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Le Pape Benoît XII (1334-1342)

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Le pape Benoît XII à Avignon (1334-1342).

Le 13 décembre 1334, conformément aux prescriptions de Grégoire X, les cardinaux, au nombre de vingt-quatre, s'enfermèrent en conclave dans le palais pontifical, sous la double garde du sénéchal de Provence et du recteur du Comtat-Venaissin. Sept jours après, le 20, vers l'heure de vêpres, Jacques Fournier était élu, par voie de scrutin, à l'unanimité des suffrages, et prenait le nom de Benoît XII [Note : Villani est seul à rapporter l'historiette suivante. Les cardinaux auraient été divisés en deux factions : un parti français dirigé par Talleyrand de Périgord ; un parti italien conduit par Jean Colonna. La faction française aurait exigé de son candidat, Jean de Comminges, la promesse formelle de ne pas ramener le S.-Siège en Italie. Jean de Comminges ayant noblement refusé, les cardinaux essayèrent leurs voix sur la personne de Jacques Fournier dont ils n'estimaient pas la candidature sérieuse. Cette manœuvre réussit à l'opposé de leurs vues et Jacques, aussi surpris de son élection que ses propres électeurs, se serait écrié : « Vous avez élu un âne. » Cf. MURATORI, t. XIII, col. 766. - MATTHIAS DE NEUENBURG (éd. HOFMEISTER, I, p. 126) prétend que Benoît ne recueillit que les deux tiers des voix]. Le 8 janvier 1335, son couronnement avait lieu dans l'église des frères prêcheurs, à Avignon.

Originaire de Saverdun, petite ville du comté de Foix, le nouveau pape était issu d'une humble famille. Entré tout jeune au monastère cistercien de Boulbonne (Haute-Garonne), il y fit bientôt profession. Son oncle paternel, Arnaud Nouvel, l'attira dans le monastère de Fontfroide (Aude) dont il était abbé et l'envoya au collège de S.-Bernard, à Paris. Là, Jacques Fournier fréquenta assidûment les cours de l'Université, conquit ses grades en théologie jusqu'au doctorat et tint même une chaire. Entre temps, en 1311, il succéda à son oncle, créé cardinal, dans la charge d'abbé de Fontfroide. De plus hauts honneurs lui échurent dans la suite : le 19 mars 1317, il fut nommé évêque de Pamiers et, le 3 mars 1326, évêque de Mirepoix (MOLLAT, n. 3206, 24542).

L'épiscopat de Jacques Fournier à Pamiers est caractérisé par le zèle avec lequel il poursuivit les hérétiques, vaudois, cathares ou albigeois, réfugiés dans son diocèse qui était devenu comme la Terre promise de l'erreur. D'accord avec l'inquisiteur de Carcassonne, il établit un tribunal d'inquisition et se mit vigoureusement à l'œuvre. Du 15 juillet 1318 au 9 octobre 1325, sa cour de justice ne siège pas moins de trois cent soixante-dix jours pendant lesquels témoins et prévenus comparaissent cinq cent soixante-dix-huit fois. Il est la terreur des hérétiques qui, en retour, lui prodiguent les injures et les imprécations. Les uns le traitent de diable, d'esprit du mal. — « Puisse-t-il choir dans un précipice », dit un autre. « Pour peu qu'il vive encore, c'est la mort pour tout le monde ; c'est un démon qui infeste le pays », gémit un troisième (J.-M. VIDAL, Le tribunal, p. 76, 77).

Les interrogatoires que dirige Fournier dénotent en lui un inquisiteur expert, arrachant les aveux avec une souveraine habileté, peu tendre, dur même pour les inculpés. Toutefois la haine qu'il professe pour l'hérésie ne l'aveugle pas : il se montre juge intègre, profondément scrupuleux, poussant la conscience jusqu'à assister à tous les actes de la procédure et à ne se décharger que très rarement sur ses subalternes du soin de remplir les formalités secondaires. Lorsque les aveux sont obtenus, il use de longanimité et de ménagements. Il est indulgent dans la répartition des peines et tempère la rigueur du code inquisitorial : quatre vaudois et un cathare relaps sont les seules victimes qu'il livre au bûcher (VIDAL, op. cit., p. 75-81, 115-119, 235, 243-246).

