Web Internet de Voyage Vacances Rencontre Patrimoine Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Bienvenue !

BREST ET LE FINISTÈRE sous LA TERREUR

  Retour page d'accueil        Retour page "Brest et Finistère sous la Terreur"  

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Dénonciations nouvelles et menées des agents secrets. — Belval, ancien procureur-syndic de l'administration départementale. — Encombrement des prisons et internement des parents d'émigrés. — Saisie d'un écrit contre l'amiral Villaret, et révocation de Hugues, accusateur public du Tribunal révolutionnaire. — Reconstitution de ce Tribunal. — Nomination de Ragmey, Donzé-Verteuil et Bonnet.

L'exécution du décret du 21 Pluviôse avait seule suffi à tout terrifier dans Brest et le Finistère, et personne n'eût songé à s'opposer, pour le moment, à l'action combinée des Représentants et de l'accusateur public vivant dans la plus parfaite intimité de vues et de projets. — Les patriotes indigents, soudoyés sur les fonds secrets du Comité de Salut public, en pénétrant, ainsi que nous l'apprend la lettre de Bréard, déjà citée, jusque dans le sein des familles, redoublaient d'une infernale activité, et, d'accord avec les membres des Comités et des Sociétés populaires, faisaient affluer dans les bureaux de la Représentation, des dénonciations qui amenaient chaque jour des arrestations plus en plus multipliées. La crainte et l'inquiétude planaient sur toutes les têtes, et il n'était pas d'homme ayant appartenu, de près ou de loin, à la marine, au port de Toulon, à la flotte de Morard de Galle, ou aux anciennes administrations du département, qui ne se trouvât sous le coup prochain d'une arrestation ou d'une condamnation à mort. — Un des moyens souvent employés par les meneurs de cette époque, fut d'exagérer ces craintes elles-mêmes aux yeux des faibles, et de pousser certains prévenus à des confidences qu'on leur présenta comme un moyen d'adoucir leur sort et de sauver peut-être leur tête. C'est par cette manœuvre que l'un des Représentants, en ce moment à Brest, parvint, à l'aide d'un ami de l'ancien procureur-syndic de l'administration du département décrétée d'accusation le 19 Août, à persuader au malheureux et jeune Belval, rentré dans l'administration de la marine depuis le 25 Novembre 1792, que s'il faisait connaître tout ce qu'il devait savoir sur la présence des députés de la Gironde dans le Finistère, sur leur fuite et leurs relations d'un moment avec les Fédéralistes de Quimper et de Caen, on pourrait oublier ce qu'il avait été à l'ancienne administration du département, ce qu'il avait pu y faire avant de se séparer de ses collègues …. Le pauvre Belval, jeune, brillant, marié depuis peu, ayant devant lui un avenir des plus prospères, voulait croire encore à la vie, et se laissa aller à dire, dans une lettre que nous possédons, que trois des Représentants du Finistère, Blad, Kervélégan et Gomaire avaient surtout contribué, par leur correspondance, à alarmer le département sur le sort de la Convention ; qu'ils écrivaient sans cesse aux administrés de ce département qu'ils n'étaient pas libres et qu'ils délibéraient sous la hache des assassins ; — que sur ces dires on crut la Convention en danger ; — que ce fut à la suite de ces alarmes qu'on résolut de marcher à son secours, et qu'on sortit de l'Hôtel du département la bannière qui avait été donnée à la section du Finistère à la journée du 10 Août ; — que partout dans le département on choisit les plus dignes, et que personne n'aurait cru sans déshonneur pouvoir refuser de marcher ; — que ce fut au moment du départ des Finistériens qu'un nommé Cail, du Calvados, vint répandre sa pernicieuse influence sur les administrateurs du Finistère et changer la marche de la force finistérienne ; — que Caen reçut dans le principe des hommes libres destinés à servir la cause de l'indivisibilité, et que ce fut, sans le savoir, qu'ils servirent une cause étrangère à leur cœur.

Voilà, pour les faits généraux, ce que disait Belval ; mais il ajoutait que Broussard, commandant un bataillon de Paris, avait été le seul, au moment décisif, à donner des assurances tranquillisantes sur le sort de la Convention, et que cependant il s'était rangé à la proposition de Belval, qui consistait à se rendre à Paris pour fraterniser avec les habitants, tout en offrant à la Convention une égide contre les scélérats qui se cachaient sous tous les masques.

