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INTRODUCTION DE LA RÉFORME A LANVAUX

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Je me propose de vous parler aujourd'hui de l'introduction de la réforme dans le monastère de Lanvaux. L'opération fut extrêmement difficile, comme vous allez le voir.

Abbaye de Lanvaux (Bretagne).

Mais pour vous rendre compte de ces difficultés, il est bon de rappeler qu'il y avait alors deux branches de l'ordre de Cîteaux : les religieux de l'ancienne observance, qui avaient obtenu divers adoucissements à la règle et notamment la permission de faire gras plusieurs fois par semaine ; les religieux de la stricte orbservance, qui pratiquaient la règle sans mitigation, se levaient à 2 h. du matin pour chanter l'office, couchaient sur la dure, observaient une clôture exacte, et ne mangeaient jamais de viande, excepté en cas de maladie.

La réforme, dans notre pays, avait commencé à Prières en 1613, et s'était étendue graduellement à Noirmoutier, à Bégar, à Saint-Aubin, etc... En 1635, le cardinal de la Rochefoucauld, délégué du Pape pour le rétablissement de la régularité monastique en France, voyant la réforme se répandre de plus en plus, ordonna que les monastères réformés pourraient seuls avoir un noviciat et recevoir les postulants à la profession. C'était un coup terrible pour l'ancienne observance ; c'était une véritable condamnation à mort par voie d'extinction.

De son côté, le parlement de Paris, en 1660, prescrivit l'introduction de la réforme dans les monastères, lorsque la moitié des anciens religieux la demanderaient, ou lorsque les religieux profès d'une maison seraient réduits de moitié.

Or, c'etait là précisément le cas dans lequel se trouvait l'abbaye de Notre-Dame de Lanvaux. Ce monastère, plus ou moins ruiné à l'époque de la Ligue, ne comptait plus depuis longtemps que quatre religieux. Ces moines étaient alors : Dom Guillaume Le François, profès de Villeneuve et prieur de Lanvaux, D. Pierre Le Roy, profès de Villeneuve, D. Bertrand Gaultier, profès de la Meilleraie, et Jean Houart, convers, seul profès de Lanvaux.

Comme vous le voyez, Messieurs, la maison était réduite de plus de moitié : elle ne comprenait plus qu'un frère profès de Lanvaux, contre trois étrangers. On pouvait donc, en droit, imposer l'introduction des religieux réformés. De plus, le prieur D. Le François, et le frère Jean Houart, composant à eux deux la moitié de la communauté, s'entendirent pour demander formellement à D. Hervé du Tertre, abbé coadjuteur de Prières , l'envoi de religieux réformés dans leur maison de Lanvaux, conformément à l'arrêt du parlement de Paris, du 3 juillet 1660.

Le Coadjuteur de Prières, qui était le Vicaire général des réformés, comme l'abbé de Villeneuve était le vicaire général des non réformés, accueillit favorablement la supplique venue de Lanvaux, et, le 12 janvier 1661, il promit d'y introduire la réforme sans retard.

Dès le lendemain matin, il quittait Prières, emmenant avec lui trois religieux de son observance, les PP. D. Georges Le Bret, D. Yves Chapron, et D. Julien Aoustin. En passant à Muzillac. il recruta L. Guyot, sergent royal et d'armes, pour rédiger le procès-verbal de sa prise de possession, et arriva le même jour à Lanvaux.

En y mettant les pieds, le sergent royal somma les quatre anciens religieux, de la part du roi, de « quitter et délaisser au R. P. Coadjuteur la mense conventuelle de ladite abbaye, en vertu de l'arrêt du parlement de Paris de 1660, » qui leur avait été signifié trois jours auparavant.

