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Le Pape Jean XXII (1316-1334)

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Le pape Jean XXII à Avignon (1316-1334).

Clément V semble avoir eu, de son vivant, le pressentiment des dissensions qui surgiraient dans la Sacré Collège après sa disparition. Il avait publié, en 1311, la Constitution Ne Romani, qui réglait les conditions dans lesquelles se tiendrait désormais le conclave et prévoyait le cas où les cardinaux, ne parvenant pas à s'entendre, sortiraient tous de clôture, simultanément ou successivement. Dans cette hypothèse, en vertu de la précédente Constitution de Grégoire X (1274), Ubi periculum, les pouvoirs publics de la cité où se réunirait le conclave — et en dernier ressort les princes, suivant la glose de Jean d'André — acquerraient la faculté d'obliger, par une contrainte modérée, les cardinaux non valablement dispensés par des raisons de santé à reprendre les opérations préliminaires de l'élection pontificale au point où celles-ci auraient été interrompues. En outre, l'élection s'effectuerait de droit dans les limites du diocèse où succomberait le pape, du moins dans le lieu où serait ouverte, à l'époque du décès, « l'audience des lettres et des causes apostoliques » (Corpus juris canonici, l. I, tit. III, c. 2, in Clem. ; l. I, tit. VI, c. 3, in VI°).

Vers le 1er mai 1314, conformément aux prescriptions de Clément, les cardinaux s'assemblèrent à Carpentras où siégeait la Curie et s'enfermèrent dans le palais épiscopal.

Dès l'abord, une scission aiguë se produisit entre eux. Trois partis se constituèrent. Le plus imposant, le parti gascon, comprenait dix cardinaux [Note : C'étaient Arnaud de Pélagrue, Arnaud de Fougères, Arnaud Nouvel, Raimond Guilhem de Farges, Bernard de Garves, Arnaud d’Aux, Guillaume-Pierre Godin, Raimond de Got, Vidal du Four, Guillaume Teste], sûrs de l'appui des deux neveux du pape défunt, Bertrand de Got, vicomte de Lomagne et d'Auvillars, et Raimond Guilhem de Budos. Ses adversaires irréductibles, au nombre de sept [Note : Napoléon Orsini, Nicolas Albertini de Prato, Jacques Stefaneschi, François Caetani, Pierre et Jacques Colonna, Guillaume de Longis], composaient la coterie italienne, tiraillée elle-même entre trois tendances. Entre le parti gascon remarquable de solidité et le parti italien manquant de consistance, il y avait un tiers parti moins cohérent que le premier, moins désuni que le second, où entraient des cardinaux d'origine diverse : trois Languedociens, les deux Bérenger Frédol et Guillaume de Mandagout ; un Quercynois, Jacques Duèse ; deux Normands, Nicolas de Fréauville et Michel du Bec ; en tout six cardinaux formant un parti français ou provençal.

Se rendant un compte exact de leur propre faiblesse, les Italiens se concertèrent avec les Provençaux et reportèrent unanimement leurs suffrages sur Guillaume de Mandagout. Ce choix excellent n'agréa ni aux deux Bérenger Frédol qui ambitionnaient la tiare, ni aux Gascons désireux d'élire un des leurs. Les partis en présence ayant maintenu leurs positions respectives, aucun de leurs candidats ne réunit la majorité requise des deux tiers.

Tandis que le désaccord régnait au conclave, des troubles graves éclatèrent dans la ville de Carpentras. Tout d'abord, des rixes se produisirent entre des employés de la Cour pontificale de nationalité italienne et les familiers des cardianaux gascons. Il y eut des coups échangés, mort d'hommes. A la faveur des troubles, sous prétexte d'emporter la dépouille mortelle de Clément V, des bandes gasconnes conduites par le vicomte de Lomagne et Raimond Guilhem de Budos pénétrèrent dans la cité. Le 24 juillet 1314, elles prennent les armes, massacrent des Italiens, mettent le feu en divers quartiers de la ville, livrent assaut aux hôtels des cardinaux italiens, pillent les demeures des habitants, des curiaux et des représentants des banques italiennes accréditées près du S.-Siège, et enlèvent un ample butin d'argent, de robes précieuses et d'autres biens meubles. Elles assiègent même le conclave, aux cris de : Mort aux cardinaux italiens ! mort ! Nous voulons un pape ! nous voulons un pape ! Une autre troupe de gens armés débouche sur la place du palais épiscopal en proférant des menaces de mort et s'apprête à former le blocus du conclave. Saisis de frayeur, les cardinaux italiens s'ouvrent un étroit passage au travers d'un mur derrière le palais assiégé et s'enfuient hors de Carpentras.

Dépités d'avoir échoué dans leurs desseins, les cardinaux gascons se retirèrent pour la plupart à Avignon et dévoilèrent leurs secrètes intentions. Plutôt que de capituler, ils étaient résolus à ne pas reculer devant une rupture radicale et à courir les chances d'un schisme. Pour dégager leur responsabilité et conjurer le péril, les Italiens démasquèrent dans une lettre encyclique les projets néfastes des Gascons et déclarèrent leur ferme résolution de ne pas reconnaître l'élu de la faction adverse au cas où celle-ci procéderait à une élection sans leur concours. Au surplus, ils menacèrent de procéder eux aussi à une élection.

Près de deux années se passèrent en pourparlers stériles. L'obstruction systématique des Gascons empêchait toute entente sur le choix d'un candidat et sur le lieu du prochain conclave. Malgré l'intervention des puissances européennes, le danger de schisme resta toujours suspendu sur la chrétienté.

En mars 1316, il se produit enfin une détente. Moyennant le serment que « nulle violence ne serait exercée contre eux et qu'ils ne seraient pas contraints d'entrer en clôture pour procéder à une élection », les cardinaux cèdent aux instances de Philippe, comte de Poitiers, le chef de l'ambassade française, et lentement s'acheminent vers Lyon.

