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HISTOIRE DE L'ABBAYE de NOTRE-DAME DE LANTENAC

(ordre de Saint-Benoît)

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Note : Les armes de Lantenac, d’après un manuscrit de la Bibliothèque impériale, étaient d’axur au croissant montant d’argent, surmonté d’une Vierge portant son enfant d’or, entouré d’une couronne d’épines de sinople, timbré d’une crosse abbatiale d’argent.

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Une enquête, postèrieure de très-peu d’années aux guerres de la Ligue, constate que les protestants avaient détruit tous les titres de cette abbaye [Note : Un tailleur de Morlaix acheta une grande partie de ces vélins dont il fit des mesures d’habits ; il en approvisionna tous ses confrères des environs] ; ce qui reste des bâtiments n’est pas antérieur au XVIIème siècle ; les ouvrages spécialement consacrés aux monastères de l’ordre de saint Benoît se taisent sur Lantenac [Note : Nous avons vainement compulsé les Annales de dom Mabillon, le Sanctus Benedictus illustratus, le Matricula, les Chroniques générales de l’Ordre, etc. Quant à la continuation du Gallia Christiana, nous rectifions plusieurs de ses assertions, dans l'historique du monastère et dans la chronologie des abbés] ; enfin, la tradition a oublié les services rendus par ces moines dans la science, dans l’agriculture, dans l’industrie, pour se souvenir seulement de quelques histoires scandaleuses, embellies par l’imagination des esprits forts d’une petite ville voisine. Aussi est-ce à grand’peine que nous sommes parvenus à rassembler quelques traits certains du passé de ce monastère.

Eudes de Porhoët, cet homme de fer, à grands desseins et à grandes ambitions, ne pouvait manquer de suivre le mouvement qui, dans le cours du XIIème siècle, portait tout seigneur breton à fonder un moutier à l’entrée de sa forêt. Pendant que celui-ci était reconnu pour souverain par une partie considérable de la Bretagne, il appela les Bénédictins dans sa villa de Lantenac [Note : Notre regrettable ami, Ch. Guimart, a, d’après les tables de dom Morice, commis, croyons-nous, une erreur, en prenant pour Lantenac une certaine église de Lantignac, relevant de Marmoutiers et nommée dans une charte de l’évêque de St-Brieuc, Jean, charte qu’on trouvera au N° II des actes de Jugon. Si Lantenac avait été paroisse à cette époque, elle ne serait pas désignée dans l’acte de fondation de l’abbaye sous le simple titre de villa ; d’ailleurs rien n’indique que jamais ce lieu ait dépendu de Marmoutiers. L’église, désignée par l’évêque Jean, ne serait-elle pas celle de Lantillac, située au sud de Lantenac, sur la route de Josselin à Pontivy ? — Aux environs de Lantenac existaient jadis deux chapelles, dont l’une avait un cimetière auquel conduisait le chemin encore nommé « la Viette des Morts » (Via Mortuorum) ; elles étaient sous le vocable de saint Faire et de sainte Blanche. Le paysan morbihanais vient toujours à cette dernière pour les maladies de peau des enfants : après avoir fait ses dévotions, il colle un peu de vase contre les parois de la fontaine ; à mesure que la terre sèche, le mal s’en va, dit-on. Nous tenons ce renseignement et plusieurs autres de M. Rousselot, inspecteur des écoles primaires, qui, pour le pays de Rohan, a bien voulu nous aider de ses recherches et de celles de ses instituteurs].

Une copie de l’acte de fondation, heureusement conservée au milieu de la destruction des archives [Note : Cette copie, de 1350, appartient aux archives des Côtes-du-Nord], porte la date de 1149. Cette date, adoptée par D. Morice, nous paraît confirmée par la présence des témoins qui assistèrent à cette cérémonie ; nous ne voyons donc aucune raison pour renvoyer cette œuvre à l’année suivante, comme l’ont fait D. Taillandier et ses copistes.