Son zèle fut récompensé : à deux reprises différentes, Jean XXII (VIDAL, op. cit., p. 254, 255) le félicita chaudement d'avoir extirpé l'hérésie tant du diocèse de Pamiers que de celui de Mirepoix ; le 18 décembre 1327, il le créa cardinal-prêtre du titre de Ste-Prisque.

Pendant son cardinalat, Jacques Fournier acquit la confiance entière et l'estime de Jean XXII. L'examen des causes d'inquisition, qui viennent en appel devant la cour d'Avignon, lui est confié ; de 1330 à 1334, il figure comme juge dans les procès intentés au fraticelle allemand Conrad, à l'inquisiteur de Carcassonne Jean Galand, au prêtre breton. Yves de Kérinou, au dominicain anglais Thomas Walleis, au chevalier Adhémar de Mosset [Note : EUBEL, Bullarium, t. V, n. 842, 857. — DENIFLE, Chartularium, t. II, n. 971, 973, 976, 979, 980, 986. — J.-M. VIDAL, Un inquisiteur jugé par ses victimes. Jean Galand et les Carcassonnais, Paris, 1903, p. 28-30 ; cf. aussi supra, p. 63]. C'est surtout à l'occasion des fameuses controverses qui s'élèvent au sujet de la pauvreté du Christ et de la vision béatifique qu'il déploie sa science de la théologie. Jean XXII, qui avait su deviner son talent, tenait à posséder ses avis et lui fournit l'occasion de composer différents écrits. Les œuvres de cette époque comprennent un traité contre les fraticelles, une réfutation des erreurs de Joachim de Flore et de maître Eckart, un traité sur les doctrines de Michel de Césène, de Guillaume Ockham et de Pierre Jean Olieu, un traité sur l'état des âmes saintes avant le jugement général, des questions sur les doctrines de Durand de S.-Pourçain (J.-M. VIDAL., dans R. H. E., t. VI, p. 788-795).

En un temps où l'hérésie agitait la chrétienté, les regards des cardinaux se reportèrent tout naturellement vers celui que J.-M. Vidal a nommé à juste titre « la lumière théologique du Sacré Collège ».

Benoît XII ne trompa pas l'attente de ses électeurs. Il se hâta de clore les discussions sur la vision béatifique, en définissant que les âmes justes, n'ayant aucune faute à expier, « voient l'essence divine d'une vision intuitive et même faciale » immédiatement (Constitution Benedictus Deus du 29 janvier 1336) (COCQUELINES, Bullarum,... t. III, part. 2, p. 213-214) ; il entreprit ensuite de déraciner les abus qui sévissaient dans l'Église, en inaugurant une série de réformes visant la Cour pontificale, les ordres religieux et le clergé séculier.

D' « innombrables abus » — suivant l'expression même de Benoît XII — s'étaient glissés dans la haute administration de l’Églie. Les officiers de la Cour se montraient sans vergogne dans leurs agissements. Les sous-ordres du maréchal surtout commettaient les pires malversations ; la moindre de leurs peccadilles consistait à extorquer de grosses gratifications aux bonnes gens. Le 13 janvier 1335, une bulle ordonna à Jean de Cojordan d'ouvrir une enquête sans retard. Les personnes compromises n'attendirent point l'issue de l'information judiciaire : il leur était trop facile d'en prévoir le résultat ; elles se mirent à l'abri du châtiment et s'enfuirent d'Avignon. L'enquête, en effet, prouva le bien-fondé des plaintes qui affluaient de tous côtés. Le 29 juin 1335, la cour du maréchal reçut un règlement minutieux qui fixait les appointements ainsi que les attributions du personnel [Note : THEINER, Codex, t. II, doc. I. — Regesta Vaticana, 130, fol. 6 v°, 85, r° ; 131, fol. 41 v°]. En 1337, le maréchal Arnaud de Lauzières fut révoqué (VIDAL, n. 4109). Un de ses successeurs, convaincu de complicité dans l'enlèvement de l'ambassadeur anglais Nicolino Fieschi (1340), fut emprisonné ; de désespoir, il s'empoisonna ; son cadavre resta longtemps privé de sépulture. Quant aux sergents d'armes qui avaient participé à l’attentat, ils furent pendus à une poutre placée sur l'appui des fenêtres de l'habitation de Nicolino (DÉPREZ, Les préliminaires..., p. 305-312).