Tandis que des conciliabules se tiennent sans résultat au couvent des frères prêcheurs, dit de Confort, Louis X le Hutin meurt. Le comte de Poitiers ne sait à quoi se résoudre. D'un côté, il lui déplaît de s'éloigner de Lyon sans qu'un pape ait été élu ; de l'autre, il lui tarde d'être rendu à Paris où ses intérêts le réclament. Son conseil décide que le serment prêté aux cardinaux de ne pas les enfermer en enclave contre leur gré est nul, vu la menace de schisme.

Le 28 juin, des troupes cernent le couvent des prêcheurs où est assemblé le Sacré Collège. Rudement, le comte le Forez signifie aux cardinaux qu'ils ne recouvreront la liberté que le jour où ils auront donné un pape à l'Église.

A la fin du mois de juillet l'accord n'existait point encore. On vit échouer successivement les candidatures d'Arnaud Nouvel, de Guillaume de Mandagout, d'Arnaud de Pélagrue, de Bérenger Frédol l'aîné, d'un prélat étranger au Sacré Collège. Mais les intrigues de Pierre Colonna ayant axaspéré Napoléon Orsini, celui-ci, le 5 août, s'abouche avec Jacques Stefaneschi, François Caetani et Arnaud de Pélagrue, le chef du groupe gascon. Le nom de Jacques Duèse, que patronnaient le comte de Poitiers et le roi Robert de Naples, est proposé et agréé. Le lendemain 6 août, le cardinal de Porto est assuré de dix-huit voix. Les dissidents, estimant leur opposition inutile et faisant « de nécessité vertu », lui attribuent le complément de leurs votes ; le 7 août 1316, il est élu [Note : G. MOLLAT, L'élection du pape Jean XXII. — Les travaux de M. E. ALBE ont établi péremptoirement que l'opinion de ceux qui ont voulu faire de Jean XXII le fils d'un savetier doit être rejetée dans le domaine de la fable. Sans être de race noble, Jacques Duèse naquit d’une riche famille bourgeoise de Cahors et fut baptisé à la paroisse Saint- Barthélemy. Après avoir fait ses études dans sa ville natale et à Montpellier, il devint successivement archiprêtre de S.-André de Cahors, chanoine de S.-Front de Périgueux et d'Albi, archiprêtre de Sarlat, doyen du Puy, évêque de Fréjus (4 février 1300), chancelier de Charles II d'Anjou (1308), évêque d'Avignon (18 mars 1310), cardinal-prêtre du titre de S.-Vital (24 décembre 1312), évêque de Porto (vers mai 1313)].

Si, à Lyon, le parti gascon vota pour Jacques Duèse, ce fut moins par sympathie personnelle que par impuissance d'agir autrement et en désespoir de cause. Il semble aussi que cette candidature ait été acceptée en raison de l'âge du pape — il avait environ soixante-douze ans — et de son apparence chétive. Les Gascons, qui supportaient mal l'échec éprouvé au conclave, escomptaient une revanche à bref délai. Leurs secrets espoirs transpirèrent. Un damoiseau du vicomte de Lomagne dénonça un complot tramé contre la vie du pontife par les cardinaux Arnaud de Pélagrue, Guillaume Teste, Bernard de Garves et Bérenger Frédol le jeune. Les conjurés devaient, disait-il, occire le pape en plein consistoire et exterminer les gens de Cahors (E. ALBE, Hugues Géraud, p. 131-133).

L'enquête sur ce complot, peut-être imaginaire, n'eut pas de suites. Plus tard, des Gascons et surtout le vicomte de Bruniquel, l'évêque de Toulouse Gailhard de Pressac et Arnaud de Pélagrue seront bien autrement compromis dans le procès de Hugues Géraud, évêque de Cahors.

Ce prélat, coupable de malversations et de simonie, se sentit perdu quand s'ouvrit contre lui, à Avignon, une procédure canonique. L'idée lui vint, pour échapper au châtiment, de combiner savamment la mort de Jean XXII de telle manière qu'on attribuât celle-ci au poids des ans. Le crime résolu, restait à l'accomplir sans éveiller le soupçon. Hugues Géraud s'assura la complicité de deux maîtres de l'hôtel pontifical, Pons de Vassal et Isarn d'Escodata, qui se chargèrent de mêler aux breuvages et aux mets présentés au pape des poisons lents, comme l'arsenic ; puis, il manda à son trésorier, Aymeric de Belvèze, à Toulouse, de quérir des poudres nocives et des statuettes de cire afin de pratiquer l'envoûtement, à l'efficacité duquel tout le monde croyait au XIVème siècle.

Le messager de l'évêque de Cahors s'acquitta fidèlement de sa mission. Il soudoie le Juif Bonmacip qui porte à Hugues Géraud tout ce qui est nécessaire pour envoûter ses ennemis. Le rite est pratiqué d'abord contre Jacques de Via, le neveu le plus cher à Jean XXII, qui mourut en effet le 13 juin 1317 ; ce que Hugues Géraud et ses complices ne manquèrent pas d'attribuer à leurs sortilèges. Puis, ce fut le tour du pape.

A cet effet, Aymeric de Belvèze se procure des poisons chez un apothicaire toulousain et achète au Juif Bernard Jourdain trois statuettes de cire. Dans la chapelle du palais archiépiscopal, en présence de Gailhard de Pressac, du vicomte de Bruniquel et d'une dizaine de témoins, Bernard Gasc, évêque de Ganos, revêtu d'une étole, baptise les « voults ». Après quoi, chaque figurine est munie d'une bande de parchemin vierge sur lequel sont écrits ces mots : « Que le pape Jean meure, et non un autre. — Que Bertrand du Poujet meure, et non un autre. — Que Gaucelme de Jean meure, et non un autre ». Le tout est caché avec les poisons dans l'intérieur de pains dont on a enlevé la mie, soigneusement empaqueté et confié à des porteurs qui partent, sous la conduite d'un certain Perrot de Béarn, pour Avignon.