Eudes dota largement son abbaye. Il donna d’abord tout un domaine « tant en pleine que sous bois » ; il y joignit plusieurs villa et parties de villa, des prés, des îles, un moulin, des dîmes, et le droit de past en Loudéac. De plus il autorisa les moines résidant à l’abbaye à prendre dans la forêt tout ce qui leur serait nécessaire en bois vert ou sec, à y faire paître toute sorte de troupeaux, et à tirer de là du foin à discrétion [Note : Cette disposition semble indiquer que les diverses races, et surtout celles de chevaux, étaient bien peu perfectionnées, puisque le foin grossier des forêts leur suffisait. Ce fut, en effet, à la fin de ce siècle et dans le cours du suivant, que les moines et quelques seigneurs améliorèrent par des soins intelligents les diverses espèces d’animaux domestiques et particulièrement le cheval]. Parmi les témoins de cette fondation figurent saint Jean de la Grille, l’un des plus illustres évêques de St-Malo, et Geoffroy, évêque de St-Brieuc.

Il faut arriver ensuite à 1271, pour trouver un second acte relatif aux moines de Lantenac. Alors, nous les voyons traiter pour un moulin avec le vicomte de Rohan, qui leur vend l’argile nécessaire aux réparations d’une chaussée.

Une nouvelle lacune nous amène à l’aveu de 1386, rendu à la fois aux sires de Porhoët et de Rohan, parce que l’abbaye avait une partie de « ses richesses, juridiction et noblesse » dans la châtellenie de La Chèze, appartenant au second, le tout relevant en arrière-fief du duc de Bretagne [Note : Les moines de Lantenac soutenaient au XVIIIème siècle que c’était de cette inféodation, confirmée en 1410, que dataient leurs droits à la moyenne et basse justice. Dans cet acte, Loudéac-la-Vicomté est distincte de Loudéac-Porhoët ; nous reviendrons sur cette distinction en traitant de ces fiefs. L’abbé et le monastère avaient alors chacun leur sceau, et celui du couvent ne se trouvant pas, on se contentait du « passement » de deux frères. Les registres de la communauté nous ont fourni quatre autres aveux, de 1394, 1407 et 1410, dont un seul est mentionné aux Blancs-Manteaux : malheureusement, ces aveux n’étant pas détaillés, n’apprennent pas grand’chose sur les propriétés de l’abbaye].

Le XVème siècle nous fournil des données moins vagues sur l’état de Lantenac ; mais déjà ce monastère était en décadence. A la demande du vicomte et de la vicomtesse de Rohan, le pape Jean XXIII entreprit, en 1415, de réformer les abbayes et prieurés de leurs domaines, et il choisit pour cette œuvre l’abbé de Bon-Repos, choix assez étrange, d’après ce que nous avons rapporté en parlant de Boquen. La réforme devait être opérée dans les abbayes de Lantenac, de St-Mathieu, de Daoulas, du Rellec, de St-Jean-des-Prés, et dans onze prieurés énumérés dans la bulle ; les instructions remises au délégué du St-Siége étaient sévères, et ses pouvoirs fort étendus [Note : D. Morice, II, 927. — Le but oublié de ces fondations pieuses était, d’après la bulle : « Missas et alia divina officia celebrare, hospitalitatem tenere, elemosinas erogare. ». Quatorze ans auparavant, Jeanne de Navarre, vicomtesse de Rohan, léguait à Lantenac son habit de drap d’or et une relique d’argent doré de « monsieur saint Jehan ». (Ibid., 719)]. Nous ignorons la suite donnée à cette affaire ; mais, cinq ans plus tard, le nombre des religieux de Lantenac était si considérable qu’il n’était plus en rapport avec les revenus : c’est du moins ce qu’affirment des lettres d’amortissement de Jean V. Diverses faveurs accordées par le Duc [Note : Lettres patentes du 28 juillet. — En 1546, d’autres lettres du dauphin, duc de Bretagne, promettaient une royale protection à l’abbaye contre les « haigneurs et malveillants ». (Arch. des Côtes-du-Nord)], vers ce même temps, semblent indiquer que les sujets de plainte avaient cessé contre nos Bénédictins : les Rohan eux-mêmes étaient revenus sur le compte de ces religieux ; car, en 1424, Alain, huitième du nom, fondait chez eux un anniversaire [Note : Pour cette fondation, il léguait à Lantenac « cent escus d’or pour emploier en centz sols de rente pour estre payés en chacun an par le chastelain de La Chèze ». (D. Morice, II, 1146)].

Au siècle suivant, il n’y avait plus que quatre moines avec Alain de Lescouët, le dernier des abbés réguliers, quand il rendit hommage au vicomte de Rohan. Cette famille, qui avait couvert une partie de la Bretagne de fondations pieuses, dont quelques-unes étonnent encore par leur magnificence, se jeta dans l’hérésie sous la pernicieuse influence d’Isabeau d’Albret, douairière de Rohan.