Les autres services de la Cour furent réorganisés. Le champ d'action de la Pénitencerie fut soigneusement délimité (DENIFLE, dans Archiv, t. IV, 1888, p. 209-220). Pour parer aux indiscrétions des employés de la Chancellerie, la rédaction de la correspondance secrète des papes fut confiée à un collège de secrétaires (E. GOELLER, Mitteilungen und Untersuchungen, p. 42-60). La présentation des suppliques par des officiers de la Cour était devenue une source de gains illicites. Benoît voulut que, dorénavant, un fonctionnaire enregistrât, dans un registre spécial, toutes les suppliques revêtues du fiat et de la signature du pape et qu'il portât celles-ci, lui-même, aux bureaux de la Chancellerie (BALUZE, Vitae..., t. I, nouv. éd., p. 211, 228). Afin d'écarter les indignes des honneurs ecclésiastiques, il imposa aux impétrants l'obligation de subir un examen devant des personnes de son choix et frappa d'excommunication quiconque se substituerait un tiers pour cet examen. Les tiers eux-mêmes perdraient leurs bénéfices ou, s'ils n'en possédaient pas, seraient déclarés inhabiles à en acquérir (COCQUELINES, op. cit., t. III, part. 2, p. 288). Le recours des plaignants, pauvres ou riches, au S.-Siège fut facilité par la Constitution Decens et necessarium qui régla les devoirs des procureurs et des avocats (TANGL, Die paepstlichen Kanzleiordnungen, p. 118-124).

Le 10 janvier 1335 (JACOB, Studien über Papst Benedikt XII, p. 42), les évêques et les ecclésiastiques, nantis de bénéfices comportant charge d'âmes, furent invités à évacuer Avignon avant la prochaine fête de la Purification et à observer la résidence, sous peine d'encourir les sanctions du droit canonique.

Le népotisme, contre lequel ne s'étaient défendus ni Clément V ni Jean XXII, n'eut aucune prise sur Benoît. Gilles de Viterbe lui a prêté un propos qui, s'il n'est pas authentique, dépeint à merveille son rigorisme : « Le pape, aurait-il dit, doit ressembler à Melchisédech qui n'avait ni père, ni mère, ni généalogie » (PAGI, Breviarium historico-chronologico-criticum, t. IV, p. 117). Aucun de ses proches ne fut gratifié de la pourpre cardinalice. Guillaume Fournier, son neveu, est averti par un curieux billet du cardinal Bernard d'Albi que sa venue en Avignon ne lui vaudra pas les bonnes grâces de son oncle : « Sachez, lui est-il dit, qu'en notre seigneur la nature ne parle aucunement ». Quoique le mariage de sa nièce Faiaga avec le fils d'Arnaud, sire de Villiers, ait été contracté à Avignon, le pape se refusa à ce qu'il y fût célébré avec pompe (VIDAL, n. 7601).

Les ordres religieux, au cours des derniers siècles, s’étaient beaucoup relâchés de leur ferveur première. Benoît XII tenta de restaurer la vie religieuse dans toute son intégrité. Sachant combien était préjudiciable à la discipline monastique le passage des religieux profès des ordres mediants aux ordres bénédictin et cistercien, il y met des bornes, en exigeant la permission préalable du S.-Siège (COCQUELINES, loc. cit., p. 203).