Puis, venant au fait propre des Girondins et des Fédéralistes, il disait que quand les Finistériens avaient quitté le Calvados pour retourner dans leurs foyers, quelques mécontentements s'étaient manifestés en route, et que plusieurs d'entre eux avaient voulu qu'on ne conduisît pas les Girondins plus avant ; mais que Souchet, et quelques membres de l'administration en avaient décidé autrement, et que les regardant comme des êtres malheureux, pas un homme n'avait eu le courage de porter la lumière dans l'esprit de ses concitoyens.

« Peu de temps après, continue-t-il, je me rendis à Quimper pour affaires du service de la marine, et j'appris qu'une grande partie des députés avait quitté le territoire, et qu'il n'en restait que quelques-uns retenus pour cause de maladie. Les liens de la société m'avaient donné des habitudes dans la maison de Kervélégan qui était le Dieu révolutionnaire des cantons circonvoisins de Quimper ; ce fut lui-même qui me donna ces renseignements. Je le croyais très patriote, je lui fis même des reproches de n'avoir pas suivi la destinée des autres ; il me dit ne point vouloir partir. — Peu de jours après mon retour à Brest, Pouliquen me parla de sauver quelques-uns des députés en fuite, toujours considérés comme des hommes vertueux. — La chose est facile, me dit-il, j'ai un bâtiment, tu viendras avec nous et nous les sauverons. — Je sentais qu'il était bien important de délivrer notre sol de la présence de ces députés ; je craignais que les campagnes, souvent prêtes à se lever, ne vinssent enfin à s'appitoyer sur leur sort. Un décret frappait le conseil général du Finistère et atteignait en même temps tous ceux qui avaient agi d'après sa volonté ; mes parents et plusieurs de ceux que j'estimais se trouvaient rangés dans cette classe malheureuse, et je ne me dissimulais pas que si mon opinion venait à se réaliser, le territoire du Finistère n'offrît bientôt que l'image d'une Vendée. A tous ces motifs se joignait la persuasion où j'étais que ces hommes n'avaient point adopté la marche nécessaire à notre révolution, et qu'ils avaient été coupables d'un manque d'énergie : pénétré de ce sentiment, je restai jusqu'au moment où Pouliquen vint me dire : » Tout est prêt, il faut partir ». J'étais malade, j'avais promis, je croyais faire une belle action, je me mis en route. Nous primes un bateau de pêche pour nous rendre à Lanveoc ; de là nous fûmes à Quimper. Pouliquen les fit avertir, je crois par le canal d'Abgrall. Kervélégan, que je ne vis pas, ne voulut point être du voyage. Nous nous mîmes de nouveau en route, et les députés que je n'avais jamais vus et avec lesquels je n'avais point eu de relations, se trouvèrent sur la route aux lieux qui avaient été désignés. L'un d'eux, qu'on dit être Pétion, me déplut infiniment, et je le dis à Pouliquen. On s'arrêta pour leur donner à manger ; ils étaient accablés de fatigue et de craintes ; nous arrivâmes à Lanveoc, et nous prîmes un bateau de ce pays pour les conduire à bord du bâtiment qui devait les éloigner de nos côtes. N'ayant point trouvé sur la rive opposée à Brest, un bateau de pêche qui devait nous y attendre, mais qui s'était trompé et avait manqué au rendez-vous donné par Pouliquen, après avoir labouré la rade pendant une partie de la nuit, nous vîmes, aux approches du jour, le convoi de Bordeaux, faisant route pour sa destination : un seul bâtiment restait encore, nous fîmes route vers lui ; c'était le navire indiqué ; ils y montèrent, et je crus avoir fait une belle action. Si j'avais su que ces hommes étaient coupables, la main qui les servit quelques heures, les aurait tous arrêtés. Il est encore deux hommes qui sont venus dans le Finistère et qui ont fait route pour Bordeaux, l'un s'appelait Ysard Valadi, et l'autre était collaborateur de Brissot. — J'ai dû vous dire toute la vérité. Ma patrie est mon Dieu ! Il ne me reste qu'un vœu à former, c'est de réparer par quelques actions d'éclat l'erreur où m'ont plongé des hommes chargés de nous éclairer et qui ont indignement rempli les fonctions qui leur avaient été déléguées. Signé : BELVAL ».