Pour entraîner sa maison dans les nouvelles doctrines, elle remit l’éducation de ses enfants à Hervé de Kerguézangor, Sr de la Ville-Audren, qu’elle fut dans la suite obligée de chasser pour vols. Alors celui-ci, à la faveur des troubles, se mit à la tête d’une bande qui effraya le pays par ses crimes et ses déprédations [Note : Enquête de 1640. [Arch. des Côtes-du-Nord); — La terreur que son nom inspirait n’est pas encore dissipée : on cite dans le pays une femme qu’il noya par jalousie, et un homme qu’il fit enfermer dans une cheminée qu’il mura].

Protégé par ses anciens élèves, il résolut de s’emparer de Lantenac : ayant trouvé dans la campagne l’abbé Jean Fabri, il le força de signer sur la croupe de son cheval un acte de renonciation en faveur de son fils, Claude de Kerguézangor. Il chassa aussitôt les moines de l’abbaye, emporta tout ce qui était à sa convenance et afferma le reste. Avec le prix de quelques rentes, il acquitta la taxe imposée deux fois à ce monastère « pour empescher la continuation des desseyns et entreprises de ceulx de la nouvelle religion, tant contre l’Eglise catholique que contre le repos de l’Etat et des bons et fidèles sujets catholiques » [Note : Lettres patentes de Charles IX, du 11 octobre 1563].

Tout réussissait à cet abbé d’une nouvelle espèce ; mais il arriva que dix marchands de Rennes, qui voyageaient de compagnie, furent attirés dans son manoir de Launay, près de Mûr, et qu’ils ne reparurent plus. Leurs familles obtinrent que Kerguézangor et sa femme fussent poursuivis : les vieillards qui déposaient dans l’enquête de 1643 se rappelaient avoir vu passer « l’armée » qui, après avoir vainement cherché à Lantenac La Ville-Audren et sa femme, les arrêta à Launay [Note : Ceci, aussi bien que plusieurs baux passés par Hervé de Kerguézangor se portant procureur de l’abbé, prouve que le St de La Ville-Audren n’habitait pas Lantenac, comme M. Habasque l’a écrit dans l’Annuaire des Côtes-du-Nord de 1838, p. 81. Arrêté, il fut conduit dans les prisons de Rennes où il s’empoisonna ; sa femme, convaincue d’avoir trempé dans le meurtre des dix marchands, fut décapitée en 1570]. Aussitôt le roi saisit les revenus de l’abbaye pour les rendre bientôt au titulaire, en déclarant que Kerguézangor n’y avait jamais eu aucun droit [Note : Lettre patente du 25 septembre 1570] ; mais les moines ne revinrent pas dans cette maison délabrée.

L’abbaye déserte n’était plus qu’un bénéfice chargé de quelques messes, pour lesquelles il était facile de traiter avec un prêtre qui ne les disait guère, comme le prouvent les enquêtes faites a la fin des troubles. Dès-lors, le bénéfice, dans les idées en vogue alors, pouvait être attribué à un laïque aussi bien qu’à un ecclésiastique ; et une monarchie besoigneuse trouva ce moyen commode pour retraiter à peu de frais un officier mutilé à son service, parent et filleul du connétable de Montmorency. Rome résista de son mieux à un tel emploi des biens de l’Eglise ; mais Rome était loin et faible en ces jours de désordre universel, et, à l’aide d’un prête-nom, on parvint sans peine à la tromper.

L’un de nous a raconté ailleurs la romanesque histoire d’Anne de Sanzay, comte de La Magnanne [Note : St-Brieuc, Guyon frères, 1852, in-8°] : presque au début de sa carrière de soldat, il perdit un bras devant Alger et y fut emmené en esclavage. Le beau captif gagna le cœur d’une sultane qui l’aida à recouvrer sa liberté. De retour en France, il se fit poser un de ces bras en fer, comme il s’en faisait beaucoup à cette époque, et reprit son métier de soldat.

Quand le comte de La Magnanne eut perdu le connétable, son protecteur, il se retira près de son frère René, gouverneur de Nantes, qui l’employa dans diverses expéditions contre les huguenots, notamment à la Roche-Bernard, l’un des principaux foyers de la propagande calviniste. Partout il se signala par sa bravoure, sa cruauté et sa soif de l’or : les écrivains protestants font des violences du terrible Bras-de-Fer le tableau le plus lugubre [Note : Voir notamment l’Histoire de la Réforme en Bretagne, par Philippe Le Noir].

