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LES BONNETS ROUGES

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Sommaire. - Le Père Maunoir ; comment il s'oppose à la révolte. - Arrivée des troupes royales en Bretagne. - Exploits de Mme de Rohan. - M. de Chaulnes à Carhaix ; bataille du Tymeur ; extinction de la révolte ; supplices et châtiments ; rôle du P. Maunoir. - M. de Chaulnes à Morlaix, Lannion, Tréguier, et le P. Maunoir à Pontivy.

Un seul homme, à ce moment, au plus fort de l'orage, tenta sinon d'arrêter au moins d'entraver un peu la furie de ce torrent. Cet homme n'était pas un soldat ; c'était un prêtre, un jésuite, un missionnaire, je devrais dire un saint, l'apôtre à qui la Bretagne doit la renaissance de cette foi solide que Dieu lui a fait la grâce de conserver, - en un mot, le R. P. Julien Maunoir. A quelque point de vue qu'on l'envisage, le P. Maunoir est une des figures les plus importantes de notre histoire provinciale au XVIIème siècle ; mais dans toute sa longue carrière, si pleine d'incidents curieux et de situations émouvantes, l'un des épisodes les plus caractéristiques, le plus propre peut être à bien faire comprendre la nature de l'influence exercée par cet homme apostolique, c'est sans contredit l'histoire de ses relations avec la révolte du papier timbré.

Le P. Maunoir était alors à Plouguernevel, paroisse fort considérable de la haute Cornouaille, entre Rostrenen et Gouarec, sur les confins du diocèse de Vannes. Il y devait donner une grande mission pour dignement inaugurer un séminaire de prêtres missionnaires, nouvellement fondé en ce lieu par l'ancien recteur de la paroisse, M. Picot, qui s'était démis de sa cure afin de créer cet établissement. L'esprit de sédition agitait déjà Plouguernevel ; les noms de timbre et de gabelle y étaient abhorrés ; et les paysans exaspérés semblaient n'attendre qu'un prétexte pour passer de l'agitation à la révolte. La plus futile circonstance pouvait, d'un instant à l'autre, déterminer ce mouvement. Or, dit le biographe du P. Maunoir, « comme les habitants alarmés prenoient toutes choses pour la gabelle, ils s'allèrent imaginer que les missionnaires que M. l'évêque leur envoyait exigeroient de nouveaux droits sur les mariages, sur les baptêmes et sur les enterrements ; et, choqués de cette prétendue gabelle, ils se rendirent en armes à l'église pour en chasser les missionnaires et pour s'opposer à la mission. En effet, les prêtres se disposant à chanter la grand'messe, le tumulte commença dans l'Eglise ; et nul de ceux qui devoient officier n'osa sortir de la sacristie jusqu'à ce que M. Picot, s'étant fait faire silence avec peine, déclara à toute la paroisse que les ecclésiastiques que M. de Quimper avoit envoyés ne leur demanderoient que ce qu'ils avoient coutume de donner, sans prétendre aucun droit nouveau : ce que les cinq missionnaires signèrent à l'heure même, par devant notaire » (Vie du R. P. Julien Maunoir, par le P. Boschet. Paris, 1697, in-12, pp. 360-361). Sur ce, le tumulte cessa, la grand'messe fut dite, et le soir la mission s'ouvrit. - « Les exercices se firent comme en pleine paix », continue le P. Boschet, « à cela près que trois ou quatre troupes de paysans projetèrent, l'une après l'autre, de piller le séminaire et d'enlever les prétendus trésors de M. Picot. Mais toutes changèrent de dessein sur le point de l'exécution, publiant que différents prodiges les avoient arrêtées. De manière que plusieurs de ces gens-là étant venus se confesser de leur faute, cela ne fit qu'augmenter la ferveur. Elle s'accrut encore par le grand concours de ceux de l'évêché de Vannes. Ainsi, tout le canton, changeant d'objet, ne pensa plus qu'à faire la guerre à ses propres vices et ne s'occupa que de l'affaire du salut ». (Id. Ibid., p. 362).

