillés par les consommateurs, qui ne leur donnaient pas le temps d'exposer leur marchandise, il fut décidé que, pour éloigner ces dangereux abus, la municipalité serait invitée à dresser un tableau de tous les habitants de la commune, tableau sur lequel chacun serait inscrit suivant le nombre des membres de sa famille pour les quantités dont il serait autorisé à se pourvoir. Mais comme en même temps il fallait aviser à ce que toutes les ressources disponibles fussent réservées aux bons citoyens de la commune, il fut décidé que toute personne étrangère au district ne pourrait pas s'approvisionner sur le marché, et que pour que la morale publique et les vrais principes du républicain ne fussent pas indignement blessés, tous les détenus auxquels il fallait aussi fournir des vivres jouiraient de la même nourriture, et que le riche pourvoirait ainsi à l'entretien du pauvre en se réduisant aux mêmes aliments que lui, à une nourriture simple et frugale, ainsi que le voulait la loi !

Mais ni ces arrêtés ni ces mesures n'arrivaient à faire approvisionner les marchés qui, de jour en jour, devenaient de plus en plus dépourvus, et il fut dès-lors décidé par un arrêté spécial dépêché aux Représentants : — qu'il serait fait un recensement général des grains existant dans le district ; — que des commissaires visiteraient les campagnes à cet effet et veilleraient à ce que l'ensemencement des terres fût fait comme d'habitude, et que tout malveillant qui y porterait obstacle serait sévèrement puni, ainsi que les municipalités qui n'y auraient pas veillé ; — enfin que les citoyens aisés seraient appelés à fournir les fonds nécessaires pour la création d'un grenier d'abondance ; — que les grains qui y seraient recueillis seraient distribués sur une liste fournie par la municipalité ; — que toute mesure prompte, efficace, utile à l'exécution de ce projet serait prise avec l'agrément des Représentants, et que si les ressources, malgré ces mesures, venaient à manquer, on s'adresserait au Comité de Salut public lui-même pour parer aux horreurs de la disette.

Qu'est-il besoin d'aller plus loin, et qui ne comprendra dans quelles inextricables difficultés tomba le pauvre Comité dont nous venons de retracer une partie de l'existence. La confusion fut promptement à son comble ; les distributions ne se firent plus qu'à grand'peine, bientôt on signala des complaisances dans la répartition des bons, tant pour les membres du Comité que pour leurs amis, et le district et le club retentirent de ces plaintes en même temps que de celles des marchands qui se disaient injustement requis de fournir des marchandises qu'ils n'avaient pas. On ne parla au dehors du Comité de rien moins que de sa mise en suspicion, de sa dissolution même, et cependant il n'avait pas trois mois d'existence… Pour répondre à ce qu'il appela d'infâmes calomnies, le Comité commença de son côté par redoubler de sévérité envers les suspects et par en reviser la liste en étendant les arrestations déjà faites, à Gilbert, père et fils ; à Chalut, mère et sa fille, constamment fanatique et aristocrates, à sept religieuses fanatiques et aristocrates, à Mervé, femme d'émigré, et à sa mère Mazurié, mère d'émigré ; à Jézéquel, tailleur, vulgairement dit commissionnaire des aristocrates, à cause de ses relations avec eux ; à Mascle, proche parent de plusieurs émigrés, n'ayant point déposé sa croix de Saint-Louis, etc., — et à beaucoup d'autres coupables d'aussi énormes méfaits. — Puis, faisant ressortir le zèle qui l'animait, il décida, sur la dénonciation d'un certain greffier de justice de paix de Plogastel, qu'il fallait sans retard fouiller et démolir quelques châteaux des environs qui menaçaient la sûreté publique, et en même temps briser les vitraux de l'église de Daoulas, sur lesquels il existait encore des armoiries qui étaient la honte des vrais républicains.