Dès qu’il le put, il retourna à la cour, où par deux fois il fut embastillé par suite des plaintes portées contre lui ; chaque fois le crédit d’amis puissants le tira d’affaire. Le roi, en lui donnant Lantenac, avec le titre de procureur-général de l’abbé, n’était peut-être pas fâché d’éloigner ce serviteur compromettant.

Le quasi-abbé leva une bande de routiers, et s’en vint avec sa femme prendre possession de son monastère. Ils mirent leurs chevaux dans l’église, et les bestiaux dans le réfectoire, s’arrangeant pour le mieux dans ce qui restait des bâtiments conventuels. Pendant que, peu après, le comte bataillait en Poitou, sa femme mourut [Note : Elle se nommait Jeanne de Rosmadec ; elle avait épousé en premières noces Jean de la Pommeraye, Sr de la Morlaye] à Lantenac, et ses héritiers ou soi-disant tels s’abattirent sur l’abbaye qu’ils pillèrent. L’un d’eux, même, le Sr de Kercado, s’y établit avec 80 ou 100 hommes, et, pour le déloger, il fallut recourir au Conseil du roi [Note : La fiction dont on se servit pour obtenir cet arrêt, en date du 15 mai 1587, mérite d’être rapportée : les religieux étaient censés avoir permis à Mme de La Magnanne de s’établir dans une dépendance de l’abbaye pour échapper à une maladie contagieuse qui régnait à La Chèze ; c’étaient eux qui réclamaient contre l’intrusion violente de Kercado. Les fictions de cette nature ne sont pas rares dans les pièces de ce temps].

Quand la guerre éclata en Bretagne, La Magnanne se rangea dans le parti des royaux, et fut nommé « Capitaine de la Noblesse, ports, hâvres et côtes de l’évêché de Tréguier ». A la faveur de ce titre, il commit toutes sortes d’exactions : il était digne de se mesurer avec La Fontenelle, ce qui arriva en effet, en 1593. Le maréchal d'Aumont, voulant rétablir l’ordre dans les troupes royales, ordonna à Du Liscouët de charger La Magnanne, « à cause des ravages et ruines qu’il faisoit partout où il passoit ».

Ceci le fit se jeter dans le parti opposé : il prit une part brillante à la défense du château de Morlaix où il fut fait prisonnier. Rendu à la liberté, il vint à Lantenac lever une troupe de 500 pillards avec lesquels il se jeta sur Quintin qu’il mit à contribution ; il y laissa même une garnison qui fut bientôt chassée par Kergomar, gouverneur de Guingamp.

Sanzay briganda encore quelque temps aux environs de Morlaix ; mais la guerre touchait à son terme, et, bien différent du rude ligueur dont nous avons raconté la bretonne tenacité et la fin tragique, il s’arrangea de bonne heure pour se faire oublier. Il y réussit si bien que, longtemps avant sa mort, Brantôme déplorait la fin prématurée « du chevalier de Sanzay de Bretagne, un très-honnête et brave gentilhomme, lequel, si la mort n’eut entrepris sur son jeune âge, eust été un grand homme de mer ».

Cependant La Magnanne s’était retiré en Plouigneau, au manoir de Bourouguel, que sa seconde femme (Marie de Tuomelin) lui avait apporté en dot ; il y vivait sans bruit, touchant doucement les revenus de Lantenac, où il avait même rétabli un semblant de culte. Ceci n’empêcha pas le prieur de St-Nicolas de Redon, vicaire-général de l’ordre, de venir avec les magistrats royaux de Ploërmel pour reprendre possession de l’abbaye, en 1599 [Note : Pénétrant dans l’église par un étroit passage, les portes en ayant été murées par les soldats qui s’y étaient retranchés, le vicaire-général reconnut qu’une moitié était écroulée et que l’autre était près de tomber. L’autel était debout, orné d’un crucifix et de l’image des apôtres, en plâtre doré, mais en partie brisés. La grande vitre, entièrement défoncée , était à demi-bouchée de branches d’ifs. Les stalles ou chaires hautes et basses existaient encore, mais rompues et disloquées, comme l’horloge à cadran qui gisait dans le transept midi. Le guyfraige du hault menaçait ruine, ainsi que les chapelles latérales. D’ornements et de vases sacrés, il n’en était plus question. Les derniers édifices claustraux, les moulins à farines, à sérancer et à fouler achevaient de crouler. Des bois, si nombreux jadis, il ne restait plus que trente-sept souches d’arbres. Un pauvre prêtre, qui était censé dire la messe là, habitait ces ruines ; il avait pour tout mobilier un « mi-coffre »]. Malgré les protestations d’un « bienveillant de l’abbé », envoyé, dit-il, par le comte de La Magnanne, les revenus furent déclarés saisis au nom du roi, pour être consacrés à l’entretien de trois religieux. Sanzay parvint à les recouvrer, sous la condition de payer la pension des religieux, condition qu’il s’empressa de ne pas remplir, bien entendu.