Le prieur D, Le François et le F. Houart répondirent aussitôt qu'ils n'avaient aucune opposition à faire et qu'ils acceptaient l'introduction des réformés. Mais les Pères Gaultier et Le Roy déclarèrent « qu'ils s'opposaient formellement à l'établissement dudit Révérend Père Coadjuteur et de ses religieux en ladite abbaye de Lanvaux ; qu'ils y avaient été envoyés par M. l'abbé de Villeneuve, vicaire général de la province, pour y demeurer et composer la communauté de la maison, et qu'ils n'en pouvaient sortir que par l'ordre dudit sieur abbé de Villeneuve, protestant de se pourvoir au cas qu'on les voulût faire sortir ».

Le R. P. Coadjuteur leur répondit « qu'il ne prétendait leur faire aucune violence, mais seulement faire mettre à execution ledit arrêt du parlement de Paris, que leur opposition ne pouvait préjudicier à son établissement, et qu'ils devaient se pourvoir près de l'abbé de Villeneuve pour être replacés dans l'abbaye de leur profession. ».

Et procédant ensuite à la prise de possession, le R. P. Coadjuteur, accompagné de ses religieux, se rendit à l'église, visita le Saint-Sacrement et sonna les cloches ; puis il parcourut les lieux réguliers du monastère, et arrivé à la salle du Chapitre, il nomma pour supérieur de la maison Dom Yves Chapron, et pour cellerier D. J ulien Aoustin ; l'ancien prieur avait déclaré vouloir se retirer à Prières.

De tout quoi le sergent royal Guyot dressa un procès-verbal, qui se trouve aux Archives départementales, et qui a fourni les renseignements qui précèdent. Il est bon d'ajouter aussi que l'introduction des réformés à l'abbaye de Lanvaux avait eu lieu avec le consentement exprès de l'abbé commendataire, qui était alors Melchior Rouxel.

Les anciens religieux opposants, Bertrand Gaultier et Pierre Le Roy, s'étaient retirés à Villeneuve, et y avaient obtenu l'autorisation de revenir en force à Lanvaux, pour reprendre possession du monastère. Accompagnés de deux autres moines et de deux domestiques de l'abbé, ils recrutèrent un certain nombre de vauriens, armés de fusils, de pistolets, d'épées et de bâtons, et le 3 février 1661 ils firent irruption dans l'abbaye de Lanvaux. Voici comment une plainte en justice rapporte le fait :

Ils entrèrent « sur les deux heures après midy, tumultuairement avecq force et viollance, dans ladite abbaye de Lanvaux, sans dire au prieur et religieux de l'estroite observance qui y estoient le subject de leur arrivée, sans leur faire voir aucun ordre de justice ; ils gagnèrent le dedans de ladite maison, et exercèrent sur les personnes desdits prieur et religieux et de leurs domestiques plusieurs oultrages et viollances, jusques à les terrasser, déchirer leurs habitz, et traisner hors de ladite maison, avecq indignitté et scandalle, sans leur donner aucun loisir de rentrer dans leurs chambres, ny de prendre l'argent, les habitz, les papiers et autres objets qu'ils y avaient portés ».

Informés de ces excès, le P. Coadjuteur, qui se trouvait Vannes, s'adressa dès le lendemain au sénéchal d'Auray, comme au juge royal le plus voisin de l'abbaye, et le pria de le rétablir lui et ses religieux dans la paisible possession du monastère. Le jour suivant, 5 février 1661, le sénéchal, accompagné d'un substitut et d'un adjoint, se rendit à Lanvaux, et se présenta devant la porte du couvent, pendant que le R. P. Coadjuteur se rendait à l'église avec ses religieux. Mais les rebelles, malgré plusieurs sommations, refusèrent d'ouvrir les portes de la maison, et de rendre ce qu'ils avaient pris aux réformés ; ils menacèrent même le sénéchal et le substitut de leur faire un mauvais parti ; puis se précipitant à la chapelle, ils maltraitèrent le Coadjuteur et Dom Philippe Godefrin, « à coups de baston, jusques à très notables contusions et grande effusion de sang, leur présentant à la gorge des pistolets et espées nues, et menaçant de les tuer, en proférant des blasphèmes contre Dieu et des injures atroces contre les réformés ».