C'est sur cette lettre que Scauvic, le capitaine de la barque qui avait conduit les députés du 31 Mai, jusques dans la Gironde, fut arrêté ; c'est sur cette lettre, et d'après les renseignements qu'elle donnait, que Dagorn, après s'être concerté à Quimper avec les membres du Comité révolutionnaire, partit pour les îles des Glénans, afin d'y saisir Kervélégan ; c'est, enfin, d'après les détails de cette lettre, sur la correspondance de Blad avec l'ancienne administration du département, que les Représentants de Brest se consultèrent avec leurs collègues du Comité de Salut public, pour savoir si l'on ne ferait pas décréter Blad qui était resté à la Convention après le 31 Mai, et si on ne le comprendrait pas dans une nouvelle épuration…. Pour le moment, tout s'apaisa de ce côté ; on ne parvint pas à saisir Kervélégan, et les papiers de l'ancien département ne fournirent rien de bien concluant contre Blad qui était de Brest et qui avait plus souvent correspondu avec la municipalité de cette ville qu'avec l'administration départementale .... Quant à la palinodie du pauvre Belval, les meneurs en tirèrent tout le parti possible, tout en laissant, pour un instant, l'ancien collègue des membres du département persuadé qu'on allait l'oublier.

Nous avons sous les yeux une foule d'actes et de lettres de cette époque, établissant, néanmoins, que jamais les arrestations ne furent plus multipliées. D'une autre part, les registres des districts en témoignent largement, et nous voyons par la correspondance des Représentants, que c'étaient eux-mêmes, et non l'accusateur public, qui décidaient de la plupart des arrestations, sans qu'aucun des motifs de ces arrestations fût généralement déduit dans les arrêtés qui les prononçaient. Quelquefois ces arrêtés cependant mentionnaient les déclarations qui avaient été faites aux Représentants par les administrations ou les comités contre les individus à saisir ; mais, le plus souvent, ils ne mentionnaient aucune cause, et tous ces arrêtés, au lieu d'être délibérés et approuvés par la Représentation entière, n'étaient signés que par un seul de ses membres et par Duras, le secrétaire de la commission. On reprocha même plus tard à celui-ci d'avoir surpris aux Représentants plusieurs actes d'arrestation sans qu'ils eussent eu connaissance de leur contenu, et les Représentants, à leur tour, se défendirent de plusieurs arrestations qu'on leur reprochait, en disant qu'il y en avait eu beaucoup de faites par les commissaires des sections, sans qu'il leur en eût été rendu compte. Mais, comme tout le faisait pressentir, dans cette rapidité d'exécution, dans cette rage de vengeance et de compression, les arrestations devinrent si nombreuses, que, dans le court délai d'un mois, les prisons ne purent contenir tous ceux qu'on y avait renfermés, et le mois de Nivôse s'était à peine écoulé, qu'un arrêté, signé de Laignelot et de Tréhouart (5 Pluviôse), prescrivit la formation la plus prompte possible de commissions, qui furent chargées de dresser, dans les trois jours de la réception de cet ordre, l'état de tous les détenus. Le considérant de cet arrêté portait « qu'un si grand nombre d'individus avaient été arrêtés par les ordres des districts, des municipalités et des comités, sans qu'on eût fourni sur leur compte aucuns renseignements nécessaires, qu'il était de la plus grande urgence de statuer sur les causes de ces arrestations, en faisant savoir si les détenus étaient nobles, prêtres ou fonctionnaires publics, et par qui et par quels motifs ils avaient été mis en arrestation, etc., etc. ».