Après de longues réclamations de la part des Bénédictins, le Parlement finit par placer d’autorité, en 1605, dans les ruines de cette abbaye, un, puis trois religieux, à qui Sanzay dut délivrer un calice d’étain. Malgré de nombreux arrêts judiciaires, ils y vécurent dans une misère complète, manquant même des objets les plus indispensables au culte. Les choses allèrent ainsi jusqu’en 1615, où le seul moine resté à Lantenac demanda et obtint qu’on lui adjoignît quatre religieux réformés [Note : Ils appartenaient à ce que l’on nommait « la Société de Bretagne » ; c’était, comme nous l’avons dit, l’association des monastères de Redon, Léhon, Le Tronchet, Landevennec et La Chaume, qui avaient adopté une même réforme de l’ordre de saint Benoît]. Sept ans plus tard, les visiteurs généraux déclaraient que la vie de ces religieux était irréprochable ; mais, endettés pour mettre leur église dans un état décent, ils ne pouvaient élever eux-mêmes les bâtiments nécessaires à la pratique de leur règle ; ils allaient donc être retirés si l’abbé, qu’on ne connaissait pas ou qu’on feignait de ne pas connaître, ne leur venait en aide dans un court délai. La Magnanne se décida alors à produire un abbé, de qui les cinq moines de Lantenac prirent à ferme pour 700 livres les terres de l’abbaye. Ainsi, après soixante ans, ils recommençaient à cultiver, mais comme simples fermiers, le sol que leurs prédécesseurs avaient défriché [Note : Un aveu de 1637 montre ce qu’était alors l’abbaye et un peu ce qu’elle avait été dans le passé. L’église, un grand corps de logis en mauvais état et quelques restes du cloître, voilà pour les bâtiments. A l’entour, 15 journaux où se voyaient trois jardins, un verger, un pré, un bois taillis et un moulin. Des dîmes, produisant 154 boisseaux de seigle et 188 d’avoine, se répartissaient entre les paroisses de Miniac, La Chèze, Plémet, La Prénessaye, Loudéac, Trévé et St Thelo ; l’abbé partageait une partie de ces dîmes avec les recteurs ou il leur faisait une portion congrue. L’abbaye avait moyenne et basse justice, des rentes cheffrentes et mengières en deniers pour 41 livres, d’autres en froment rouge, seigle, avoine, poules, chapons, fromage et gants blancs ; plus 24 boisseaux de froment rouge sur « le prieuré du Clos, en la paroisse de St-Sanson, jouxte la ville de Rohan ». Il déclarait que des biens en métairies, prés, etc., pour une valeur de 100 livres tournois au moins, avaient été régulièrement aliénés. Il revendiquait ses droits sur les ponts et moulins de Lantenac, la coutume à la foire de l’Ascension, et « le devoir pour chaque cabaretier d’apporter à sa porte, aux moines, sur une table à nappe blanche, avec des verres rincés, deux pots de chaque boisson ». Quant aux anciens droits de chauffage et de pâturage dans la forêt de Loudéac, après de longs procès avec la famille de Rohan, les religieux renoncèrent à tout, en 1646 : aussitôt l’altière famille leur accorda 60 charretées de bois pour le couvent et 20 pour l’abbé, à la condition de placer les mâcles à la maîtresse vitre de l’église abbatiale. L’usage s’établit alors de livrer le bois avec un certain cérémonial : le prieur faisait une visite aux officiers des eaux et forêts du duc ; puis il apportait dans la forêt du pain et du cidre pour les travailleurs, du vin vieux, du jambon, une langue fourrée pour les officiers, et un petit écu pour leurs gens. Le prieur n’oubliait pas les verres, pour éviter les larges gobelets de cuir de messieurs des eaux et forêts, lesquels gobelets contenaient une grande écuellée. Moyennant ces politesses, les religieux obtenaient moitié hêtre et moitié chêne, et le plus bel arbre proche le lieu du repas].