Mais tout cela ne put y faire. Le blé, la viande, les œufs, le vin, le fer, les fils, les draps, c'est-à-dire tout ce qui était nécessaire à la vie, continuait à faire défaut et ne se trouvait plus…. Deux affidés intimes de Bréard, Hérault, commissaire du Comité de Salut public, et Le Clerc, délégué direct du représentant, furent chargés de se rendre à Landerneau et y arrivèrent le 1er Frimaire, munis de pleins pouvoirs pour reconstituer le Comité révolutionnaire ainsi que le demandaient depuis quelque temps la Société Sans-Culotte de Landerneau, le district et les plus ardents qui s'étaient promptement fatigués du zèle de leurs propres élus. — Le comité Leissègues fut donc dissout et remplacé par un nouveau groupe de fidèles. Une adresse à la Convention, pour la prier de rester à son poste, fut le premier acte de ces nouveaux élus. — « Vertueux Montagnards, disaient-ils, restez à votre poste ! Le Comité de surveillance Sans-Culotte révolutionnaire de Landerneau vous le répète aussi, restez à votre poste, restez jusqu'à ce que les tyrans coalisés aient abandonné la terre de la liberté et nous demandent en vain la paix ! Nous vous en prions, nous les organes de nos frères qui ont volé en foule à la défense de la patrie, de nos épouses qui viennent offrir à l'envi leur vieux linge et travailler aux vêtements qui doivent couvrir les défenseurs de la liberté ». — Et ce nouveau credo de la foi montagnarde ainsi prononcé, ils se mirent en mesure d'apprécier la conduite de leurs prédécesseurs. — Un mémoire inséré dans les procès-verbaux du Comité forme la principale pièce de cette justification, et établit que tous les faits articulés à la charge de l'ancien Comité sur sa coupable complaisance dans la distribution des bons, avaient été, au préalable, discutés au sein de la Société populaire et commandés par elle ; qu'il n'y avait que les dénonciateurs de la Société Sans-Culotte qui pussent avoir oublié ce dont il avait été convenu avec eux, avec le district, avec la municipalité elle-même ; — que le reproche qui lui était aussi fait d'avoir étendu ses pouvoirs aux autres communes du district, au lieu de se renfermer dans les limites de la ville de Landerneau, était sans fondement, et que c'était encore, sur la demande de cette Société populaire, que ses pouvoirs avaient été étendus par l'administration du district ; que, d'ailleurs, si des embarras réels et constants étaient survenus dans la distribution des bons, et, par suite, dans le placement et la vente des marchandises, la chose avait surtout tenu à ce que la taxe du maximum n'était pas uniforme dans toutes les localités, et qu'il arrivait journellement que des marchands obligés de s'approvisionner au dehors, y rencontraient des taxes plus élevées que celles au taux desquelles ils étaient obligés de vendre à Landerneau et dans le district, mais qu'ils avaient vainement signalé ce fâcheux abus au Comité de Salut public et aux Représentants en mission ....

Toutefois, le nouveau Comité, non plus que les commissaires Le Clerc et Hérault n'étaient gens à se payer de si minimes raisons, et il fut décidé qu'on appellerait dans le sein du Comité tous ceux qui auraient à se plaindre, et en première ligne les Sans-Culottes de la Société populaire, qui avaient si heureusement décélé les abus. La procédure fut longue, les deux Leissègues, Mazé fils, Duclos-Le Gris, Desforges et Callégan furent successivement appelés et longuement interrogés.

De tout ce qui fut dit, nous apprenons que, pour aviser à la prompte expédition des affaires, des bons avaient été signés en blanc ; que plusieurs avaient été pris ou détournés, et que quelques-uns avaient été remplis de manière à établir des préférences non contestables ; tenfin, que la signature de Rabusson, l'un des membres de l'ancien Comité, avait été méchamment contrefaite. Sur quoi le Comité régénéré, prenant une souveraine délibération, décréta, avec l'agrément des commissaires délégués de Bréard, que trois des membres de l'ancien Comité avaient manqué à leurs devoirs, démérité de la patrie, et qu'ils seraient en conséquence publiquement signalés à la Société populaire de Landerneau ainsi qu'à tous les citoyens de la commune.

Voilà un des notables résultats auxquels aboutit la création des Comités révolutionnaires ainsi que la double action des clubs et de ces comités, appliqués les uns et les autres à cette même œuvre de compression et d'exaltation républicaine, que les meneurs du moment croyaient seule capable de fonder le nouveau régime qu'ils entendaient donner à la France.