Voilà donc comme la paroisse de Plouguernevel fut sauvée de l'explosion de la révolte par le P. Maunoir ; mais son zèle ne s'arrêta point là. « Le Père apprit (reprend son biographe) que plusieurs paroisses assez éloignées de Plouguernevel allaient être entraînées par le torrent (de la révolte) ; mais c'eût été avancer leur malheur que de travailler ouvertement à le prévenir. Aussi, au lieu de se transporter dans ces paroisses, il jugea plus à propos d'en faire sortir les habitants et de les attirer à la mission. Il avança pour cela de huit jours la procession de Plouguernevel. Il la fit annoncer dans tous les endroits suspects pour occuper les esprits d'un spectacle prochain et pour exciter la curiosité du peuple ». (Id. Ibid. ; pp. 362-363).

Il est nécessaire de dire ici que les processions du P. Maunoir étaient des cérémonies d'un genre tout spécial, dont il se servait avec succès pour toucher le coeur des Bretons en frappant tout à la fois leur esprit et leurs yeux. Il y avait surtout, à chaque mission, une procession solennelle dont la pompe extraordinaire piquait au plus haut degré la curiosité de nos paysans, et ne manquait jamais d'attirer de toutes les paroisses environnantes un immense concours de peuple. Dans cette procession, des groupes nombreux d'hommes et de femmes, vêtus de costumes appropriés à leurs rôles, représentaient les vierges et les martyrs, les prophètes et les saints, en un mot, les principales figures de l'Ancien et du Nouveau Testament ; mais ce qui excitait surtout l'intérêt, c'étaient les personnages chargés de représenter la Passion de Notre Seigneur. Ceux-ci n'étaient pas muets, comme les autres ; au contraire, de temps à autre la procession s'arrêtait, ils jouaient au naturel, avec gestes et dialogue, les diverses scènes de la Passion du Sauveur. De temps à autre aussi la voix du P. Maunoir se mêlait à la représentation de ces mystères et tirait du drame sacré les enseignements les plus vifs, avec de véhémentes apostrophes à l'adresse de son immense auditoire : l'effet de ces prédications était aussi profond qu'infaillible (Boschet, Vie du P. Maunoir, pp. 296 à 305). C'est avec une procession de ce genre que le grand missionnaire tenta d'attirer jusqu'à Plouguernevel, c'est-à-dire sous sa main et sous l'influence de sa parole, la population des paroisses circonvoisines, au moment même où elle allait prendre les armes et entrer en pleine révolte.

« Et de fait, nous dit le P. Boschet, le moyen réussit. De toutes les paroisses dont la fidélité était chancelante, on vint à la procession, qui fit sur ce peuple l'impression qu'on désiroit. Car le Père ayant produit, à la fin de la prédication, le prêtre qui avoit représenté Jésus flagellé, demanda à ses auditeurs : " Serez-vous aussi cruels que les Juifs ? Crierez-vous comme eux : Qu'on le crucifie ! qu’on le crucifie ! Que dis-je, le crucifierez-vous vous-mêmes par la continuation de vos désordres ? ". A ces paroles vives et animées on ne répondit que par des larmes et par des gémissements extraordinaires. La procession finie, chacun s'en retourna dans sa paroisse, demandant pardon à Dieu et résolu de demeurer fidèle au Roi. Mais les résolutions de ces sortes de gens étant fort sujettes à changer si l'on ne prend soin de les affermir, le Père avoit averti à la fin de son sermon, que la communion pour les morts se feroit le dimanche suivant. Cela les entretint dans des idées de piété et les obligea à se confesser. Ils vinrent communier pour leurs parents défunts, et cette communion acheva de les fixer dans l'obéissance. 