Arrivés à destination, les voyageurs intriguent par leurs allures mystérieuses la police pontificale. On les arrête. On saisit leurs bagages. On découvre les voults accusateurs. Interrogés sur les auteurs du complot tramé contre la vie du pape, les gens de Toulouse ne fournissent aucun renseignement ; ils ne connaissent que leurs embaucheurs. Au lieu de demeurer tranquille, Hugues Géraud a l'insigne maladresse d'attirer l'attention sur lui par d'imprudents bavardages. A la fin de mars 1317, la police l'arrête à son tour et, aidée des sergents du roi de France, réussit à s'emparer de ses nombreux complices. Le procès criminel est instruit. Hugues Géraud est déclaré convaincu de tentatives d'assassinat, non suivies d'effet, par le poison et d'envoûtement sur la personne du pape, de Bertrand du Poujet et de Gaucelme de Jean, coupable de régicide, assassin le Jacques de Via. Puis il est dégradé de l'épiscopat et livré au bras séculier, c'est-à-dire remis au maréchal de justice de la cour d'Avignon, Arnaud de Trian, qui lui fait subir la peine du feu réservée aux assassins. Hugues Géraud périt sur le bûcher (G. MOLLAT, Un évêque supplicié. — E. ALBE, op. cit.).

L'affaire de Hugues Géraud nous donne une idée des graves difficultés avec lesquelles Jean XXII se trouva aux prises après son élection. La Cour était désorganisée par la longue vacance du S.-Siège, le trésor apostolique épuisé par les donations testamentaires exagérées de Clément V et les dilapidations de ses neveux, l'indépendance de la papauté compromise par les menées de Philippe le Bel, la guerre grondait en Italie et l'Orient se voyait menacé par les Turcs : telle était la situation en 1316. Pour reconquérir à la papauté l'autorité perdue sous le dernier pontificat et lui attirer le respect des peuples, il fallait resserrer les liens qui la rattachaient à la chrétienté, se mettre à la tète de toutes les grandes entreprises utiles au bien public, faire désirer son arbitrage dans les causes litigieuses, répandre judicieusement les bienfaits partout où les circonstances le réclameraient. De ce noble dessein, Jean XXII, pendant plus de dix-huit ans, poursuivit la réalisation avec une rare constance.

Au XIVème siècle, il n'était possible, même à une puissance d'ordre essentiellement spirituel, de dominer le monde qu'à la condition d'asseoir ses moyens d'action sur la propriété territoriale et la fortune mobilière. La richesse, Jean XXII l'acquit en créant un vaste système fiscal qui lui procura des ressources pécuniaires considérables. Les bénéfices ecclésiastiques furent frappés d'impôts variés, annates, vacants, décimes, subsides caritatifs, droit de dépouilles, etc. (Voir infra, l. III, c. II). L'or afflua dans les caisses de l'Église à tel point que les contemporains attribuèrent au pape un trésor immense. Jean Villani raconte dans ses Istorie Fiorentine que Jean XXII laissa à sa mort plus de 18 millions de florins d'or et la valeur de 7 autres millions environ en vases d'église, croix, couronnes, mitres, joyaux et pierres précieuses, soit en chiffres ronds 25 millions de florins d'or. Galvano Fiamma renchérit sur le chiffre de Villani et compte 22 millions, sans comprendre les joyaux. Matthias de Neuenburg se montre plus réservé ; il estime à 17 millions de florins d'or la fortune pontificale. En réalité l'encaisse du trésor, au moment du décès du pape, s'élevait à environ 750000 florins, soit de 12 à 20 millions de francs or [Note : G. MOLLAT, dans R.H. E., t.V, 1904, P. 530-532. — F. GOELLER, Die Einnahmen, p. 122*-134*. — Sur la valeur du florin, voir infra, SCHAEFER, Die Ausgaben apostol. Kammer unter Johann XXII, p. 53*-62*].

De mœurs simples, sobre dans le vivre, peu dépensier pour lui-même, Jean XXII réorganisa, dès son avènement, a Cour, en ayant soin d'en bannir le luxe, mais sans encourir le reproche de lésinerie. C'est ce que nous apprend une lettre fort curieuse adressée à Philippe le Long où le pape invite le roi à ordonner les dépenses et à régler les divers services de sa cour sur le modèle de la sienne. L'exemple proposé était, sans doute, convainquant, car le roi se conforma aux désirs du Souverain pontife (COULON, n. 513, 1051). De fait, si l’on consulte les registres de la Chambre apostolique, on en retire l'impression que la composition de la Cour pontificale et l'administration des finances étaient soigneusement réglées, si bien que Müntz a pu sans exagération appeler Jean XXII un « administrateur incomparable » (MUENTZ, dans R. Q. H., t. LXVI, 1899, p. 14).

Ses talents d'administrateur apparaissent plus particulièrement dans la manière dont il concentra entre ses mains tous les rouages de l'administration de l'Église. Par la Constitution Ex debito (Corpus juris canonici, Extravagantes communes, l. I, tit. III, c. 4), Jean XXII étend la réserve à un grand nombre de bénéfices dont il retient pour soi la collation. Il dispose des sièges épiscopaux à son gré et supprime presque les élections par les chapitres cathédraux. Le S.-Siège se crée ainsi une foule de clients qui aspirent aux honneurs ecclésiastiques soit pour eux-mêmes, soit pour leurs protégés. Parmi ces clients se rangent en première ligne les chefs d'État, puis les princes, les petits seigneurs, les prélats, les corps constitués comme les universités, enfin les collateurs ordinaires privés de leurs droits de nomination. Entre eux et le pontife existe une sorte de concordat tacite dont un Jean XXII se ménage les avantages principaux. Le pape sait se faire prier ; il oblige à quémander ses faveurs (J. HALLER, Papsttum und Kirchenreform, t. I, p. 115-121, 133-153).