Les nombreuses délibérations des Comités de Brest, de Morlaix, de Quimper, de Lorient, de Camaret, de Douarnenez et de beaucoup d'autres villes, que nous possédons en original, ne font que confirmer ce que nous venons de dire, et formeraient à elles seules un gros volume. Nous remarquons, toutefois, par l'ensemble de ces délibérations, que rien ne fut ni moins prévu ni moins réglé que l'action de ces terribles commissions. Un décret du 21 Mars 1793 en avait, dans le principe, prescrit la création, sous prétexte d'éloigner du sol de la liberté tous ses ennemis et notamment les étrangers, dans un moment où une nouvelle Constitution allait être donnée au pays. Mais combien les pouvoirs et les attributions de ces commissions n'avaient-ils pas eux-mêmes changé avec les circonstances. Nommées, dans le principe, simples comités de surveillance, elles s'étaient appelées, après la chute des Girondins, Comités révolutionnaires, et quelquefois Comités de recherche et de Salut public. — Issues d'abord de l'élection à raison de cent votants par mille citoyens inscrits, elles durent bientôt leur création et leur terrible mandat aux Représentants et aux Sociétés populaires quand on voulait bien consulter celles-ci. Tout rentra d'ailleurs dans leurs attributions, et je les vois aller, à Morlaix et à Quimper, jusqu'à briser les administrations en fonctions, pour les reconstituer dans un sens plus révolutionnaire. — En correspondance de tous les jours avec les clubs, les administrations, les municipalités, les tribunaux, les Représentants et le Comité de Salut public lui-même, quand il y avait lieu, rien n'échappait aux Comités, rien ne se faisait sans qu'ils fussent consultés. Sûreté publique, — police, — matières contentieuses ou de finance, — fêtes, — travaux publics, — action révolutionnaire, — interrogatoires, — visites domiciliaires et mandats d'arrêt, tout était de leur compétence, et animés de cette ardeur fiévreuse de l'époque, qui n'admettait pas de milieu entre liberté ou la mort, devise sous laquelle ils s'étaient rangés, on les vit attaquer et poursuivre tout ce qui, dans le présent ou le passé, pouvait être une protestation contre l'affreux nivellement qu'ils poursuivaient, en ramenant la société entière des sommets élevés où elle était parvenue jusqu'à la plus infime dégradation des caractères et des institutions.

Dans les campagnes, qui furent aussi dotées de Comités révolutionnaires (toutes, grâce à Dieu, n'eurent pas ce bonheur), les choses se passèrent un peu différemment, et la politique nous semble y avoir cédé presque partout le pas aux intérêts plus positifs et plus matériels de la vie commune. — Y a-t-il une visite à faire, une délégation à remplir près du district ou d'une commune voisine ? les membres du comité demandent purement et simplement s'ils seront indemnisés de leur temps et de leur déplacement, et sur la négative, ils se refusent à rien faire. — Les terres de quelques absents étant restées incultes faute de bras pour les travailler, et la loi faisant une obligation au Corps municipal d'y aviser, les dénonciations apprennent que ces bons patriotes n'ayant rien vu à gagner, n'ont voulu rien faire. Plusieurs terres furent, ainsi frappées de chômage dans la commune de Cléden-cap-Sizun, près d'Audierne, Enfin, des fers et des cuirs, à la suite de la pénurie qui a été provoquée par la loi du maximum, sont-ils envoyés dans les communes rurales pour être répartis entre les cultivateurs, d'autres dénonciations apprennent également que les officiers municipaux ont tout gardé pour eux et les leurs. — Pour les réquisitions, c'est encore pis, s'il est possible, et ce sont les plus pauvres et les plus faibles qui ont été les premiers et les plus complètement dépouillés. L'exercice de tous les pouvoirs révolutionnaires y prend cette direction d'une manière presque invariable.

Mais, avant d'aborder l'administration même des Représentants en mission près les côtes de Brest et de Lorient, et d'exposer les actes personnels de leur gestion, suivons encore pendant quelques pas le Comité régénéré de Landerneau, ne fût-ce que pour constater la parfaite obéissance de ces aveugles instruments de la terreur, que nous trouverons à son paroxisme dans les tribunaux révolutionnaires qui, comme celui de Brest, firent verser tant de sang et tant de larmes.