Une des grandes misères de l'Église au XIVème siècle naissait de la foule des moines gyrovagues qui, chassés de leurs couvents et n'ayant aucun désir d'y revenir, couraient le monde en quête d'aventures et ne vivaient que d'expédients, aux dépens de la charité publique. Benoît XII s'efforça de procurer le retour de ces vagabonds dans leurs monastères. Par la Constitution Pastor bonus (17 juin 1335), il invite les abbés à recevoir les transfuges avec bonté et à les réintégrer dans leurs communautés. Si les fautes des délinquants sont trop outrageantes pour l'abbé ou si leur rentrée dans tel couvent risque d'y susciter des troubles, le pape accorde aux moines révoltés l'autorisation de passer dans un autre couvent de leur ordre, sous condition d'une pénitence modérée (COCQUELINES, loc. cit., p. 201-203).

Le premier ordre qui attira la sollicitude de Benoît XII fut celui de Cîteaux. Déjà, en 1317-1318 (N. VALOIS, Un plaidoyer), Jean XXII avait envisagé la nécessité d'y introduire des réformes. L'éloquence de Jacques de Thérines détourna le pape de ses desseins. Cependant, à lire son habile plaidoyer en faveur de son ordre, on retire l'impression fâcheuse que le travail, recommandé par la règle primitive, est quasi inconnu, la pauvreté délaissée, l'austérité monacale à peine un souvenir. La Constitution Fulgens sicut Stella (COCQUELINES, loc. cit., p. 203-213) régla la gestion du temporel, refréna le luxe, prescrivit la tenue régulière des chapitres et de la visite ; elle obligea tous les couvents cisterciens à entretenir dans des maisons d'études désignées un certain nombre d'étudiants en théologie ; elle interdit aussi aux jeunes religieux sous les peines les plus graves l'étude du droit canon qui conduisait aux bénéfices. Malgré les objections formulées par l'ordre dans un long et intéressant réquisitoire (Bibliothèque nationale, ms. latin 4191, fol. 48 r°-63 r°), Benoît assura lui-même l'exécution de son décret, en chargeant des commissaires de veiller à sa stricte application. Il poursuivit les moines prévaricateurs, déjoua les résistances, déposa des abbés, ramena de force les vagabonds dans leurs monastères et donna des pouvoirs judiciaires extraordinaires à l'abbé de Cîteaux (VIDAL, n. 2269, 2351, 2355, 6330, 6331, 7411, 7499, etc).

La plus célèbre des réformes de Benoît fut celle qu'il imposa à l'ordre bénédictin. Après avoir pris conseil des six abbés les plus considérables de l'ordre, ceux de Cluny, de la Chaise-Dieu, de Saint-Victor de Marseille, de Psalmody, de Montolieu et d'Issoire, de concert avec ses cardinaux, il promulgua la bulle Summi magistri du 20 juin 1336 (COCQUELINES, loc. cit., p. 214-240), connue sous le nom de bulle « bénédictine ». Les trente-neuf articles, tous fort longs et minutieux, que cette bulle contient, se ramènent à quatre chefs principaux : le gouvernement de l'ordre, la vie monastique, le soin du temporel, les études. La réforme de Benoît tendit avant tout à unifier l'ordre et à le centraliser ; elle urgea la tenue triennale des chapitres provinciaux quelque peu délaissée malgré les objurgations de Jean XXII ; elle répartit les diverses maisons de l'ordre en trente-cinq provinces judicieusement circonscrites. Les plus sages règlements concernent l'étude que le pape veut faire refleurir à tout prix. Dans tout établissement de quelque importance un maître enseignera la grammaire, la logique et la philosophie ; il n'admettra aucun étranger à ses leçons. Après ce premier enseignement, dans la proportion d'un sur vingt, les étudiants seront envoyés aux universités où ils apprendront la théologie, l’Écriture sainte, le droit canonique. Le taux de la pension le chaque étudiant ainsi que le traitement des maîtres sont soigneusement fixés, pour prévenir toute contestation. Le 5 décembre 1340 (COCQUELINES, loc. cit., p. 288-291), le pape complétait la bulle du 20 juin 1336 ; il expliquait certains points de détail incompris ou peu clairs ; il précisait les règles qui devaient présider à la tenue des chapitres. Tout l'ordre bénédictin fut atteint par les réformes pontificales ; dans chaque province, des abbés, en vertu de l'autorité apostolique, réunirent bon gré mal gré les chapitres ; des commissaires extraordinaires refrénèrent le luxe, le brigandage, la débauche qui déshonoraient les fils de S. Benoît.