Une commission de cinq membres fut nommée, à cet effet, par les Représentants en mission pour former la commission de Brest. Il en fut à peu près de même dans toutes les villes de la Bretagne, plus ou moins suspectées de Fédéralisme. Ces rigueurs eurent cependant une contre-partie, au moins dans l'esprit des meneurs et de la Représentation, et c'est à ce moment que, très sérieusement étonnés à la fois du peu de résultat des peines prononcées contre les déserteurs de la flotte, de l'encombrement subit des prisons, du mécontentement très vif des campagnes à l'occasion du maximum, et des réquisitions qui les épuisaient, les Représentants, bien sûrs déjà d'un certain nombre de victimes, et, d'un autre côté, vivement tourmentés du désir de voir sortir au moins satisfaite la flotte à laquelle on demandait une éclatante vengeance des affronts de l'Angleterre ; c'est, dis-je , le moment où l'on crut sage de se montrer indulgent pour le matelot et oublieux pour les simples citoyens qui avaient fait partie de la force départementale ; parmi ceux-ci beaucoup furent donc relâchés sur la demande des districts, des municipalités et des sociétés populaires. Ici on allégua que les uns avaient été égarés et entraînés ; là, que d'autres s'étaient mépris sur l'objet réel des menées du département ; que beaucoup avaient été désignés par la voie du sort, comme à Brest et à Morlaix, où les sections entières de la population avaient elles-mêmes indiqué les jeunes gens qui devaient partir.

Ces relaxations donnèrent de nouvelles places dans les prisons, et tout ce qui appartenait, de près ou de loin, aux émigrés : femmes, sœurs, mères de ces malheureux, domestiques mêmes, furent saisis et mis sous les verroux jusqu'à ce qu'encore, et pour la troisième fois, en deux mois à peu près, la place venant à manquer, on se décida à en interner beaucoup hors Brest, avec des feuilles de route et trois sols par lieue comme les soldats en marche. C'est ainsi que nous voyons partir de Landerneau pour Alençon, laissant derrière elle un enfant de sept mois en nourrice, la malheureuse mère de famille Jacquette Pichot, traînant à sa suite un enfant en bas âge, sans ressources, sans vêtements, sans linge, et seulement coupable de porter le nom du citoyen Le Borgne, qui passait pour avoir émigré. Je vois à Morlaix une autre femme se présenter vainement au Comité révolutionnaire et à l'administration du district, pour dire, qu'étant d'origine noble, elle ne sait plus où s'arrêter, ni où se rendre, ses ressources étant complètement épuisées… L'administration reste sourde à des raisons si concluantes, et se contente de viser son passeport pour qu'elle s'éloigne…. Cependant N… se présentait au même Comité, et placé comme les précédentes sous le coup d'un arrêt spécial des Représentants, qui avaient décidé que tout citoyen d'origine noble s'éloignerait à 50 lieues au moins des ports militaires de la République, je ne vois que lui parvenir à obtenir une remise à cette obligation, sur la preuve fournie par lui qu'il s'était sans-culottisé en épousant la fille d'un perruquier de Morlaix, preuve irrécusable de son inaltérable attachement à la République une et indivisible. Les plus obscurs ne purent échapper à ces mesures; et nous voyons de simples préposés des douanes, des agents subalternes des ateliers pour la fabrication des salpêtres, obligés de s'éloigner sans coup férir, malgré l'intervention de leurs chefs. Enfin l'armée elle-même ne dut plus avoir dans ses rangs aucun homme entaché d'origine nobiliaire, et nous trouvons plusieurs de ces malheureux qui, partis comme simples fusiliers dans les levées qui s'étaient faites, ne trouvèrent à s'arrêter qu'en prison, ainsi placés sous la surveillance des Comités qui les détinrent comme suspects avec les domestiques et les anciens agents de leurs familles, classés comme eux au rang des ennemis de la République.

Toute une liasse d'écrous, faisant état de 975 détentions opérées dans ces circonstances, nous fournit à cet égard les détails les plus curieux, et l'enseignement qui en ressort mérite au moins d'être mentionné. C'est que sur ces 975 détenus, qui la plupart passèrent un an et plus dans les prisons, il se trouva 106 ex-nobles ; — 239 femmes de même origine, dont un assez grand nombre âgées seulement de 15 à 16 ans quand beaucoup atteignaient 70 à 80 ans ; — 174 prêtres ou religieux ; — 206 religieuses, — tous accusés d'avoir refusé le serment et de s'être montrés hostiles au nouvel état de choses. — Parmi les autres détenus, je trouve 111 femmes exerçant les professions de lingère, de couturière et de domestique ; — 56 cultivateurs ; — 46 artisans ou ouvriers ; — 17 marchands, — et seulement 3 hommes de professions libérales, — les autres sans dénominations précises.