Hérault, Le Clerc et un autre délégué nommé Vaucelle, après avoir dissout l'ancien Comité, procédèrent à Landerneau comme ils l'avaient fait à Brest, comme ils allaient le faire à Quimper, à Morlaix, à la régénération de la Société populaire. Tous pouvoirs leur avaient été donnés à cet effet, et nous voyons, par une lettre de Bréard, du 21 Frimaire, qu'il leur fut recommandé d'être sans pitié pour ces ennemis de la République ; en même temps qu'ils furent autorisés à prendre toutes les mesures nécessaires, quelque rigoureuses qu'elles fussent, sans recours aux Représentants. Leur arrêté désigna donc douze citoyens des plus purs, qui eurent mission de se constituer, d'en choisir douze autres pour leur être adjoints, et, avec ceux-ci, d'en élire vingt-quatre autres, qui tous ensemble désigneraient les citoyens qui leur paraîtraient aptes à faire partie de la Société populaire et révolutionnaire des amis de la liberté et de l'égalité, après que leurs noms auraient été publiquement affichés dans leurs sections et que tous les citoyens eussent été appelés à se prononcer sur leur civisme.

Ainsi constitués, ces nouveaux sociétaires, au nombre de cinquante, nommèrent le Comité qui allait succéder à celui que l'on avait renversé. Les désignations furent faites par la voie de l'élection, et, dès le 24 Frimaire, Landerneau eut le bonheur d'avoir un club et un comité révolutionnaire encore une fois régénérés. Nous voyons en même temps que de nouveaux délégués du représentant Bréard, chargés de purger les campagnes des aristocrates qui s'y trouvaient, reçurent plusieurs dénonciations et des renseignements sur les utiles captures que l'on pourrait faire, notamment du côté de Daoulas. En même temps des lettres de la poste ayant été saisies et lues en séance, on reconnut que la citoyenne Caroline Lantivy devait être immédiatement arrêtée, et l'on décida qu'on enverrait au représentant Bréard copie de la lettre qui lui était adressée.

Dès ce jour, une commission, dite des postes, composée de deux membres, fut chargée de se trouver, tous les jours, à l'ouverture de la malle, et de retenir les dépêches qui, par leurs suscriptions ou par le nom des personnes auxquelles elles seraient adressées, leur paraîtraient suspectes. « Pourquoi, en effet, » disait un autre membre du Comité, dont nous avons aussi les procès-verbaux sous les yeux, celui de Saint-Brieuc, « pourquoi aurions-nous des ménagements pour des êtres qui n'en eurent jamais pour les citoyens, et qui, tournant notre loyauté contre nous, feraient servir notre délicatesse à la réussite de leurs projets ? Tournons contre eux leurs propres armes, et voyons ce que ces coquins se disent. Cette précaution nous a déjà servi ; trois lettres, etc… ».

D'ailleurs, les bons conseils de Le Clerc et de Hérault continuaient à être prodigués aux nouveaux Sans-Culottes du Comité, et ces deux commissaires, écrivant de Montagne-sur-Odet (Quimper), où ils régénéraient aussi tous les corps politiques, aux complaisants montagnards de Landerneau, leur prescrivaient de rechef de poursuivre les membres de l'ancien Comité en ajoutant qu'il fallait veiller soigneusement à la correspondance des intrigants et des gens suspects ; n'épargner aucune mesure de sévérité, les demi-mesures étant désormais hors de saison, et les victimes de l'aristocratie et du fanatisme devant être promptement vengées. — Doux et bons conseils que n'eurent garde de négliger les nouveaux élus, qui demandaient aussitôt au représentent Bréard que toutes les autorités constituées du district fussent promptement épurées ! (Séance du 8 Nivôse an II).

Ces faits suffisent et au-delà, sans doute, pour caractériser ce Comité de Landerneau comme tous ceux qui furent alors constitués ; et il n'est personne qui ne devine ce que purent avoir à ajouter et à conseiller les délégués envoyés sur les lieux, ou les Représentants eux-mêmes quand ils voulaient bien se rendre au sein des Comités pour les animer de l'ardeur qui les dévorait. Tout le monde sait ce que surent faire dans ce genre Carrier et le Comité Bachelier à Nantes, ce que Couthon et Le Bon firent dans le Nord, ce que d'autres tentèrent et poursuivirent avec cette effervescence qui poussa un instant les masses d'un instinct de destruction que rien ne semblait devoir arrêter. Voici sur ces tristes temps la théorie que Carrier lui-même prit le soin de tracer aux membres du Comité de Saint-Brieuc, comme la ligne de conduite que les Montagnards devaient suivre sans hésitation.