L'élévation de Jacques Fournier sur le trône pontifical ranima l'espoir des fraticelles qui connaissaient la sévérité et même l'austérité de ses mœurs. Leur espoir fut trompé. Dans le consistoire du 23 décembre 1334 (JACOB, op. cit., p. 33), en présence des généraux des grands ordres, Benoît XII critiqua sévèrement la conduite des Franciscains. Il leur reprocha durement leurs tendances hérétiques, leur esprit révolutionnaire, leur mépris pour l'Église officielle, le relâchement de la discipline. Par contre, il exalta la pureté de la foi des Frères Prêcheurs et, même, avança que S. Dominique était « la tête » de tous les autres ordres. Cette semonce aurait dû refroidir l'enthousiasme des fraticelles. Ils affluèrent à Avignon et se permirent de parler mal des cardinaux. La bulle Redemptor noster du 28 novembre 1336 (COCQUELINES, loc. cit., p. 242-258) leur enleva leurs dernières illusions ; elle condamna les fraticelles et tous les tenants d'opinions suspectes d'hérésie ; elle prescrivit aux Franciscains l'assiduité aux offices divins ; elles imposa, sous peine d'excommunication, l'uniformité dans les vêtements ; elle statua que la formation des novices aurait lieu dans des noviciats et non plus dans chaque couvent... Promulguée au chapitre général tenu au mois de juin 1337, à Cahors, sous la présidence du ministre général Guiral Ot, la nouvelle constitution souleva le mécontentement général des Mineurs qui accusèrent le pape de favoriser le relâchement de l'ordre beaucoup plus que la réforme des abus. Dès le premier chapitre général qui se réunit après la mort du pontife, elle fut abolie (WADDINGUS, Annales Minorum, 1336, § 40 ; 1337, § 3, 6).

Les chanoines réguliers, vivant sous la règle de Saint Augustin, eurent aussi leur part dans les réformes. La bulle du 15 mai 1339 (COCQUELINES, loc. cit., p. 264-286) contient à leur adresse de longs règlements, calqués sur ceux qui avaient été donnés aux Bénédictins.

Le seul ordre qui résista aux volontés de Benoît XII fut justement celui dont il avait plus hautement loué les mérites, l'ordre des Frères Prêcheurs. Les chapitres généraux de Londres, Bruges et Valence, redoutant l'application de la Constitution Pastor bonus, s'étaient ingéniés à créer le plus de barrières possible à l'entrée dans l'ordre de S. Dominique des mendiants « apostats », c'est-à-dire de ces moines gyrovagues sortis de leurs couvents sans la permission de leurs supérieurs. Benoît XII cita le grand maître Hugues de Vaucemain à comparaître à Avignon. Là, il le pressa de se remettre entre ses mains du soin de régir l'ordre et d'en modifier les constitutions. L'expérience prouvait que l'observation de la pauvreté commune n'était plus pratique ; les quêtes devenaient de moins en moins fructueuses ; les couvents, tombés dans le dénûment, ne réussissaient ni à nourrir les religieux, ni à entretenir les étudiants dans les universités. Pour parer à leur détresse, les moines se livraient à des quêtes personnelles ; certains parvenaient si bien à apitoyer les fidèles par leur accoutrement ou leurs sollicitations que leurs aumônières bien garnies leur permettaient une vie de luxe, peu en harmonie avec leur règle. Par une étrange anomalie, selon la remarque originale du P. Mortier, « la pauvreté restait commune et la richesse devenait personnelle ». On juge combien cet état de choses, contre lequel vainement les chapitres avaient légiféré, devait choquer l'austère cistercien que ne cessa jamais d'être Benoît XII. Le pape voulut supprimer simplement la pauvreté commune, laquelle n'était pas essentielle à la règle et n'avait été introduite qu'à titre de moyen d'apostolat. Le grand maître, au contraire, estimait qu'il suffirait de concéder des autorisations partielles, conformément à la consultation juridique de Pierre de la Palud. Aux avances de Benoît il répondit par une fin de non-recevoir très ferme. Une lutte de cinq ans s'engagea, dès lors, entre le pontife et l'ordre. Les séances de discussions furent si vives parfois que le pape prit des accès de fièvre, au dire de Galvano Fiamma. A la mort de Hugues de Vaucemain, Benoît espéra faire prévaloir enfin ses vues ; il se heurta, chez les autres dignitaires de l'ordre, à une résistance aussi irréducible que celle du grand maître défunt. Il eut beau retenir comme prisonniers certains religieux, interdire la réunion des chapitres, refuser l'autorisation d'élire un maître général ; il ne réussit pas à vaincre une résistance obstinée. Seule, la mort de Benoît XII termina le conflit [Note : MORTIER, Histoire des maîtres généraux..., t. III, p. 87-167. — Citons encore la réforme introduite dans l'ordre de Fontevrault. Cf. DAUMET, n. 22, 23, 233, 265, 505, 913 ; VIDAL, n. 3994, 5047, 5165, etc.].