Le mouvement de centralisation, qui est si vigoureusement imprimé à l'Église et qui s'accroîtra encore avec le temps, constituera à la papauté une puissance avec laquelle les pouvoirs publics de tout pays devront compter, négocier.

Si géniales que fussent les vues du pape, elles n'en comportaient pas moins des conséquences inéluctables. A rendre l'Église riche et puissante, ne risquait-on pas d'y introduire l'esprit du monde et de négliger l'intérêt des âmes ? Le Christ n'avait-il pas prêché la pauvreté, le détachement des biens matériels ? Certaines âmes se scandalisèrent de l'orientation nouvelle donnée à l'Église. Les plus enclins à la censure furent des franciscains de la province de Provence, grands partisans de la pauvreté jusqu'au plus complet dénûment et de la mendicité effective. On leur donnait communément le nom de spitituels. Ils s'enthousiasmaient pour les spéculations apocalyptiques de Gérard de Borgo san Donnino, de Pierre Jean Olieu, de Ubertino dà Casale, issues des rêveries dangereuses de Joachim de Flore. A entendre ces visionnaires, l'ère du S.-Esprit est venue ; l'Église, livrée à l'avarice, aux plaisirs de la chair, à l'orgueil, a fini son temps ; elle est « la Babylone, la grande prostituée, qui perd l'humanité et l'empoisonne » ; le pape, c'est l'Antéchrist. Au sacerdoce officiel succédera le monachisme qui régénérera l'humanité et la ramènera à la pratique des vertus chrétiennes : humilité, chasteté et, avant tout, pauvreté absolue.

L'effervescence grandit quand, sur les instances du général des Frères Mineurs, Michel de Césène, Jean XXII eut tranché sans appel le litige militant qui divisait depuis longtemps spirituels et conventuels sur la forme du costume franciscain et la légalité des réserves de blé, de vin et d'huile dans les greniers et les chais. Les spirituels refusent en majorité de déposer les frocs étroits, courts, rapiécés, que condamne la Constitution Quorumdam exigit (7 octobre 1317), de même qu'ils dénient la légitimité des provisions alimentaires. Jean XXII s'efforce vainement d'inculquer l'obéissance à ces amants de l'humilité. La résistance, qu'encourage le trop fameux Bernard Délicieux, les tendances nettement schismatiques qui se découvrent à l’autorité l'obligent de sévir. Les bulles Sancta Romana (30 décembre 1317) et Gloriosam Ecclesiam (23 janvier 1318) promulguent l'excommunication contre les fraticelles, béguins, bizoches et frères de la pauvre vie et leur ordonnent de dissoudre les associations indépendantes que, sous le couvert de privilèges de Célestin V, ils essaient de former en Sicile, en Italie et dans le midi de la France. Ceux qui se révoltent sont saisis par l'Inquisition, emprisonnés ou brûlés vifs (J.-M. VIDAL, Procès d'Inquisition contre Adbémar de Mosset, p. 4-18).

Bientôt un conflit beaucoup plus grave met le S.-Siège aux prises non plus avec un petit troupeau d'exaltés, mais avec l'ordre presque entier des Franciscains. Le débat s'enpage en 1322 sur une question purement théologique : le Christ et les apôtres ont-ils pratiqué la pauvreté jusqu'à ne rien posséder ni en commun ni en particulier ? Jean XXII, esprit essentiellement pratique, veut dissiper les équivoques engendrées par les Constitutions assez obscures de Nicolas III (Exiit qui seminat) et du concile de Vienne (Exivi de Paradiso). Il consulte l'épiscopat, les cardinaux, les théologiens en renom (F. Tocco, La quistione della povertà, passim.). Des discussions s’engagent à Avignon. Les opinions contraires sont librement exposées. Avec une audace insolente, Michel de Césène n'attend pas la décision du S.-Siège. Le 30 mai 1322, le chapitre général de Pérouse se prononce pour l'absolue pauvreté du Christ et des apôtres. Jean XXII eût pu frapper aussitôt les factieux. Il se contenta de révoquer la bulle Exiit qui seminat, qui attribuait la propriété des biens meubles et immeubles des Frères Mineurs à l'Église romaine et qui laissait à ceux-ci le simple usage (bulle Ad conditorem canonum, 8 décembre 1322). Le 12 novembre 1323, paraissait la Constitution dogmatique Cum inter nonnullos qui condamnait comme hérétique la déclaration du chapitre de Pérouse.

Les décisions pontificales déchaînèrent une tempête furieuse parmi les Franciscains. A certains frères exaltés elles parurent consommer l'apostasie de l'Église officielle. Michel de Césène s'était compromis par ses agissements et ses violences de langage. Appelé à Avignon pour se justifier, il y est gardé en une sorte de captivité. Dans la nuit du 26 au 27 mai 1328 il s'évadait, allait se réfugier à la cour de Louis de Bavière et prenait le parti de l'antipape Nicolas V, le frère mineur Pietro Rainallucci de Corbara. La cessation du schisme (25 juillet 1330) ne mit pas fin à l'opposition franciscaine. Déposé de sa dignité de général par la portion de son ordre restée fidèle à Jean XXII, Michel de Césène mourut dans l'impénitence, en 1348. Toutefois, les rangs des révoltés qu'il commandait s'éclaircirent à la longue.

Quoi que prétendissent les censeurs de la papauté, Jean XXII n'oubliait pas de veiller aux intérêts spirituels de la chrétienté. Il se montra peut-être même plus habile réformateur que Benoît XII, son successeur. En 1317, la publication du septième livre des Décrétales, que la mort avait empêché Clément V de promulguer, prélude à l'œuvre canonique que le pape léguera à la postérité. Longtemps, les Extravagantes serviront de base à la jurisprudence ecclésiastique. La bulle Execrabilis (Corpus juris canonici, Extrav. Joan. XXII, tit. III, c. un) (19 novembre 1317) révoqua les dispenses octroyées par Clément V aux clercs en vue de leur permettre le cumul de plusieurs bénéfices. Les abus sur ce point étaient criants, principalement en Espagne et en Angleterre. Jean XXII les réprima avec cette énergie dont sa correspondance fournit des preuves abondantes. Par malheur, il eut des complaisances trop marquées pour ses proches, ses courtisans, ses cardinaux, les fils de rois ou de hauts seigneurs. De même, il exagéra la pratique de convertir les revenus des bénéfices en traitements pour les fonctionnaires de la Cour pontificale ; c'était encourager les prélats à ne pas se soumettre au devoir de la résidence.