Deux mandats d'arrêt avaient été lancés de Rennes contre Rupérou et Du Couëdic, membres de l'ancienne administration départementale des Côtes-du-Nord (aujourd'hui Côtes-d'Armor), que le Comité local avait désignés comme partisans des Girondins. Mais d'autres prévenus, déjà arrêtés, essayaient de se prévaloir des dispositions de la loi pour demander à être interrogés. — « J'aprouve toutes les mesures que vous avez prises, dit Carrier » (16 Septembre 93) ; continuez à développer le même zèle pour vous assurer de tous les malveillants et des hommes suspects. Faites promptement le département. Qu'on ne vienne pas vous dire que les détenus doivent subir un interrogatoire vingt-quatre heures après leur arrestation. Les mesures qu'on prend dans ces moments de crise pour les réduire à l'impossibilité de nuire ne sont pas soumises à cette formalité. Le salut public est la suprême loi dans les circonstances qui nous environnent et commande impérieusement leur arrestation sans qu'on soit assujetti aux formalités qu'on suit en temps calmes. Ceux qui ont fait par leur incivisme, par leurs prédications fédéralistes, des plaies profondes à la patrie, doivent s'estimer fort heureux qu'on ne fasse que s'assurer de leurs personnes. Ceux qui seraient vraiment coupables subiront la peine que provoquent leurs crimes. Je me rendrai incessamment à Saint-Brieuc, et alors je livrerai ceux-là à la justice nationale…. Tout à vous après la République. Salut et fraternité. CARRIER ».

Et cette semence fut, à ce qu'il paraît, versée en bonne terre, car le Comité, se mettant aussitôt à l'œuvre, fit savoir à Carrier, peu de jours après l'émission de ses premiers mandats, que dès qu'on peut faire le bien c'est un mal de ne pas y procéder de suite, et, qu'à cet effet, pour rendre plus efficaces les premières mesures prises par le Représentant, ils avaient pensé devoir ajouter d'autres arrestations à celles qu'il avait prescrites. Le Comité de Saint-Brieuc, déduisant à son tour sa propre théorie et se montrant en cela presqu'aussi habile que le maître, ajoutait qu'en débutant dans la carrière par de grands coups, il espérait imprimer ainsi un mouvement salutaire à la machine, parce que tous ces lâches ennemis de la République ne manqueront pas de s'isoler, et que chacun d'eux avant toujours l'espoir d'échapper à la vengeance de la nation en se persuadant qu'on n'en voudra qu'aux chefs, attendra son arrêt en tremblant.

Puis, en forme de confidence, ces bons patrons ajoutaient à Carrier : Telles ont été nos principales raisons, nous vous déduirons les autres par la suite (Délibération du 14 Septembre 1793).

Mais arrêtons-nous, car l'histoire des Comités serait interminable, et si celui de Saint-Brieuc n'eut pas le bonheur de voir Carrier arriver dans les murs de cette ville pour tout régénérer, ainsi qu'il se le proposait et qu'il le fit si bien à Nantes, ce n'est pas qu'il eût manqué sur les lieux d'hommes capables de le seconder, ainsi que nous l'apprend l'ancien procureur général syndic du département des Côtes-du-Nord, qui va jusqu'à dire, dans sa correspondance privée, que tout avait été préparé sur les lieux pour des noyades dans le genre de celles pratiquées à Nantes. Comprenant d'ailleurs toute la portée de leur mandat, les affidés de ce même Comité en exprimant à Carrier tout le regret qu'ils avaient de voir s'éloigner l'instant où ils auraient joui de sa présence, lui faisaient sentir qu'il était important de ne pas créer de Comités dans les communes rurales, parce que l'esprit public y serait promptement faussé et que les villes seules étaient en mesure d'inoculer aux gens de la campagne les véritables principes du gouvernement républicain. C'est à ce moment que deux de ses membres, Roux et Chevalier, se rendant à la maison du séminaire, où étaient détenus les suspects, saisissaient tous les bons souliers qui pouvaient s'y trouver, afin d'en pourvoir les républicains qui marchaient avec le général Tribout de Brest sur Dinan ; c'est enfin dans ce même moment, et toujours inspirés des mêmes sentiments, que les zélés révolutionnaires du Comité de Saint-Brieuc se rendant au bureau des messageries, sur l'avis de son directeur, y saisissaient une somme de 2,355 francs adressée à la femme Du Boisguéhenneuc, en se fondant sur ce qu'elle n'aurait pu en faire qu'un mauvais usage.