L'histoire a surtout retenu le souvenir des réformes que Benoît XII imposa aux ordres religieux. Le clergé séculier ne fut pas pourtant oublié. S'il tient moins de place dans les registres pontificaux, c'est que dans ses rangs les abus sont alors plus rares que dans les cloîtres. Nombreux furent, d'ailleurs, les synodes qui se réunirent de 1334 à 1342 (HEFELE-LECLERCQ, Histoire des conciles, t. VI, p. 833-868). Le 18 mai 1335, Benoît XII révoqua les commendes et, le 18 décembre, toutes les grâces expectatives accordées jusqu'à lui (VIDAL, n. 2447, 2454). Il assura la résidence. Il fixa les conditions d'admission au canonicat (DAUMET, n. 667, 896. — VIDAL, D. 9149). Par la Constitution Vas electionis (Corpus juris canonici, Extravagantes communes, l. III, tit. X, C. un), l'une de ses plus salutaires mesures, il établit pour longtemps le maximum du taux de la procuration, c'est-à-dire de cette redevance pécuniaire que levaient sur les bénéficiers les évêques et les prélats inférieurs, abbés, archidiacres, archiprêtres ou doyens, à l'occasion de la visite. Il favorisa de tout son pouvoir l'enseignement. A Grenoble, il fonda une université ; à Montpellier, il promulgua de nouveaux statuts pour la faculté de droit ; en Italie, il tenta de constituer une université à Vérone ; ailleurs, il intervint souvent en faveur des étudiants ou des maîtres [Note : DENIFLE, Die Entstehung der Universitaeten, t. I. p. 351, 354, 565, 634. — VIDAL, n. 5122, 5123, 5166, 6265, 7416, 7435, 7438, 7539, etc.].

Benoît XII apparaît comme un puissant réformateur. Avant de légiférer, il ordonne des enquêtes et s'entoure des conseils de gens compétents. Il connaît admirablement les abus ; pour en assurer la ruine, il porte des décrets qui entrent dans les moindres détails.

Il ne suffit pas de décréter une réforme pour la faire aboutir. Aussi est-on en droit de rechercher si l'œuvre réformatrice de Benoît XII fut suivie d'effet.

La bulle « bénédictine » eut force de loi jusqu'au concile de Trente. Le même concile retrancha des statuts de l'ordre des Frères Prêcheurs la mendicité qu'avait voulu supprimer le pape. Imposer aux religieux l'étude de la théologie, tombée quelque peu en défaveur, n'était-ce pas préparer à l'Église des défenseurs de la foi attaquée par l'hérésie ? Les mesures prises contre les spirituels et les fraticelles portèrent des fruits. Le bûcher réduisit, du reste, les exaltés au silence, car l'Inquisition les poursuivit sans merci (DOUAIS, La procédure inquisitoriale. — F. EHRLE, Die Spiritualen).