L’immense étendue du diocèse de Toulouse n'avait pas été favorable au bien des âmes. Dès le début du XIIIème siècle, Foulques de Marseille avait préconisé le démembrement de son diocèse comme le remède le plus efficace à l'expansion de l’hérésie. Plusieurs évêques, pensait-il, viendraient plus facilement à bout des erreurs qu'un seul prélat ayant à gouverner un territoire trop vaste. La papauté s'était occupée, un peu tardivement, de réaliser le projet. Le 23 juillet 1295, Boniface VIII avait créé le diocèse de Pamiers. Jean XXII acheva l'œuvre de son devancier en taillant dans le magnifique territoire de Toulouse les six évêchés de Montauban, Rieux, Lombez, S.-Papoul, Mirepoix et Lavaur, qui, avec celui de Pamiers, constituèrent une nouvelle province ecclésiastique (1317-1318).

Peut-être le morcellement était-il poussé un peu à l’extrême. Les évêchés créés par Jean XXII végétèrent au milieu d'une gêne perpétuelle. Ç'avait été une imprudence que de prendre pour base de réforme territoriale la prospécité momentanée d’une mense sujette à mille variations.

D'autres diocèses français furent démembrés, mais de facon moins radicale : Clermont perdit le territoire de St.-Flour ; Albi, celui de Castres ; Périgueux, celui de Sarlat ; Potiers, ceux de Luçon et de Maillezais ; Rodez, celui de Vabres ; Limoges, celui de Tulle ; Agen, celui de Condom. Enfin, Narbonne donna naissance aux diocèses de S.-Pons de Thomières et d'Alet (1317-1318) [Note : J.-M. VIDAL, Les origines de la province ecclésiastique de Toulouse, p. 42-91. — J. CONTRASTY, Histoire de la cité de Rieux-Volvestre et de ses évêques, Toulouse, 1936 (démontre que Jean XXII a voulu nom pas châtier l’évêque de Toulouse, mais mettre un terme aux abus engendrés par l'étendue et la prospérité du diocèse)].

En Aragon, le 18 juillet 1318, la province de Tarragone fut partagée entre deux métropoles : Saragosse qui lui enleva cinq suffragants ; Tarragone qui conserva sept de ses anciennes Églises [Note : COCQUELINES, Bullarum, privilegiorum ac diplomatum Romanorum pontificum amplissima collectio, t. III, part. 2, doc. XVI, p. 167].

En Italie, l'érection de l'abbaye du Mont-Cassin en évêché (2 mai 1322) ne semble pas avoir été heureuse ; Urbain V la révoqua en 1367 (COCQUELINES, op. cit., p. 185, 327).

Par contre, l'établissement en Perse de la hiérarchie ecclésiastique et la création de l'archevêché de Sultanich favorisèrent grandement l'expansion du catholicisme (MOLLAT, n. 8187, 1er mai 1318).

La multiplication des pasteurs dans la chrétienté atteste chez Jean XXII la constante préoccupation de veiller avec soin au salut des âmes. La même pensée l'amena à inaugurer une vive réaction contre le règne de Clément V auquel on reprochait sa mollesse, voire des complaisances à l'égard de l'hérésie. Si l'Inquisition n'avait point joui des sympathies de Clément, elle prit sa revanche sous son successeur. Jamais, au cours du XVIème siècle, elle ne connut une pareille activité ; jamais elle ne livra tant de victimes au bûcher. Vaudois, cathares fugitifs, fraticelles, béguins, sorciers, magiciens ou envoûteurs furent durement persécutés. En Dauphiné, deux inquisiteurs, les frères mineurs Catalan Faure et Pierre Pascal, payèrent de leur vie leur excès de zèle (1321) (J. CHEVALIER, Mémoire historique, p. 12-16).

La protection dont Jean XXII couvrit l'Inquisition — elle se manifesta surtout dans l'affaire de Bernard Délicieux — ne fut point aveugle. Fidèle observateur du décret Multorum du concile de Vienne, le pape contrebalança l'influence de l'inquisiteur par la collaboration obligée de l'Ordinaire. Les procédés de certains juges d'Inquisition lui paraissent-ils louches, il n'hésite pas à leur retirer la connaissance des causes et à confier celles-ci à un tribunal plus impartial. Plus d'une fois son intervention empêche l'injustice de triompher et les inquisiteurs de satisfaire leurs rancunes privées ou leurs haines (C. DOUAIS, Guillaume Garric... — J.-M. VIDAL, Bullaire de l'Inquisition….).

Envers les ordres religieux, Jean XXII observera la même conduite qu'à l'égard de l'Inquisition. Son tempérament autoritaire le poussera à s'entremettre dans leurs affaires intimes. On a déjà vu comment il essaya de ramener les Franciscains dans le droit chemin et d'éteindre les dissension qui les déchiraient. Son intervention dans la crise terrible que traversèrent les Hospitaliers fut autrement bienfaisante.

L'ordre de l'Hôpital avait pour grand maître Foulques de Villaret, partial, mauvais administrateur, ami du faste et prodigue. Il avait laissé le désordre s'introduire dans sa congrégation et contracté de lourdes dettes. Ses chevaliers, mécontents, l'avaient bloqué dans le château de Lindos, à Rhodes, déposé et remplacé par Maurice de Pagnac (1317). La déposition de Foulques était valide, mais l'opinion publique lui demeurait favorable. Ce brave soldat n'avait-il pas obtenu en Orient d'éclatants succès pour la cause catholique ?