Cependant, comme les saints ne comptent pour rien ce qu'ils font et qu'ils espèrent tout de la miséricorde de Dieu, le Père, accompagné de plusieurs bonnes âmes, alla en pèlerinage aux Carmes d'Auray, implorer le secours de sainte Anne, en qui les Bretons ont beaucoup de confiance. Il alla aussi à la cathédrale de Vannes, au tombeau de saint Vincent Ferrier, réclamer cet apôtre et ce protecteur de la Bretagne, afin qu'il détournât les malheurs qui menaçaient toute cette province. Après qu'il eut fait sa prière, il s'en revint plein de confiance ; et passant par le Port-Louis, il rendit compte à M. le duc de Chaulnes de la disposition où il avoit laissé le canton de Plouguernevel » (Boschet, Vie du P. Maunoir, pp. 363-365).

Je me suis fort arrêté à cet épisode, et pour en mieux conserver la physionomie, j'ai cru devoir transcrire le récit même d'un contemporain : c'est que je ne connais rien de plus propre à mettre dans tout son jour le caractère véritable de ces malheureux Bas Bretons de 1675, qui dans un jour de furie allaient brûler un château, et le lendemain, rendus à la raison par la voix d'un prêtre, revenaient sans résistance au devoir et au repentir. Avec de pareils esprits, sur qui la religion gardait tant d'empire parmi leurs plus extrêmes égarements, il était possible, à coup sûr, de dissiper la révolte en employant habilement les voies de la douceur. Pourtant ce ne fut point elles qu'on suivit.

Les prières du P. Maunoir, si ferventes, si patriotiques qu'elles fussent, ne purent détourner l'orage suspendu sur notre province. C'est le 31 juillet 1675 que partirent de leurs quartiers, dans le centre de la France, les troupes mandées en Bretagne par M. de Chaulnes (Lettres de Mme de Sévigné à sa fille et à M. de Grignan du 31 juillet 1675). On lui envoya d'abord six mille hommes aux ordres du bailli de Forbin, lieutenant-général, ayant sous lui le marquis de Vins, capitaine d'une compagnie des mousquetaires du Roi, tous deux originaires de Provence, ce qui faisait dire à Mme de Sévigné, le 2 août, en écrivant à sa fille : « Il faut voir l'effet que fera dans notre pays la marche de six mille hommes commandés par deux Provençaux ». Du reste, cette marche n’était pas très prompte ; car notre illustre marquise écrivait le 16 du même mois : « Les troupes sont à Nantes, commandées par Forbin ; car de Vins est toujours subalterne. L'ordre de Forbin est d'obéir à M. de Chaulnes ; mais comme ce dernier est dans son Fort-Louis, Forbin avance et commande toujours ». Elle vante, dans cette même lettre, les exploits de la duchesse de Rohan : « Mme de Rohan, avec une poignée de gens, a dispersé et fait fuir les mutins qui s'étaient attroupés dans son duché de Rohan ». Je soupçonne que les mutins ainsi mis en fuite devaient être eux-mêmes en petit nombre car Mme de Rohan n'était rien moins qu'audacieuse, au dire de l'évêque de Saint-Malo, présent sur les lieux [Note : Lettre à Colbert, du 23 juillet 1675, déjà citée, écrite de l'abbaye de Saint-Jean-des-Prés, près Josselin, et non de Saint-Jean-d'Esprit, comme a imprimé M. Depping, éditeur de la Correspondance administrative sous Louis XIV, t. III, p.264], tandis que Mme de Sévigné écrivait toutes ses nouvelles de Paris, où elle avait pu les recevoir déjà fort grossies.