Cependant, en dépit de ses efforts, la réformation tentée par Benoît XII ne produisit que des effets restreints. Le règne du pape ne dura pas assez longtemps pour assurer le succès de son œuvre. Ses meilleures réformes furent en quelque sorte annihilées par l'extrême condescendance que montra Clément VI à l'égard des religieux, en leur concédant trop facilement des dispenses (BERLIÈRE, Les chapitres généraux, p. 161-167 ; Notes supplémentaires, p. 20-21. — DÉPREZ, n. 154). Voilà pourquoi elles tombèrent très vite dans l'oubli, quand elles ne furent pas abrogées.

Benoît XII est bien un peu responsable de ses échecs, par suite de la minutie qu'il apporte aux détails de ses réformes, surtout en ce qui concerne l'organisation monastique. Il édifie un code de mesures trop compliquées pour être vériblement efficace. Il multiplie jusqu'à l'exagération les sancions pénales contre les transgresseurs et crée un joug insupportable aux religieux. S'il ordonne la réunion des chapitres, il ne songe pas aux frais dispendieux qui en résulteront ; le malheur veut, d'autre part, que les temps soient durs et que la misère règne dans les cloîtres plus généralement que la prospérité ; la guerre, la peste, la famine ravageront bientôt les monastères. S'il révoque toute commende, il dispense (VIDAL, n. 2319, 2447) de la Constitution les cardinaux, qui sont le plus à même, par leur haute situation, de s'emparer des bénéfices et qui, l'histoire n'en témoigne que trop, sont les plus avides à les solliciter. S'il met un frein à l'expédition abusive des grâces expectatives, il étend la réserve du Saint-Siège (VIDAL, n. 2417, 2418, 3984, 3985, 8178) à un plus grand nombre de bénéfices que ses prédécesseurs et s'expose au danger de voir renaître les expectatives qu'il réprouve. Si, enfin, Benoît XII se déclare le restaurateur des bonnes mœurs dans le clergé, il permet avec une facilité regrettable aux bâtards de recevoir les ordres sacrés et de chercher ainsi la fortune par l'Église (Voir par ex. VIDAL. n. 1715-2088).

Rarement pape fut plus vilipendé. Les contemporains l'ont accusé d'avarice, de dureté de cœur, d'entêtement, d'égoïsme, de manque de générosité dans la répartition des grâces. Ils lui ont reproché une défiance injustifiée à l'égard des cardinaux, de la haine contre les ordres mendiants, de la partialité pour les inférieurs dont il prenait le parti contre les supérieurs. Pétrarque, dans des descriptions sans doute fantaisistes d'Avignon, nous présente un Benoît XII, tourné en dérision par une cour licencieuse et accueilli par des railleries dans son propre entourage. Dans ses épîtres les convives supposés de somptueux festins se font une risée des abstinences du pape. Tel chroniqueur le dépeint sans ressort, sans caractère, pleurant et gémissant perpétuellement. Pierre de Hérenthals insère dans sa chronique une épigramme contemporaine, fort désobligeante pour la mémoire du pontife.

Iste fuit Nero, laicis mors, pipera clero,
Devius a vero, cuppa repleta mero
.

[Note : BALUZE, op. cit., p. 234. — Les témoignages des contemporains ont été réunis par JACOB, op. cit., p. 30-31, 154-155 et par HALLER, Papsttum und Kirchenreform, t. I, p. 121-123, 155].

A l'encontre de ces racontars malveillants, il existe d'autres récits de chroniqueurs qui ne tarissent pas d'éloges sur le compte de Benoît. On loue son austérité, sa haute probité, son esprit de justice, son génie réformateur, sa haine contre l'hérésie, son horreur pour le népotisme...