Après avoir convoqué à Avignon Pagnac et Villaret, Jean XXII essaya de gagner du temps en nommant vicaire général Frère Géraud de Pins. Comprenant qu'une catastrope irrémédiable menace les Hospitaliers et qu'eux-mêmes sont impuissants à la conjurer, il prend en mains leurs intérêts et les sauve malgré eux, sans se soucier de respecter leurs prérogatives. « C'est ainsi qu'il renouvelle les privilèges généraux de l'ordre, qu'il enjoint, au point de vue disciplinaire, aux frères rebelles de se soumettre à l’autorité magistrale, aux prélats de rappeler les chevaliers à une vie moins dissolue, à moins de luxe dans les vêtements et à l'obéissance passive. Il exige que les chapitres prieuraux soient tenus annuellement et qu'aucun frère ne jouisse de deux commanderies à la fois. Pour empêcher la dilapidation des possessions des Hospitaliers, il défend au grand maître de consentir aucune aliénation de terres, ordonne aux prélats d'amender celles qui ont été antérieurement autorisées, et nomme des juges conservateurs des privilèges de l'Hôpital, chargés de recouvrer les biens aliénés. Pour éteindre les dettes, qui menacent de compromettre l'existence de l'ordre, il prend, de concert avec le chancelier Pierre de l'Ongle et le visiteur Léonard de Tiberti..., des mesures énergiques ; dès le 21 juillet 1317... il procède à une nouvelle nomination de tous les prieurs, pour dix ans, à partir du 1er février 1318. Son choix se fixe tantôt sur les anciens titulaires, tantôt sur des hommes nouveaux, et s'inspire du souci d'appeler à ces fonctions des administrateurs éprouvés. Convaincu que les ressources ordinaires sont impuissantes à rétablir l'équilibre financier, il établit une taxe spéciale, que chaque prieur devra acquitter en dehors des responsions habituelles des prieurés dont le taux fut fixé proportionnellement à l'importance de chaque prieuré » (J. DELAVILLE LE ROULX, Les Hospitaliers à Rhodes, Paris, 1913, p. 20).

Lorsque toutes ces mesures réparatrices ont été édictées, Jean XXII casse l'élection de Maurice de Pagnac (1er mars 1319), donne à celui-ci des compensations et réintègre Foulques de Villaret dans sa charge. Après avoir obtenu la démission de Villaret, il le nomme prieur de Capoue, l'exempte de la juridiction de l'ordre et fait élire son successeur. C'est donc à lui que revient l'honneur d'avoir sauvé l'ordre de l'Hôpital prêt à sombrer et d'avoir conservé à la chrétienté ses plus intrépides défenseurs contre les Turcs (J. DELAVILLE LE ROULX, Les Hospitaliers à Rhodes, Paris, 1913, p. 12-28, 51-61).

Vers la même époque, l'ordre de Grandmont subissait une crise analogue à celle de l'Hôpital. Le vingt et unième prieur, Jourdan de Rapistan, menant une vie scandaleuse et dissipant follement les biens de la communauté, sept définiteurs le déposèrent (1315) et élurent (1316) le correcteur de Louye, Hélie Adémar. Des rixes éclatèrent entre les partisans des deux rivaux. L'ordre semblait à la veille de sa perte [Note : A. LECLER, Histoire de l'abbaye de Grandmont dans Bulletin de la Société archéologique et historique du Limousin, t. I, VIII, 1908-1909, p. 478-482]. Il dut son salut à Jean XXII qui, après avoir exigé la démission des compétiteurs, le réorganisa de fond en comble (17 novembre 1317) (COCQUELINES, op. cit., t. III, part. 2, doc. XII, p. 155-160). Le prieuré devint le siège d'une abbaye. L'ordre, qui précédemment comptait cent cinquante-deux celles ou correctories, fut réduit à trente-neuf prieurés conventuels dont, pour cette fois, le S.-Père désigna les prieurs. Dans la suite les dignitaires devaient être élus. De trois, le nombre des visiteurs fut élevé à quatre.

Jean XXII créa encore avec les dépouilles des Templiers l’ordre de Montesa en Aragon (10 juin 1317), et celui du Christ en Portugal (14 mars 1319), destinés l'un et l'Autre à lutter contre les Maures (BALUZE, Vitae…, t. III, p. 256-263. — MOLLAT, n. 9053).

Tout en maintenant en vigueur la Constitution de Clément V, Dudum a Bonifacio (Corpus juris canonici, l. III, tit. VII, c. 2, in Clem), qui restreignait les privilèges des réguliers, Jean XXII défendit les mendiants contre les attaques du clergé séculier. Un maître de l'université de Paris, Jean de Pouilly, avait enseigné que la juridiction des prélats, évêques ou simples curés, provenait directement de Dieu et que, par suite, tout privilège contraire à cette juridiction, fût-il accordé par le S.-Siège, était nul. De ces principes découlaient des conséquences fort graves : le propre curé ayant seul le pouvoir d'absoudre ses paroissiens, l’absolution impartie par les réguliers, même pourvus d'indults apostoliques, était invalide, et le pénitent se voyait contraint de renouveler sa confession à son pasteur. Avisé de l’agitation que créaient de pareilles théories, éminemment attentatoires à la juridiction universelle du Saint-Siège, Jean XXII convoqua à Avignon le maître parisien. En sa présence un débat théologique s'ouvrit. La discussion tourna à la confusion de Jean de Pouilly. Le 24 juillet 1321, la bulle Vas electionis condamnait ses erreurs [Note : Corpus juris canonici, Extravagantes communes, l. V, tit. III, c. 2. — DENIFLE et CHATELAIN, Chartularium, t. II, p. 243, n. 798].