Ces attentats monstrueux ne pouvaient rester impunis. N'ayant pu obtenir satisfaction par le sénéchal d'Auray, Hervé du Tertre, coadjuteur de Prières, adressa une plainte en règle au parlement de Bretagne, le 18 février 1661, et l'abbé commendataire de Lanvaux, Melchior Rouxel s'unit à sa requête.

En attendant la décision de la cour souveraine, les juges d'Auray, sans expulser les anciens religieux, obtinrent la rentrée des réformés, et exigèrent des anciens le serment solennel, devant le Saint-Sacrement, de vivre en paix avec les nouveaux, jusqu'à la solution définitive du procès de propriété, engagé devant le parlement.

Malheureusement, sur les entrefaites, Dom Nicolas Paget, abbé de Villeneuve, vint à Lanvaux, « accompagné de ses religieux non refformez et plus de trente séculiers, armez de fusils, pistolletz, espées et hastons, et sans droit ny formalité de justice, mais par pure violance et attentat, il entra dans l'abbaye, et ayant trouvé dans leurs cellules les religieux de l'étroite observance, il leur adressa plusieurs paroles injurieuses, les fit prendre et traîner par terre avec violance et mettre hors de la dite abbaye, avec leurs habitz déchirés, sans leur permettre de prendre quoi que ce fut de leurs hardes et meubles ; plusieurs des dits religieux et leurs serviteurs furent battus et excédés de coups de baston avecq tel excès qu'ils en furent grièvement blessés, et un même estropié ».

Tels sont les excès rapportés par le Coadjuteur de Prières dans une nouvelle plainte ou supplique, adressée au parlement, le 23 février 1661. La conduite de l'abbé de Villeneuve était certainement inexcusable ; on se l'explique cependant par le dépit de voir sa congrégation renvoyée de diverses maisons et condamnée à une mort prochaine : c'étaient les convulsions de l'agonie.

Le parlement de Bretagne rendit son arrêt le 27 avril, et enjoignit à l'abbé de Villeneuve et à ses religieux de quitter l'abbaye de Lanvaux, aussitôt que la décision leur aurait été signifiée.

Elle leur fut signifiée le 2 mai suivant ; mais ils refusèrent d'obéir, et d'ouvrir au commissaire qui les sommait de vider les lieux.

Prévoyant qu'ils seraient bientôt expulsés par la force, ils se barricadèrent dans l'abbaye, sur l'ordre de leur abbé ; vendirent des meubles et des ornements de l'église, et abattirent des bois de décoration, pour l'entretien de leur garnison ou pour la vente au dehors.

La cour du parlement, apprenant l'insuccès de son premier commissaire, chargea, le 6 mai 1661, Mtre Jean de Coniac, conseiller, « de se transporter sur les lieux, en présence du procureur général du Roy ou de l'un de ses substituts, de faire ouverture réelle de l'abbaye de Lanvaux, et d'en faire sortir les religieux non reformés, et d'y rétablir les réformés, suivant les précédents arrêts, non obstant oppositions, appellacions et récusations quelconques ».

M. de Coniac partit de Rennes le jour même, accompagné de M. Bernard, substitut, Halgan, commis au greffe criminel de la cour, et Busson, huissier. Il passa par Saint-Jean-Brévelay et arriva devant l'abbaye de Lanvaux le dimanche, 8 mai. Désormais nous n'avons qu'à reproduire le procès verbal rédigé par le commissaire, et conservé aux Archives départementales, fonds de Lanvaux.

« Nous y avons trouvé les religieux réformés, et en leur présence, et le réquérant le substitut, avons par le dit Busson, huissier, faict frapper à la porte et principale entrée d'icelle ; deux ou trois religieux nous ont paru par une fenestre grillée, au-dessus et à costé de la dite porte à main droite, et avons déclaré nostre qualité et la teneur de nostre commission. Ilz nous ont respondu qu'ilz estoient venus en la dite abbaye par l'ordre de leurs supérieurs et qu'ilz ne pouvaient nous ouvrir.