Quoiqu'il en soit, la lenteur avec laquelle Forbin s'était rendu à Nantes ne permet pas de croire qu'il soit arrivé beaucoup avant la fin d’août sur les confins de la Cornouaille, où il fallait pénétrer pour combattre la révolte : aussi une lettre de Guémadeuc, évêque de Saint-Malo, écrite à Colbert le 28 août, parle simplement « du bon effet qu'a déjà produit l'arrivée des troupes du Roy en Basse-Bretagne » (Correspondance administrative, t. I, p. 551) sans mentionner encore aucun engagement entre elles et les révoltés. M. de Chaulnes pourtant ne tarda point à sortir de son Fort-Louis pour prendre le commandement de cette armée et se mettre en campagne.

Il se rendit d'abord à Quimper, où il demeura peu. Le 4 septembre, il était dans le pays de Carhaix, et son quartier général resta en cette ville au moins jusqu'au 18 du même mois (Compte de Kercadou, maire de Guingamp, art. 32). C'était le centre et le foyer de la révolte, et c'est là que se fit sentir le principal effort de la répression. Malheureusement, jusqu'ici, le détail de cette expédition ne nous est pas connu. Seulement, cette même tradition locale que j'ai déjà citée par ailleurs, touchant l'origine de la sédition de Châteaulin et de Pleyben excitée par un notaire appelé Balp (ou Balbe) [Note : Sébastien Le Balp, notaire né à Kergloff et héros de la révolte des Bonnets rouges dans le Poher], cette tradition ajoute que la révolte de Basse-Bretagne « s'éteignit au château du Tymeur, en Poullaouen, où Balp fut mis en pièces par les seigneurs de ce château ; et après la mort de Balp, les révoltés prirent la fuite et se dispersèrent » (Renseignement fourni par M. Le Men, archiviste du département du Finistère).

Ce qu'on doit conclure de là, c'est que Balp conserva jusqu'à la fin le commandement supérieur de la sédition, et que la bataille décisive entre les troupes royales et les rebelles se livra au Tymeur. Mais comme il est constant, par ailleurs, que le mérite d'avoir étouffé la révolte appartient au duc de Chaulnes, il faut de toute nécessité en cette rencontre lui restituer le premier rôle attribué à tort sans doute aux seigneurs du Tymeur.

On peut placer, par approximation, cette bataille du Tymeur environ la mi-septembre. Ce coup abattit la révolte et réduisit les rebelles à fuir ou à demander grâce. Mme de Sévigné a ainsi peint leur détresse : « Nos pauvres Bas-Bretons, à ce qu’on vient d'apprendre, s'attroupent quarante, cinquante par les champs, et dès qu'ils voient les soldats, ils se jettent à genoux et disent mea culpa... On ne laisse pas de pendre ces pauvres Bas-Bretons ; ils demandent à boire et du tabac et qu'on les dépêche, et de Caron pas un mot » (Lettre à Mme de Grignan, du 24 septembre 1675). Il y eut, en effet, bien de la penderie (comme dit ailleurs la marquise), non seulement à Carhaix et à Quimper, mais dans les pays d'Hennebont, de Pontivy et, quelques jours après, dans les cantons de Léon et de l'évêché de Tréguier où la révolte avait eu le plus de force [Note : Voy. Journal de M. de La Courneuve, et la lettre de la soeur de M. de Carnavalet, citée par M. Ropartz, Histoire de Guingamp, 2ème édit., t. II, p. 129.]. En outre, beaucoup de malheureux dont on épargna la vie furent jetés aux galères dans le port de Brest [Note : Lors de la descente des Anglais à Camaret en 1694, on envoya contre eux ces anciens révoltés de Basse-Bretagne, encore détenus dans le port de Brest, et qui, en cette rencontre, « montrèrent bien, dit le P. Boschet, qu'ils avoient tourné toute leur férocité contre les ennemis de l'Etat, et qu'ils ne souhaitoient que les occasions de réparer leur faute et d'en effacer la tache avec tout leur sang ». Vie du P. Julien Maunoir, p. 360.]. Dans sa vive peinture de cette déroute, Mme de Sévigné ne s'est peut-être trompée que sur un point, mais sur un point important. « Et de Caron pas un mot », dit-elle, pour marquer que les Bas-Bretons se laissaient pendre en quelque sorte, comme des brutes, sans donner une seule pensée à la vie future. Ce trait, on le voit dès l'abord, ne se concilie guère avec le caractère constant des Bretons, où le sentiment religieux a toujours tenu une large place. Aussi ce trait est-il faux, et Mme de Sévigné se trouve ici réfutée par un témoin d'une autorité irrécusable, qui n'est autre que le P. Maunoir lui-même. Ecoutons encore une fois son biographe : après les dernières lignes citées plus haut, il ajoute :