Ne croyez pas d'ailleurs que ce fait fut isolé et exceptionnel.

Nous trouvons à la même date (22 Ventôse an II), que le Comité révolutionnaire de Brest demandait à être autorisé à ouvrir les lettres chargées à la poste, pour s'assurer s'il ne s'y trouvait rien de contraire à l'intérêt de la République [Note : Les membres du Comité révolutionnaire de Brest étaient en ce moment : Palis et Pasquier, qui devinrent, un instant après, juges du Tribunal révolutionnaire ; — Le Fournier et Désirier, qui en furent jurés ; — Baron, — Azcas, — Brandin, — P. Philippes et James]. — Nous trouvons sur le registre du Comité de Landerneau (Séance du 14 Ventôse an II), que le Comité de Blaye venait de lui écrire pour se plaindre des détournements considérables de fonds qui avaient été faits dans plusieurs bureaux de poste au détriment des négociants de Blaye. — A quoi le Comité et la commission des postes répondaient qu'ils s'emploieraient avec tout le zèle dont ils étaient capables, pour tâcher de découvrir les auteurs de ces délits. — Une lettre de la prison de Vannes, datée du 16 Vendémiaire an III, et signée de la veuve de notre célèbre Du Couëdic, qui gémissait alors avec sa sœur, son beau-frère et sept enfants sous les verroux de la terreur, nous révèle un fait plus énorme encore s'il est possible, à l'occasion d'une petite somme de 100 francs qui aurait été expédiée de Josselin à la citoyenne Duvergier, sa sœur, à Quimperlé, avec prière à celle-ci de la distribuer à quelques pauvres familles habituées de sa maison. Et nous trouvons, dis-je, qu'au lieu d'arriver à sa destination, cette somme aurait été saisie à Quimperlé et versée dans la caisse du receveur de l'enregistrement. De sorte que l'État lui-même, raisonnant comme les clubs et les comités révolutionnaires, aurait essayé un instant de se porter juge de l'emploi de fonds en circulation [Note : En parlant des infidélités de l'administration des postes, qui n'épargnaient pas même les Représentants dans leurs relations avec leur famille et leurs commettants, Guermeur, représentant de Quimperlé, disait, dans une lettre du 30 Floréal, an II, à la Société populaire de cette ville : « Quant à moi, j'ai fait bien des sacrifices à la chose publique et je les ai faits de bon cœur. Mais celui qui me fait souffrir davantage, c'est l'interception continuelle de ma correspondance, j'entends parler de celle qui part de Quimperlé ; et l'on me permettra sans doute de regretter en particulier la perte des lettres de ma femme. On nous en a tant volé, que depuis longtemps la curiosité devrait être plus que saturée et du secret de nos affaires domestiques et du zèle avec lequel cette bonne et franche républicaine correspond à celui avec lequel je tâche de rendre quelques services à mes concitoyens. C'est ainsi que, depuis quelque temps, dans des moments importants, j'ignore ce qui s'est passé et ce qui se passe dans nos parages »].

Ils étaient donc, en tout, dignes de leurs chefs, comme on le voit, et nous ne devons pas trop nous étonner de ce que firent les Représentants en mission dans nos départements, envoyant l'élan qu'ils rencontrèrent de la part de quelques-uns, chacun des autres se persuadant, comme l'avait si bien jugé le Comité de Saint-Brieuc, qu'on n'en voudrait qu'aux chefs, et que, dès-lors, la masse se contenterait de trembler.

Et, en effet, comment douterions-nous de la justesse de cette appréciation : tous les registres de nos anciennes administrations n'ont-ils pas conservé l'irrécusable témoignage de l'empressement obligé ou volontaire que toutes nos villes et nos communes mirent à faire savoir qu'elles acceptaient la sublime Constitution de 1793. — Saint-Brieuc ; si heureuse du touchant intérêt que lui témoignait Carrier, l'accepta à l'unanimité, et chargea Hamelin, le président de son Comité, d'aller en assurer la Convention.

(Armand du Chatellier).

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