La vérité ne semble pas trop difficile à démêler parmi des jugements aussi contradictoires. Tout d'abord, les témoignages de Pétrarque, de Matthias de Neuenburg, de Galvano Fiamma, de l'auteur anonyme de la huitième Vie de Benoît XII éditée par Baluze sont marqués d'une évidente partialité. Ces habiles gens ont complaisamment servi la rancune des Italiens, des partisans de Louis de Bavière et de cette phalange de moines ou de parasites de la Cour pontificale auxquels les innovations du pape avaient arraché des cris de colère. Benoît a partagé le sort de tout réformateur austère : il fut peu aimé ; il a été décrié, haï, calomnié. Il mourut, comme il avait été élu, vers l'heure des vêpres, 25 avril 1342.

De haute stature, le teint coloré, la voix sonore, théologien de mérite, canoniste avisé, commentateur estimé des Saintes Écritures (J.-M VIDAL, Notice sur le œuvres du pape Benoît XII), homme de devoir, ayant au cœur un sentiment profond de la justice, énergique, tenace, dur dans la répression des abus, sans tendresse pour les siens [Note : Sur la familie de Benoît XII, voir J.-M. VIDAL, Note sur la parenté du pape Benoît XII, Foix, 1929], austère de mœurs, économe, aimant l'art sobre [Note : GUIRAUD, L’Église romaine, p. 26-27. — M. CERRUTI, Il tetto della basilica Vaticana rifatto per opera di Benedetto XII, dans Mélanges, t. XXXV, 1915, p. 81- 118. — Dr, COLOMBE, Les grands architectes du palais des papes à Avignon, dans Bulletin archéologique, 1920, p. 427-448. — F. PASQUIER, Un mirapicien, architecte du palais des papes en Avignon, dans Bulletin périodique de la Société ariégeoise des sciences, lettres et arts, t. XVI, 1923, p. 54-56], tel fut au vrai Benoît XII. Quant à sa politique, sans avoir été aussi débile qu'on l'a prétendu, elle manqua d'envergure. Son caractère rigide le rendait peu apte aux compromis et au jeu compliqué de la politique. On n'a guère sur ce terrain, nous le verrons, que des échecs à enregistrer à son actif.

BIBLIOGRAPHIE — SOURCES.

Les registres de Benoît XII publiés par G. DAUMET. J.-M. VIDAL et A. FIERENS. — J.M. VIDAL. Le tribunal d’Inquisition de Pamiers, Toulouse, 1906. — EUBEL, Bullarium franciscanum, t. VI. — COCQUELINES, Bullarum, etc. — BALUZE, Vitae… — A. THEINER, Codex diplomaticus, t. II. — DENIFLE et CHATELAIN, Chartularium universitatis Parisiensis, t. II. — M. FOURNIER, Status et privilèges des universités francaises, Paris, 1890-1891. — CL. FAURE, Un projet de cession du Dauphiné à l’Église romaine (1338-1340), dans Mélanges, t. XXVII, 1907, p. 155-225.
On trouvent dans U. BERLIÈRE, Les chapitres généraux de l’ordre de S.-Benoît, dans Mélanges d’hist. Bénédictine, t. IV, Maredsous, 1902, p. 52-171, et Notes supplémentaires, Bruges, 1905, le dépouillement quasi complet de toutes les cources concernant la réforme bénédictine. — Cf. aussi P. SCHMIEDER, Die Benediktiner Ordensreformen des 13 und 14 Jabrhunderten, Linz, 1867. — L. GUILLOREAU, Les chapitres géneraux des abbayes de S.-Aubin et S.-Serge d’Anger, dans Revue de l’Anjou, t XLI, 1900, p. 29-33, 52-53 ; Chapitres généraux bénédictins, dans Revue Mabillon, t. IV, 1908, p. 243-254. — P. MARCHEGAY, Bulletin de la Société archéologique de Nantes, t. IX, 1869, p. 215. — L. DELISLE, Enquête sur la fortune des établissements de l’ordres de S.-Benoît en 1338, Paris, 1910, dans Not. et extr. des mss., t. XXXIX.

(G. Mollat).

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