« A quelque temps de là. M. le duc de Chaulnes entrant dans le pays en état de faire tout plier et de châtier les plus coupables, le Père s’offrit à lui, soit pour persuader aux peuples de s'abandonner à la clémence du Roy, soit pour résoudre et assister aux supplices de ceux qui y seroient condamnés. On accepta ses offres, et l'on prit encore deux autres Pères du collège qu'on envoya en divers endroits. Le Père Maunoir accompagna M. le gouverneur dans les principales paroisses des évêchés de Quimper et de Tréguier : " Dieu bénit encore ces missions militaires, dit le Père lui-même dans ses Mémoires, et la crainte de Dieu servit autant que la terreur des armes à réduire les révoltés. J'admirai, continue-t-il, dans cette expédition, la clémence et la fermeté, la justice et la sagesse de M. le duc de Chaulnes ; je compris que Dieu communiquoit le don de conseil à ceux qu'il destinoit au commandement. Mais ce que j'admirai plus que tout fut la force de la grâce qui tira l'huile de la pierre, et la bonté infinie de Dieu qui tourna le malheur public au salut de plusieurs particuliers, le dernier supplice des plus séditieux ayant été pour eux un coup de prédestination " » (Boschet, Vie du P. Maunoir, pp. 365-366).

C'est précisément le contraire du mot épigrammatique de Mme de Sévigné, et ce témoin-ci est sûr sans doute : il connaît les choses mieux que par ouï-dire. Quant à son admiration pour M. de Chaulnes, elle n'a rien qui doive beaucoup nous surprendre. Le P. Maunoir était un saint ; comme tous les saints, il jugeait le prochain, surtout le prochain constitué en dignité, avec cette charité infinie qui va parfois jusqu'à métamorphoser les fautes en mérites. Mais l'historien est un juge : son premier devoir ce n'est pas la charité, c'est la justice.

Pendant que M. de Chaulnes avait à Carhaix son quartier général, il se passa dans cette petite ville un incident assez grave pour que le bruit s'en répandît dans toute la province, et que le souvenir en ait été conservé par la plupart des relations et des correspondances de cette époque. Le marquis de Montgaillard, gentilhomme français, qui servait dans les troupes du bailli de Forbin, se prit de querelle avec Silvestre de Quengo, baron du Pontgand, d'une vieille et excellente famille bretonne, frère puîné de René de Quengo, comte de Tonquédec. Montgaillard était violent, il l'avait déjà prouvé plus d'une fois, entre autres dans une circonstance notable où on l'avait vu administrer à son lieutenant une volée de coups de canne.

Il voulut renouveler l'emploi de cette argumentation sur M. du Pontgand, qui aussitôt tira son épée, l'en perça et le tua sur place [Note : Lettre de Mme de Sévigné à Mme de Grignan, du 20 septembre 1675: elle dit que cette scène s'était passée depuis cinq ou six jours. c'est-à-dire, le 14 ou 15 septembre]. Cet épisode est instructif : il montre de quels sentiments les gentilshommes bretons, même ceux à la suite de M. de Chaulnes, étaient animés envers cette armée française qui, sous prétexte de réduire la rébellion, aurait volontiers traité la Bretagne et les Bretons en pays conquis.