En 1638, la Congrégation de St-Maur se substitua à la Société de Bretagne dans cette abbaye, où régna dès-lors une activité nouvelle. Elle fut d’abord dirigée par un homme d’une haute valeur, le prieur Aubin de S-Père. Sous son administration, on commença la reconstruction de Lantenac, dont les bâtiments ont été élevés de 1641 à 1696. Le terrier fut reconstitué, et les biens partagés en trois lots, dont un pour les religieux, un autre pour l’abbé, et le troisième pour l’entretien du monastère et les aumônes [Note : Arrêt du présidial de Vannes, de 1649. — Un précédent arrangement avait tout laissé aux moines, charges et revenus, moyennant 1,200 livres de pension à l’abbé commendataire]. Outre leur part, les nouveaux moines firent valoir les deux autres parts qu’ils prirent à ferme ; de plus, ils achetèrent l’économat du diocèse [Note : Cette charge, qui avait pour objet la perception régulière des revenus de l’évêché pendant la vacance, fut créée en 1691, supprimée en 1703, rétablie en 1706, supprimée de nouveau en 1714, rachetée en 1726 par le diocèse, qui la vendit pour 10,845 livres à Lantenac. Le revenu était évalué 216 fr. 18]. Les épreuves du grand ouvrage de D. Morice, que nous avons trouvées dans leurs archives [Note : Il n’est guère douteux que D. Morice et son adjoint D. Duval n’aient séjourné à Lantenac : selon D. Taillandier, « ils visitèrent les principales archives de la province » ; et, pour établir l’origine princière à laquelle le cardinal de Rohan tenait tant (Voir la curieuse notice insérée au t. II de la Biographie bretonne, par M. Bizeul, de Blain, p. 510), ils ne purent négliger la principale fondation de cette antique maison de Porhoët, le centre même de son fief. Toutefois, nous n’avons découvert aux papiers de Lantenac aucune pièce qui jetât un jour nouveau sur l’intrigue littéraire par laquelle on prétendait faire dire à l’histoire ce que l’inflexible Lobineau avait toujours refusé d’y voir], disent assez qu’ils ne restèrent pas étrangers aux travaux scientifiques de leur congrégation.

A ce moment même où tous les documents attestent l’austérité et la régularité de leur vie, il éclata contre eux une sorte de persécution locale, sous laquelle on ne sent que trop la rancune de grands seigneurs huguenots. La petite bourgeoisie et surtout les gens de robe dépendant des Rohan s’en firent les instruments zélés : le sénéchal de La Chèze, son fils et son valet furent condamnés à Ploërmel pour insultes et violences contre les gens de l’abbaye ; le greffier de la même juridiction n’échappa à une condamnation plus grave qu’en faisant des excuses publiques au prieur et à ses religieux. Ce n’était pas assez de les tourmenter, on voulait les déshonorer : plus d’une fois, des enfants naissants furent exposés à la porte ou sur les murs d’enceinte du monastère.

Traînés, sous mille prétextes, de tribunaux en tribunaux par la famille de Rohan, insultés et maltraités par ses gens, forcés de poursuivre leurs propres tenanciers qu’on ne cessait d’ameuter contre eux, accusés de jansénisme auprès de l’évêque diocésain, les Bénédictins prirent en dégoût Lantenac ; et, en 1766 , le chapitre général de l’ordre supprima cette maison pour la réunir à Ste-Croix de Quimperlé.

A cette nouvelle, le général de la paroisse de Notre- Dame du Roncier, de Josselin, s’émut, alléguant que les prieurés de St-Martin, de St-Nicolas et de St-Croix de cette ville ayant été mis en commende ou transportés ailleurs, il ne restait plus personne pour nourrir les pauvres de cette partie du duché de Rohan : les moines avaient donc leur utilité reconnue en ce temps-là. On crut faire droit à cette réclamation, en laissant à Lantenac un prieur pour percevoir les redevances et faire la part des pauvres ; mais un procès qu’il eut avec le commendataire nous apprend qu’il avait rompu avec sa congrégation, qu’il s’était approprié les revenus, montant alors à plus de 12,000 liv. de rente, qu’il vivait dans le luxe, et qu’il avait fait pour plus de 20,000 écus d’économie quand la Révolution s’empara de l’abbaye.

(J. Geslin de Bourgogne et A. de Barthélemy).

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