Les joutes doctrinales ne furent pas closes par l'affaire de Jean de Pouilly. Le 8 février 1326, c'est la réprobation de soixante propositions extraites par une commission de huit théologiens du commentaire de Pierre-Jean Olieu sur l'Apocalypse (BALUZE-MANSI, Miscellanea, t. II, p. 258-272). En 1329, vingt-huit propositions, tirées des écrits du mystique allemand, maître Eckard, sont censurées : dix-sept sont notées comme hérétiques, et onze comme malsonnantes et suspectes d'hérésie (DENIFLE, dans Archiv, t. II, p. 417-640).

Chose curieuse, un pontife, si attentif à dirimer toute controverse, en provoqua une qui eut aussitôt du retentissement. Seul avec de rares théologiens et contrairement à l'opinion commune des docteurs non moins qu'à la croyance générale des fidèles, le jour de la Toussaint 1331, à Notre-Dame-des-Doms, Jean XXII prêcha cette étrange doctrine que les âmes des justes, avant la résurrection des corps, ne jouiront pas de la vision intuitive de Dieu ; elles demeureront sub altare Dei, récréées par la vue de l'humanité du Christ ; après le jugement dernier, elles seront placées sur l'autel et contempleront l'essence divine.

Dans un second sermon, prononcé le 15 décembre, le pape développa sa pensée et affirma qu'« avant la résurrection des corps les âmes séparées ne possèdent ni la vie éternelle, ni la béatitude proprement dite, ni la vision béatifique ».

Le 5 janvier suivant, il déduit de sa doctrine que ni les damnés, ni les démons n'habitent actuellement l'enfer et que ce lieu de supplices ne deviendra leur demeure qu'après la fin du monde.

Ces trois sermons étonnèrent l'opinion. Tandis que le général des Mineurs, Guiral Ot, se ralliait à la doctrine du pape les partisans de Louis de Bavière, Michel de Césène, Guillaume Ockam, Bonagrazia de Bergame, se piquant d’orthodoxie pour la circonstance, s'empressèrent de proclamer Jean XXII hérétique. D'Avignon où il résidait, le cardinal Napoléon Orsini encourageait ces franciscains dévoyés et nouait des intrigues avec le Bavarois pour déposer celui que par dérision on appelait Jacques de Cahors. Jacques Fournier, le futur Benoît XII, et l'Allemand Ulrich se jetèrent alors dans la mêlée et démontrèrent sans peine que, sur un point de doctrine non défini et comme théologien privé, le pape avait pleine liberté de défendre l’opinion qui lui paraissait probable. Peu après, d'ailleurs, Jean XXII affirma n'avoir voulu agir qu'en qualité de théologien privé (Voir infra la rétractation de Jean XXII, p. 56).

Bien loin d'imposer son opinion, Jean XXII cherche de toutes manières à éclaircir le doute qui a surgi dans son esprit. Il sollicite les avis de l'épiscopat et invite les plus savants maîtres en théologie à s'intéresser à la controverse. Sur son désir, Durand de S.-Pourçain écrit un opuscule en faveur de la vision béatifique, mais le fameux théologien y insère dix à onze propositions d'une orthodoxie douteuse qui son soumises à l'examen de quelques théologiens et finalement non incriminées.

En France, un incident fâcheux vint agiter de nouveau les esprit. De passage à Paris, pour se rendre en Angleterre, Guiral Ot commit l'imprudence de prêcher l'opinion chère au pape. Aussitôt, l'université de Paris protesta. Le roi fut saisi de l’affaire. Une assemblée de prélats et de maîtres en théologie, réunie au château de Vincennes le 19 décembre 1333, se déclara nettement contre la doctrine esposée par Guiral Ot, et adressa sa décision à la Cour pontificale.

En Allemagne, les franciscains révoltés, Guillaume Ockam, Bonagrazia de Bergame, protestèrent contre les « erreurs » professées par « Jacques de Cahors ». A les en croire, le trône pontifical était usurpé par un hérétique. En Avignon, le cardinal Napoléon Orsini intriguait pour hâter la convocation d'un concile qui jugerait le pape. Sur les entrefaites, Jean XXII tomba gravement malade. Il se rétracta, le 3 décembre 1334, en présence de ses cardinaux. Sa protestation de foi se terminait ainsi : « Voici comment nous déclarons le sentiment que nous avons actuellement et que nous avons eu, en union avec le Ste Église. catholique. Nous confessons et croyons que les âmes séparées des corps et pleinement purifiées sont au ciel, dans le royaume des cieux, au paradis, et avec Jésus-Christ, en la compagnie des anges, et que, suivant la loi commune, elles voient Dieu et l'essence divine face à face et clairement, autant que le comportent l'état et la condition de l'âme séparée ». Ces derniers mots constituaient « une véritable restriction, indiquant, en somme, la possibilité que les âmes séparées voient Dieu autrement que les âmes réunies aux corps ». Le pape n'abandonnait qu'à demi son sentiment, tout en se soumettant humblement aux décisions de l'Église dans une matière où la doctrine n'avait pas encore été fixée [Note : X. LE BACHELET, dans Dictionnaire de théologie catholique, t. II, 1905, col. 657-669. — DENIFLE et CHATELAIN, Chartularium, t. II, n. 970-987. — N. VALOIS, dans Histoire littéraire de la France, t. XXXIV, p. 551-627]. Le 4 décembre, vers l'heure de prime, à l'âge de quatre-vingt-dix ans, le vieillard rendait l'âme [Note : E. GOELLER, Die Einnahmen, p. 16*. — Archives de Vaucluse, fonds du chapitre métropolitain].