Le 18 septembre 1675, M. de Chaulnes était encore à Carhaix ; le 20 ou tout au moins le 21, il arrivait à Morlaix, où il se trouvait aussi le 24 ; mais dès le 26, nous le voyons à Lannion, où il était encore le 29, et d'où il devait aller à Tréguier et à Guingamp [Note : Compte ms. de Kercadou, maire de Guingamp, art. 32, 36, 39, 42 ; et M. Ropartz, Histoire de Guingamp, 2ème édit., t. II, pp. 129, 130, 131]. A Morlaix et à Lannion, le gouverneur poursuivit l'oeuvre de répression terrible et sanglante qu'il avait tant avancée à Carhaix ; ici, seulement, les soldats ne lui étaient plus utiles, les bourreaux seuls suffisaient. « Les paysans ont été bien punis de leur rébellion, écrivait, le 24 septembre, une dame de l'évêché de Tréguier ; ils sont maintenant souples comme un gant ; on en a pendu et roué une quantité » (Ropartz, Histoire de Guingamp, 2ème édit., t. II, p. 120).

Le bruit de ces sanglantes exécutions avait terrifié toute la province et fait disparaître à Rennes toute trace de mutinerie ; les plus coupables d'entre les mutins s'étaient même, dit-on, hâtés de quitter la ville et de chercher au loin des retraites qui les puissent mettre à l'abri de la colère de M. de Chaulnes, dont on prévoyait le retour prochain. Aussi, le 26 septembre, les bureaux du timbre et du tabac avant été rétablis par suite d'un arrêt du Parlement, ce rétablissement s'opéra sans susciter aucun trouble. Le silence le plus profond régnait dans toute la province, mais c'était le silence de l'effroi ; chacun se demandait avec angoisse à quelle oeuvre on destinait maintenant cette armée venue de France, qui n'avait plus ni ennemis à combattre, ni révoltés à punir, et dont pourtant le séjour en Bretagne semblait devoir se prolonger indéfiniment. Au milieu de cette terreur muette et universelle, le duc de Chaulnes, suivi de près par les troupes, s'avançait à petites journées à travers les évêchés de Saint-Brieuc et de Saint-Malo, en se dirigeant vers Rennes ; il marchait avec lenteur et tout à loisir, comme un homme sûr désormais de sa proie et de sa vengeance.

Pendant qu'il semait ainsi la crainte, un personnage quittait son armée et retournait en Basse-Bretagne, pour consoler, s'il était possible, cette terre trop cruellement affligée par toutes les horreurs de la révolte et toutes les extrémités de la répression. Pour relever un peu le courage de ce pauvre peuple atterré par tant de désastres, il n'y avait d'autre moyen que de lui montrer le ciel ; aussi le P. Boschet nous dit : « Les troupes du Roi s'étant retirées, et ne restant plus rien de la faute passée que la peine et le repentir, le P. Maunoir jugea bien que ses missions viendroient fort à propos et feroient plus de fruit que jamais. Il alla donc à Pontivy, dans l'évêché de Vannes : et cette ville, qui avoit eu une bonne part dans l'affliction commune, - plusieurs paysans y ayant été tués dans la chaleur de leur crime et d'autres venant d'y être exécutés, - embrassa la piété avec tant d'ardeur que les missionnaires pensoient à ces paroles de David : « On les tuait et ils retournaient à Dieu » parce qu'en effet la mort des uns fut le principe de la conversion des autres ». (Boschet, Vie du P. Maunoir, p. 367).

Au milieu de ces tristes scènes, c'est un vrai bonheur pour nous de rencontrer cette grande et touchante figure du P. Maunoir, fidèle à la plus noble mission du sacerdoce catholique qui bénit encore au nom de Dieu quand la justice humaine a maudit, qui sauve ce qu'elle a frappé, et qui fait jaillir la vie de la mort même (A. de la Borderie).

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