Et après avoir fait donner plusieurs coups dans la dite porte pour l'enfoncer, n'ayant pu y réussir, estant barricadée par dedans, avons faict démassonner une des trois fenestres qui donnent dans le chapitre, du costé de la dite porte, d'environ trois piedz et derny de hauteur et deux de largeur ; et après y avoir faict ouverture, et veu qu'il y avait environ deux chartées de fagotz qui bouchoient les dites portes, avons faict jetter à quartier ceux qui estoient au devant de la dite ouverture, et par icelle nous avons faict entrer partie de nos gens dans le cloistre, et avons ensuite faict enfoncer la claveure de la porte du jardin, qui est tout proche de la principale porte, et étant entré en icelle, avons aussi faict enfoncer une des fenestres du petit réfectoire, et par icelle entré dans le dit réfectoir joignant la cuisine.

Puis, avons fait rompre la porte qui est à l'entrée de l'escalier, par où l'on monte dans le dortoir ; ... et nous a esté montré à l'un des bouts d'iceluy la chambre du prieur, en laquelle s'estoient réfugiez les dits religieux non réformés ; à la porte de laquelle ayant fait frapper, et sommé de nous l'ouvrir, et ne l'ayant obtenu, quelque réitérée sommation que leur en ayons faicte, avons faict enfoncer la claveure d'icelle, et avons trouvé dans la dite chambre quatre religieux quy se sont nommés, savoir : Dom Jean Le Roy, se disant commissaire dans cette maison, sous l'abbé de Villeneufve, et estre religieux profès de la dite abbaye, Dom Bertrand Gaultier, religieux de Melleray, Dom Toussaint Martin, religieux de l'abbaye de Chalocé en Anjou, et Dom Pierre Le Roy, religieux de la dite abbaye de Villeneufve, ausquels avons faict signiffier et bailler un autant (copie) de l'arrest portant nostre commission par le dit Busson, huissier, à ce qu'ilz n'en ignorent.

Et en l'endroit les dits religieux réformez ont maintenu que les autres ont vendu et dissipé la pluspart des meubles estans en la dite abbaye, dont il y avoit eu inventaire, et disposé des dits meubles, à la réserve de ce qui en est resté pour le service, dont ils ont jointement avec le dit substitut requis qu'il en soit faict inventaire : ce que leur avons accordé ; (suit l'inventaire).

Et apprès avoir resaisy les dits religieux réformez de tout ce que dessus, et mis les non réformez hors de la dite abbaye, qui en ont sorti librement, faisant seullement leurs protestations de se pourvoir par les voyes de justice pour y rentrer, si le droit leur appartient et non autrement.

Ensuite avons retourné dans l'église, avec les dits religieux réformez qui ont sonné les cloches, chanté, et faict tous les autres actes de possession en cette occurrance : dans laquelle abbaye les avons lessez, après avoir enquis quelques tesmoins,... et nous sommes retirez vers Carhaix, pour exécuter une autre commission … ».

Ainsi se termina l'affaire de l'introduction de la réforme à Lanvaux. Les nouveaux religieux, usant d'un droit parfaitement légal, n'opposèrent à leurs rivaux que la douceur et la patience; les anciens se regardant comme chez eux, gâtèrent leur cause par des violences inexcusables. Je m'arrête ici, car, pour ne froisser personne, je ne veux faire aucun rapprochement entre cette expulsion faite en 1661 par autorité de justice, et les expulsions analogues faites en 1880 par autorité administrative et quelquefois à main armée. Je me contenterai de dire avec le Sage : « Il n'y a rien de nouveau sous le soleil, et nul ne peut dire : voilà une chose nouvelle ; car elle a paru déja dans les siècles passés... ».

M. l'abbé LE MENÉ.

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