Mais la partie la plus curieuse de ces documents est celle qui indique les motifs mêmes de ces arrestations :

La plupart des détenus n'ont été saisis que comme suspects et comme dangereux ; leur naissance, leur fortune, leur rang dans la société ont décidé de leur sort. Des notes très brèves et très caractéristiques toutefois, ont été ajoutées par les Comités révolutionnaires à l'écrou de chacun. L'un a été arrêté pour ses relations avec les riches et avec les nobles ; l'autre, comme prévenu d'incivisme ; un troisième, pour l'absence de son fils et de son neveu, supposés émigrés ; celui-ci, comme étant aristocrate par éducation ; — cet autre, pour avoir caché dans son jardin deux sacs de jetons armoriés ; — beaucoup pour être de caractère et de relations inconnues ; d'autres encore pour avoir des opinions secrètes ; — pour avoir des relations avec des béguines ou des prêtres réfractaires ; — pour avoir vécu avec des parents qui ne sont pas dans les bons principes, etc. , etc ; — celui-ci pour avoir dit qu'il rentrerait dans la possession de ses biens ; celui-là pour avoir rencontré deux officiers municipaux et leur avoir dit : Bonjour messieurs ; cet autre pour avoir fait, en 1791, collationner ses soi-disant titres de noblesse ; enfin, cette femme, pour être en correspondance avec son mari émigré ; cette jeune fille pour être spirituelle et pour être disposée à ridiculiser les patriotes ; cette autre, pour avoir décidé l'émigration de son mari et être aussi spirituelle qu'il est simple ; ce prêtre, pour avoir refusé d'embrasser l'arbre de la liberté ; — cet agent d'affaires, pour avoir émondé un bois de châtaignier, afin d'affamer le peuple ; celle-ci pour avoir professé les opinions de son père, en témoignant dans toutes ses manières une morgue aristocratique ; celle-là pour avoir reçu des lettres à double sens ; d'autres enfin, pour être hautaines, morgueuses, quoique sans fortune ; — pour tenir à leur caste et aux préjugés des ex-nobles ; — pour avoir des liaisons avec leurs semblables ; — pour être incorrigibles ; — pour avoir de l'esprit et des moyens de nuire ; — pour n'avoir pas voulu, quoique jeune, accepter l'éducation républicaine qu'on lui a offerte ; — pour être ambitieuse de gloire et de distinctions ; — pour être babillarde et feindre de la popularité ; — pour être d'un esprit borné et solitaire, en restant attaché aux préjugés de l'ancien régime, etc., etc.

C'est ainsi qu'après s'être assuré de tous les opposants, après s'être débarrassé de toute résistance et de tout contrôle, le Tribunal révolutionnaire de Brest entra dans le plein exercice de sa terrible mission.

Mais un incident, insignifiant en apparence, fut, à quelques jours de là, au moment de dissoudre l'infernal concert qui semblait unir d'un lien indissoluble les terroristes de Rochefort et ceux de Brest. — Un nouvel arrêté, signé de Jean-Bon Saint-André et de Laignelot, en date du 5 Ventôse an II, venait de porter au commandement de divers navires de la flotte, quelques officiers dont le zèle avait été jugé à la hauteur des circonstances. Quelques autres, comme Duplessis, du Tyranicide, les deux frères Fustel, de la frégate la Félicité et du vaisseau le Républicain, Lévêque, de l'Impétueux, avaient été privés de leurs grades avec l'obligation de partir de Brest dans vingt-quatre heures, et de s'éloigner des côtes à vingt lieues au moins. On sut en même temps cependant que deux officiers, précédemment destitués, Gossin et Bompard, se proposaient de publier une brochure contre l'amiral Villaret, chef de la flotte, et que le manuscrit de cet écrit avait déjà été remis à l'imprimerie Gauchelet…..

Vif et très inquiétant fut l'émoi que causa un pareil événement parmi les meneurs. Nous ne savons pas au juste ce qui se passa, mais il paraît bien qu'un instant les Représentants et l'accusateur public du Tribunal révolutionnaire se trouvèrent en désaccord sur ce qu'il y avait à faire : les premiers voulurent couper court à toutes les difficultés par une mise en jugement des deux officiers Gossin et Bompard, fait sur lequel l'accusateur Hugues ne se serait pas montré aussi complaisant, puisque qu'après la saisie du manuscrit en question, ses auteurs, saisis eux-mêmes, furent dirigés sur Paris et mis à la disposition du Comité de Salut public, en même temps que l'accusateur Hugues fut suspendu de ses fonctions.