Jean XXII a été tellement dénigré par les contemporains, sa mémoire a été poursuivie avec tant d'acharnement par ses adversaires (Regesta Vaticana, 131, fol. 59 v°, ep. 212), qu'il est peut-être téméraire d'esquisser son portrait. Pourtant, même en s'aidant un peu des écrits de ses détracteurs, il est possible de retenir comme véridiques les traits suivants. Petit de stature, fluet, de teint pâle, prompt à la riposte, tranchant de ton, impétueux, Jean XXII possédait une extraordinaire vivacité d'esprit. Astucieux, comme un vrai Cahorsin, il perce vite les secrets desseins des politiciens et des solliciteurs qui essayent de la circonvenir. Rien n'est instructif comme le récit des audiences qu'obtiennent les ambassadeurs du roi Jayme II d’Aragon. Bien que sur leurs gardes, ces diplomates se coupent à la grande joie du pape qui ne retient pas son rire malicieux (H. FINKE, Acta Aragonensia, t. I, p. XVIII ; t. II, p. 218, 797).

Doué d'une volonté énergique, Jean ne possède pas une moindre souplesse, très surprenante chez un vieillard de son âge. Sa facilité de travail est incroyable. Il mène de front les affaires les plus diverses : il travaille presque en même temps à éteindre la longue inimitié qui sépare et risque à chaque instant de mettre aux prises les rois de France et d'Angleterre et à calmer les dissensions qui divisent de tout petits hobereaux de village comme les seigneurs quercynois de Castelnau, de Thémines, de Peyrilles, ou de Gourdon ; il tient tête aux difficultés sans nombre et d’exceptionnelle gravité que lui suscitent les Visconti de Milan, Louis de Bavière, les franciscains révoltés à la suite de Michel de Césène, le schisme de Pierre de Corbara, la rébellion des villes des États pontificaux, et il se préoccupe de lancer l'Occident à la conquête des Lieux saints et d’étendre jusques aux confins de la Tartarie la connaissance de l’Évangile ; tout en réorganisant l'Église, il donne son attention aux péripéties des négociations des nonces ou légats qu’il envoie sur tous les points de la chrétienté, du Portugal jusqu’au fond de la Pologne, et de la Sicile jusqu’en Écosse ou en Norvège.

Si l’énergie caractéristique de Jean XXII se traduit dans le gouvernement de l'Église par la vigueur de main et quelquefois la rigueur des mesures, elle ne dégénère pas en dureté, ni en cruauté. Certes, le pape eût été en droit de Châtier sévènement les cardinaux et les prélats les plus compromis dans le procès de Hugues Géraud. Sa prétendue dureté se réduit, en fait, à exiger la stricte obéissance aux ordres du S.-Siège. Elle ne s'accorde point avec le ton affable que révèle la correspondance de Jean XXII. Avec quelle délicatesse il console la malheureuse reine Clémence de la perte prématurée de son fils. Il pleure avec une émotion sincère la mort de Philippe V le Long et invite sa veuve à placer en lui sa confiance entière, telle une fille chérie à l'égard de son père [Note : COULON, n. 81, 1351, 1367. — A. M. HUFFELMANN, Clemenza von Ungarn, Koenigin von Frankreich, Berlin, 1911]...

Jean XXII porta à l'extrême l'affection familiale et l'estime de ses compatriotes. Il prodigue les biens temporels à ses frères et à ses sœurs, à ses neveux et à ses nièces, à ses proches, à tous ceux qui, de près ou de loin, se rattachent aux Duèse. Les Quercynois remplissent tous les emplois et les dignités de l'Église. Ceux-ci sont revêtus de la pourpre cardinalice, ceux-là chargés de l'administration matérielle de la Cour ou de la maison pontificale ; les uns sont légats ou nonces, les autres panetiers, échansons, scribes ou chambriers. Pierre Duèse, le propre frère du pape, reçoit jusqu'à 60.000 florins d'or pour l'achat de terres dont l'une l'institue vicomte de Caraman [Note : E. ALBE, Quelques-unes des dernières volontés de Jean XXII, p. 6-7].

A ce népotisme avéré, il v a des circonstances atténuantes [Note : E. ALBE, Autour de Jean XXII, t. I, p. 1-3, 57-59]. Les complots du début de son règne avaient excité en Jean XXII le désir légitime de s'entourer d'amis sûrs et de cœurs dévoués. Pour assurer le triomphe de sa politique italienne, il jugea nécessaire de placer sur les sièges épiscopaux de la péninsule des gens sur qui compter. C'est surtout pour réussir à centraliser fortement le pouvoir qu'il a composé l'épiscopat de ses créatures. D'ailleurs, ceux qui jouirent de sa faveur ne déméritèrent pas ; loin de là. Un Bertrand du Poujet, un Gaucelme de Jean, un Bertrand de Montfavès, un Gasbert de Laval, un Aimeric de Châtelus, pour ne citer que quelques noms illustres, ont rendu des services éminents à l'Église.

BIBLIOGRAPHIE - SOURCES.

Les recuils des lettres de Jean XXII et les comptes de la Chambre apostolique publiés par A. COULON, A. FAYEN, L. GUÉRARD, G MOLLAT, E. GOELLER, K. H. SCHAEFER. — BALUZE, Vitae… — K. EUBEL, Vom Zaubereinwesen anfangs des XIV. Jahrhunderts, dans Historisches Jahrbuch, t. XVIII, 1897, p 608-631 ; Bullarium franciscanum, t. V. — BALUZE-MANSI, Miscellanea, t. III. — E. ALBE, Quelques-unes des dernies volontés de Jean XXII, Cahors, 1903. — H. FINKE, Acta aragonensia, Münster-Berlin, 1908-1903, 3 vol. — J. HANSEN, Quellen und Untersuchungen zur Geschichte des Hexenwahns, Bonn, 1901. — J.-M VIDAL, Document sur les origines de la province ecclésiastique de Toulouses, Toulouse, 1901. — L. WADDINGUS, Annales Minorum, t. III. — DENIFLE et CHATELAIN, Chartularium universitatis Parisiensis, t, II. — CH.-V. LANGLOIS, Le fonds de l’« Ancient correspondance » au Public Record Office de Londres, dans Journal des Savants, 1904, p. 446-453. — H. DENIFLE, Meister Eckekarts lateinische Schriften und die Grundanschaung seiner Lehre, dans Archiv, t. II, 1886, p. 417-640.

(G. Mollat).

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