Une réorganisation du Tribunal devint dès-lors nécessaire, et nous voyons que la Représentation, s'adressant cette fois aux meilleures sources, demanda au Tribunal de Paris un de ses juges, Ragmey, pour en faire le président du Tribunal de Brest, et à Fouquier-Tinville lui-même, un de ses substituts, Donzé-Verteuil, pour en faire un nouvel accusateur public, qui serait assisté de Bonnet, secrétaire du même Fouquier-Tinville, comme substitut. Ce Bonnet avait un œil de verre, qui ajoutait quelque chose d'extraordinaire et d'épouvantable à la férocité très caractérisée de sa physionomie. Quant à Donzé-Verteuil, quelques-uns le disaient ancien capucin, quelques autres en faisaient un chanoine ; on fut même jusqu'à dire qu'il était d'origine nobiliaire ; mais ce qui ne peut être douteux, c'est que, dès avant son arrivée à Brest, il était bien connu de Jean-Bon Saint-André qui, quoi qu'il en ait dit, ne se contenta pas de laisser le soin au Comité de Salut public de reconstituer le Tribunal de Brest, puisqu'il y a une lettre de lui du 5 Nivôse à Verteuil, où il lui dit qu'il l'attend deux jours après la réception de sa lettre ; qu'il aime les républicains, qui, comme lui, joignent à l'instruction l'amour de la patrie, la douceur des maniérés et l'imperturbable fermeté de l'homme de bien.

C'est avec ces nouveaux venus et un Comité central de surveillance tout récemment reconstitué, qu'on se remit à l'œuvre, bien résolu à n'accorder ni grâce ni atermoiement à ceux que l'on avait désignés depuis longtemps à la vengeance du peuple. Comment douter en effet de ces intentions, quand on voit le nouveau Comité, ainsi reconstitué en Pluviôse, pour l'affaire même des jeunes officiers si cruellement sacrifiés le 21, compter dans son sein les juges du Tribunal révolutionnaire, Le Bars, fils, Palis et l'accusateur public lui-même, et avec eux, Boniface, Martin, Le Clerc pris dans les bataillons de la marine, et quelques autres que nous retrouvons à tout instant dans les commissions déléguées par les Représentants.

Malgré la mise en liberté de ceux qui étaient devenus par leur nombre un embarras auquel on n'aurait su comment parer, rien ne se ralentissait dans le mouvement imprimé depuis la mise à exécution de la nouvelle loi sur le Gouvernement révolutionnaire, et, avec un redoublement d'action et de recherche dans tous les districts, nous voyons les agents nationaux de plusieurs communes continuer à s'efforcer de pousser aux mesures les plus coërcitives les Représentants eux-mêmes, qu'un instant on put croire, par suite de quelques élargissements, disposés à s'arrêter sur la pente où quelques-uns marchaient avec tant de rapidité.

« Oui, citoyens, nous vous le répétons, disaient les habitants d'une simple commune rurale, qui se prévalaient de leur acceptation à la Constitution de l'an II : — oui, nous vous le répétons, l'ambition guidait tous ces muscadins, ces riches égoïstes des villes, qui, après avoir accaparé les plus belles places de la République, s'occupaient des moyens de protéger les ennemis de la patrie. Cette vérité est connue de tous les Français et surtout des Sans-Culottes nos frères. — Citoyens Représentants, faites marcher au pas redoublé tous ceux qui ont l'honneur de remplir une charge publique... Il n'est pas une commune dans la République qui nous surpasse en civisme ; mais le temps de l'indulgence est passé, et tous les conspirateurs, ainsi que ceux qui les protègent, doivent être exterminés, si nous voulons mériter la qualité d'hommes libres. Salut et fraternité !  R. T. L….. ».

Puis en post-scriptum. — « Fais-nous le plaisir de nous accuser réception, car le bruit s'est répandu qu'on a accordé aux gens suspects de s'adresser directement à tes émissaires pour obtenir leur élargissement. Nous croyons que cet élargissement serait très dangereux au moment où le fanatisme exerce son empire dans nos campagnes ».

(Armand du Chatellier).

 © Copyright - Tous droits réservés.